Venons-en à l’essentiel : pourquoi La Türkiye parle-t-elle encore de l’UE ?

10:203/12/2025, Çarşamba
MAJ: 3/12/2025, Çarşamba
Nedret Ersanel

Après la récente visite du ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan à Berlin, les deux parties ont évoqué un cadre "géostratégique et géopolitique" , ainsi que l’existence de liens stratégiques… alors même que ces liens n’existent pas. Il n’y a que la conjoncture. Depuis longtemps, Ankara cherche à comprendre si l’Europe veut – ou non – devenir un pôle de puissance dans le nouvel ordre mondial. Et elle pose cette question au nom de la "Nouvelle Türkiye". C’est une question géopolitique. Ankara

Après la récente visite du ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan à Berlin, les deux parties ont évoqué un cadre
"géostratégique et géopolitique"
, ainsi que l’existence de liens stratégiques… alors même que ces liens n’existent pas. Il n’y a que la conjoncture.

Depuis longtemps, Ankara cherche à comprendre si l’Europe veut – ou non – devenir un pôle de puissance dans le nouvel ordre mondial. Et elle pose cette question au nom de la
"Nouvelle Türkiye".

C’est une question géopolitique. Ankara tente de pousser l’Europe à réfléchir à une montée en puissance comparable à celle des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou des dynamiques asiatiques émergentes. Mais l’Europe évolue dans le sens inverse : elle décline.


Cette érosion n’est pas seulement militaire ou économique. Elle touche l’infrastructure, la politique, l’économie et même son capital intellectuel.

Ce ne sont pas de petites lacunes : selon une analyse du Financial Times, l’UE devrait pouvoir déployer une armée depuis ses ports occidentaux jusqu’à la frontière russe en 3 à 5 jours. Elle y parvient… en 45 jours. Et cela alors que le commandement estimait que le dispositif devait
"fonctionner comme une horloge"
. En pratique, rien ne fonctionne : en Bavière, lors d’un exercice, soldats et policiers se sont tiré dessus par manque de communication.

Le problème ne se limite pas, comme le dit le chef d’état-major français, à
"être prêts à sacrifier nos enfants".
Personne n’a pris cette déclaration au sérieux. Le vrai problème, c’est l’absence de routes, de rails, de wagons, d’argent… et même de bureaucratie capable de comprendre la situation.

Lors d’une émission télévisée, un ancien militaire m’a confié en coulisses : "Depuis des années, nos wagons sont prêts dans les points stratégiques de La Türkiye." J’en ai été fier, mais pas surpris. Pendant ce temps, l’Europe, qui a délégué sa sécurité à Washington tout en misant sur la
"prospérité"
et la
"société du bien-être"
, s’est retrouvée démunie lorsque les États-Unis ont dit :
"Je ne peux pas aller plus loin."

Le piège de la conjoncture et l’impasse européenne


Le véritable partenariat stratégique entre l’Europe et La Türkiye serait une pleine adhésion. Or cette perspective n’existe pas : l’Europe continue de faire preuve d’arrogance. Ne tenez aucun compte de ceux qui affirment que tout cela
"n’a rien à voir avec la sécurité".
Si le programme SAFE, censé revitaliser l’architecture sécuritaire européenne, peut être bloqué par l’administration chypriote grecque et la Grèce, alors c’est bel et bien une question de défense. Le mythe d’une "armée européenne" relève de la même fiction.

Revenons à la conjoncture : si la guerre Russie-Ukraine se termine par un accord négocié en amont par Washington et Moscou – un texte qui circulerait déjà –, ce sera une défaite pour l’Ukraine, pour l’Europe, pour le Royaume-Uni, et même pour l’OTAN sur le plan politique. Et cela aura un coût.


Si Ankara souhaite sincèrement la pleine adhésion – ce dont je doute –, alors elle sait que cela exige un changement politique majeur en Europe. Avec l’intelligence politique vieillissante du continent, aucun progrès n’est possible.


Le Royaume-Uni, lui, dispose d’une pensée stratégique plus alerte, mais n’a fait jusqu’ici que
"tenir la boutique".
Désormais, Londres ralentit sur l’Ukraine. Ce n’est pas un hasard s’il entretient depuis longtemps un lien étroit avec La Türkiye.

La Türkiye, qu’on l’apprécie ou non, est devenue un hub politique essentiel : Moyen-Orient, Caspienne, Asie occidentale, Balkans, Europe orientale. C’est depuis ce nouveau centre gravitationnel qu’elle questionne l’Europe.


Depuis avant la guerre, les États-Unis ont mis l’Europe sous pression économique. La guerre a révélé les faiblesses européennes. Sa politique et son économie ont plié. Les gouvernements tentent désormais de convaincre leurs opinions publiques pour éviter l’effondrement. Si la Russie devient un partenaire limité de Trump, quel raisonnement stratégique peut encore produire l’Europe ? Si la paix revient, l’épouvantail disparaît : que restera-t-il comme peur à vendre ?


Et pourtant, ils osent encore exclure La Türkiye.
Les projets d’acheminement énergétique passant par la Méditerranée et Israël tout en contournant Ankara, ou les propositions d’alliances sécuritaires incluant La Türkiye mais évitant l’UE, relèvent de la même duplicité.

Tout en utilisant la Russie pour effrayer le continent, ils voudraient envoyer des soldats turcs dans une force d’interposition entre Kiev et Moscou. Et si la guerre reprenait ? Que devrait décider La Türkiye ?


Les experts répètent depuis les années 1990 que
"La Türkiye est un pivotal state".
On l’a d’abord qualifiée de pays pivot, puis de
"pays-gond",
comme si elle faisait office de charnière. Très bien, mais encore faut-il savoir quelle porte cette charnière est censée soutenir, et quel cadre serait capable de la porter. Or l’architecture européenne est disloquée ; malgré cela, on tente toujours d’y fixer La Türkiye. Les États-Unis eux-mêmes ne tiennent plus leur position en Europe. Quant à l’OTAN, même son article 5 paraît incertain.
L’Europe entrerait en guerre contre la Russie et La Türkiye devrait se retrouver dans la même tranchée ? C’est absurde.

Innovation militaire et horizon africain : l’avantage turc


Les succès des drones IHA/SIHA sont remarquables. Lorsque des pays européens – surtout la Grèce – affichent leurs craintes, nous nous réjouissons. Mais l’essentiel n’est pas là. La Türkiye en vend à 37 pays, dont au moins 16 africains.


Il s’agit d’un investissement militaire, certes, mais aussi politique, économique, énergétique et spatial. Et toujours fondé sur l’équité. L’Europe d’aujourd’hui est incapable d’une telle approche. Sinon, elle ne se ferait pas chasser du continent africain.


Ankara réclame l’ouverture des budgets de défense européens, des partenariats industriels, et un accès aux réseaux globaux.
La Türkiye veut tirer parti d’une conjoncture qui étouffe l’Europe. Quant à la pleine adhésion à l’UE… ce n’est qu’un récit dont l’Europe s’accommode encore.
#sécurité
#Turquie-UE
#conjoncture
#Ukraine
#Europe
#stratégie
#diplomatie