France: la fin des "imams détachés", une mesure "qui n'a aucun sens" et crée "une rupture d'égalité"

13:2115/01/2024, lundi
MAJ: 15/01/2024, lundi
AA
L'imam de la Grande Mosquée de Strasbourg, Kalilou Sylla, lors d'un cours de formation, à Strasbourg, dans l'est de la France, le 11 novembre 2023.
Crédit Photo : PATRICK HERTZOG / AFP
L'imam de la Grande Mosquée de Strasbourg, Kalilou Sylla, lors d'un cours de formation, à Strasbourg, dans l'est de la France, le 11 novembre 2023.

Depuis le 1er janvier, la France n'accepte plus "d'imams détachés" sur son territoire, et ceux qui s'y trouvent déjà, ne pourront plus s'y maintenir au-delà du 1er avril prochain.

Principalement envoyés par le Maroc, l'Algérie et la Türkiye, ces imams étaient rémunérés par leurs pays d'origine et devront désormais, s'ils souhaitent continuer d'y officier, passer sous contrat direct avec les lieux de culte dans lesquels ils exercent.


Cette mesure, contenue dans la loi dite
"contre le séparatisme"
, est venue mettre un terme à un système qui accueillait jusqu'alors 301 imams détachés dont 151 venus de Türkiye, 120 venus d'Algérie et 30 arrivés du Maroc.

Ce chiffre apparaît, donc, comme dérisoire sur un total de 2 700 imams recensés sur l'ensemble du territoire national mais les autorités espèrent ainsi mettre un terme à ce qu'elles qualifient
"d'influence étrangère"
des pays d'origine.

Lors de son discours de vœux, prononcé jeudi 11 janvier, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz a rappelé qu'à l'annonce de la fin des
"imams détachés"
en 2020 par le président Emmanuel Macron, l'institution avait
"immédiatement réagi puisque la Grande Mosquée de Paris et sa fédération bénéficiaient jusqu'alors de 120 imams détachés par le ministère Algérien des Affaires religieuses et des Wakfs".

Nous savions que cela laisserait un vide à combler.

Les "imams détachés" dans les mosquées dépendantes de la Grande Mosquée de Paris avaient la chance d'être formés, expérimentés et encadrés, grâce aux efforts considérables déployés par l'Algérie pour le seul bien du culte musulman en France"
, a, par ailleurs, souligné le recteur, tout en précisant avoir décidé d'accélérer
"le recrutement local des imams et renforcé la formation de nouveaux imams".

Pour remédier au vide laissé par ces
"imams détachés"
, la Grande Mosquée de Paris a mis sur pieds une formation qu'elle dispense et qui a
"été entièrement renouvelée il y a trois ans, pour offrir aux futurs imams une connaissance approfondie de l'islam, des manières dont il doit s'inscrire vertueusement en France, des principes et des lois à respecter"
et celle-ci
"se trouve désormais dispensée dans six villes françaises: à Paris, aux Mureaux, à Lille, à Marseille, à Istres et près de Lyon".

Et Chems-Eddine Hafiz de poursuivre:
"Les résultats sont déjà là: nous venons de diplômer la première promotion de 58 étudiants, issue de ce nouveau parcours et j'en suis très fier.

Ce soir, je suis heureux de vous annoncer qu'un nouveau centre spécifiquement destiné à la formation des imams de la Grande Mosquée de Paris verra le jour à Vitry-sur-Seine, en 2024.

Pour autant, dans les rangs musulmans, cette mesure fait parfois grincer des dents, tant elle est lourde de sous-entendue.


Interrogé par Anadolu, le responsable d'une mosquée de Marseille déplore, sous couvert d'anonymat,
"une mesure discriminatoire qui fait peser la suspicion sur des imams qui n'étaient là que pour transmettre leur savoir".

"Je comprends qu'au niveau politique, ce soit à la mode de désigner les étrangers comme le problème de tous les maux du pays mais qu'est-ce que ça va changer concrètement de résilier les contrats de quelque 300 imams pour la seule raison qu'ils sont payés par le Maroc, l'Algérie ou la Türkiye ?"
, s'interroge le quarantenaire.

Il souligne qu'aucun d'entre eux
"n'a jamais fait parler de lui en mal, ni commis de quelconques méfaits"
et plaide pour
"arrêter ces mesures qui n'ont aucun sens et créent une rupture d'égalité".

Sur les réseaux sociaux, l'écrivain Fouad Kemache a, lui aussi, critiqué la mesure dans une publication sur X.


L'écrivain, Fouad Kemache.

"La loi Séparatisme était censée avoir une vocation universelle mais l'exemple des imams détachés donne raison à ceux qui affirmaient, dès le départ, que cette loi ciblait en particulier le culte musulman"
, note celui qui se présente comme spécialiste en affaires internationales.

Dans une lettre adressée le 29 décembre par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin aux pays d'origine des
"imams détachés"
, le locataire de Beauvau précisait pourtant que:

Le but n'est pas d'empêcher des imams étrangers de prêcher en France, mais de s'assurer qu'aucun n'est payé par un État étranger dont il serait fonctionnaire ou agent public.

Mais les propos du ministre ne rassurent pas davantage Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l'Observatoire de lutte contre l'islamophobie.


Dans un entretien au Middle East Eye, le responsable religieux estime, en effet que:


La France se trompe de cible en prohibant les imams détachés.

"Ceux qui sont là ne sont pas des séparatistes et ne représentent que 8 % du nombre des imams déployés dans les 2 600 lieux de culte musulmans existant en France",
ajoute-t-il.

"Ce sont des imams détachés qui respectent les valeurs et les lois de la République. Aucun imam détaché n'a été arrêté, mis en prison, fiché S ou a tenu des discours antirépublicains"
, martèle enfin Abdallah Zekri.

À noter, néanmoins, que la venue d'imams étrangers pendant le mois de ramadan pour assurer les prières de Tarawih resteront autorisées et ne sont aucunement remises en cause à ce stade.


À lire également:




#France
#Imam détaché
#Politique
#Gouvernement
#Discrimination
#Loi de Séparatisme
#Religion
#Musulmans