L'ambassade de France à Niamey, au Niger. Crédit photo: AFP
La tension est encore montée d'un cran entre Niamey et Paris. L'ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté, a été sommé par les militaires au pouvoir de quitter le Niger dans un délai de 48 heures.
Un ultimatum, lancé le 27 août, auquel la France a refusé de se conformer, incitant son représentant à ne pas quitter le sol nigérien et rejetant catégoriquement les diktats d'un pouvoir qu'elle juge illégitime pour fonder une telle requête.
Le diplomate français
"ne jouit plus de privilèges et d'immunités attachés à son statut de membre du personnel diplomatique de l'ambassade de France. Ses cartes diplomatiques et visas ainsi que ceux des membres de sa famille sont annulés"
, c'est ce qui ressort de la lettre du pouvoir militaire au Niger à l'adresse du ministère français des Affaires étrangères.
D'une part, les autorités militaires nigériennes campent sur leur position, brandissant la menace que
"les services de police sont instruits afin de procéder à l'expulsion du représentant de Paris à Niamey"
, exigeant également le départ des 1500 soldats tricolores du pays.
D'autre part, la France se dit attachée à la restauration de l'ordre constitutionnel au Niger et affiche son intransigeance face à ce qu'elle appelle
"provocations et intimidations"
des militaires nigériens. Une position qui diverge de celle des Américains, qui préfèrent jouer, sur ce dernier point, la carte de l'apaisement et du dialogue avec le nouveau pouvoir en place.
Dans une déclaration aux médias, le porte-parole de l'état-major français, le colonel Pierre Gaudillière, a prévenu que
"les forces militaires françaises sont prêtes à répondre à tout regain de tension qui porterait atteinte aux emprises militaires et diplomatiques françaises au Niger"
et que
"des dispositions ont été prises pour protéger ces emprises".
Jusqu'où pourrait aller ce bras de fer ? Anadolu a posé cette question à Assia Atrous, journaliste spécialisée dans les relations internationales.
Les militaires peuvent-ils expulser manu militari l'ambassadeur français ?
Selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) et la Convention sur les relations consulaires (1963), les diplomates jouissent d'un statut reconnu internationalement, et notamment d'une immunité qui les couvre dans l'exercice de leur fonction. Ces avantages doivent les rendre libres de leur action même dans des contextes politiques difficiles.
Dans le cas du Niger, notre intervenante a estimé que l'escalade ne sert aucune partie, arguant que malgré l'expiration de l'ultimatum, le conseil militaire, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et la France ne sont pas passés à l'action malgré les menaces.
"Chacun sonde les intentions de l'autre. Aucune partie ne sera en mesure de recourir à l'escalade. Elles tentent toutes à éviter le pire en favorisant la solution diplomatique afin de résoudre la crise. Toute intervention militaire provoquera une crise ouverte et plongera le Niger voire toute la région dans un inextricable enchevêtrement. La France est concernée avant tout par la sécurité de son ambassadeur. Elle ne peut pas jouer avec la vie de son diplomate, sinon ce serait un coup fatal pour Macron. De même pour le conseil militaire nigérien, il n'osera pas prendre d'assaut l'ambassade car il y aura des ripostes de l'Union africaine (UA) et des réactions à l'échelle mondiale. D'autant plus que les militaires aspirent à se tailler une position sur l'échiquier politique international après la chute de Bazoum. Ils veulent transmettre, à moyen et à long terme, des messages positifs à l'intérieur du Niger et à l'étranger"
, a expliqué Assia Atrous.
Elle a indiqué que la France fera des compromis et attendra le bon moment pour rappeler son ambassadeur. Elle le fera à mesure que la tempête se calme et elle cherchera un autre moyen pour préserver ses intérêts au Niger et ailleurs compte tenu de l'importance des matières premières et de la richesse du continent africain.
Au regard des grands changements qui secouent l'Afrique et avec la série de coups d'État survenus ces trois dernières années, qui coïncident avec la guerre russo-ukrainienne, la France fait face à des coups multiples contre ses intérêts et son hégémonie qui menacent son existence sur le continent, en particulier au Niger.
De ce fait, notre intervenante a affirmé qu'on observe récemment un léger changement dans la position française qui laisse entendre que Paris favorise désormais la solution diplomatique. Les négociations en cours avec le conseil militaire nigérien avec une entremise chinoise, ainsi que le retrait partiel des troupes françaises du Niger prouvent que Paris abandonne tout recours à la force.
Pékin a annoncé par la voix de son ambassadeur, Jiang Feng, qu'elle veut jouer sa carte diplomatique à Niamey en jouant un
dans la crise politique au Niger et peut-être la libération du président déchu, Mohamed Bazoum.
À l'instar de l'arrangement conclu sous l'égide de Pékin entre l'Iran et l'Arabie saoudite, la médiation chinoise pourrait alléger la crise au Niger et les tensions entre Paris et Niamey, selon Assia Atrous.
"Le gouvernement chinois entend bien jouer un rôle de bons offices, de médiateur, sur le respect total des pays régionaux pour trouver une solution politique à cette crise nigérienne. La Chine poursuit toujours un principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. Nous encourageons les Africains à régler leurs problèmes à l'africaine"
, a affirmé l'ambassadeur chinois à Niamey, à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre nigérien Ali Mahaman Lamine Zeine, nommé par les militaires.
Assia Atrous a signalé que la Chine, tout comme les grandes puissances mondiales, ne cache plus sa volonté d'influence en Afrique. Pékin est un incontournable partenaire économique du Niger dans plusieurs domaines, notamment l'énergie, le pétrole et les infrastructures. En plus de son influence économique, la Chine réaffirme son rôle de médiateur de poids sur l'échiquier géopolitique mondial.
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