
Dans cette tribune, la militante des droits de l’homme Nadia Meziane dénonce l’islamophobie d’État en France, illustrée selon elle par la fermeture programmée de la mosquée des Bleuets à Marseille et la répression visant son imam Ismaïl. Elle décrit une stratégie politique et médiatique de criminalisation des musulmans et de leurs institutions, inscrite dans une dérive autoritaire du gouvernement Macron. Meziane alerte sur les conséquences de cette politique pour la démocratie et la cohésion sociale.
Un scénario désormais bien rodé
La mosquée des Bleuets à Marseille et son imam Ismaïl seront sans nul doute le nouveau symbole de l’islamophobie d’État en France, après la mosquée de Pessac et son président Abdourahmane Ridouane, contre lesquels les autorités s’acharnent depuis 2021.
Le scénario est toujours le même: une mosquée active et intégrée au paysage local sans heurts. Un président ou un imam soudainement ciblés par la fachosphère, puis décrétés ennemis publics numéro un par le ministère de l’Intérieur. Et ensuite, le déchaînement de la machine administrative et médiatique pour fermer le lieu et briser l’homme.
Concernant la mosquée des Bleuets et son imam Ismaïl, que savent réellement les Français qui lisent la presse Bolloré ? Peu de choses. Les accusations de sexisme ou de séparatisme ne sont pas sourcées. Partout, il est mentionné qu’il a été condamné pour apologie du terrorisme et qu’il continue ses "prêches radicaux". En réalité, son "crime" est d’avoir dénoncé l’islamophobie et le génocide commis en Palestine.
Sa condamnation repose sur un simple retweet d’une personnalité française qui, elle, n’a jamais été inquiétée.
L’offensive islamophobe de l’État
La fermeture programmée de la mosquée des Bleuets s’inscrit dans un contexte d’intensification de l’autoritarisme macroniste, avec pour objectif la destruction de l’indépendance et des droits des musulmans de France, et l’imposition d’un islam sous tutelle du ministère de l’Intérieur.
Ce rapport a été suivi de deux conseils de défense présidés par Emmanuel Macron, reprenant la rhétorique de l’extrême droite sur la "guerre civile" et la "menace musulmane".
Les propositions destinées à une future loi issues de ces conseils ne visent pas à "tirer dans le tas", mais elles sont inédites, sauf à s’en référer à des périodes sombres de l’histoire de France, comme celles des persécutions et des spoliations contre les protestants par la monarchie absolue: extension des pouvoirs exécutifs pour interdire des livres jugés dangereux, gels d’avoirs préventifs, mais également entraves au financement de nouveaux lieux de culte.
De la loi Séparatisme aux dissolutions arbitraires
Comme lors de la séquence précédant la loi Séparatisme, le gouvernement n’a pas attendu une nouvelle législation pour agir.
À l’époque, au moins 22 mosquées ont été fermées par arrêté ministériel après l’assassinat de Samuel Paty, en quelques semaines, sur de simples allégations. Des associations, des maisons d’édition et des comptes bancaires ont été visés. L’expulsion très médiatisée de Hassan Iquioussen a ouvert la voie à d’autres expulsions manu militari.
La loi Séparatisme a ensuite systématisé ces pratiques au fil du temps, en consolidant leur fondement idéologique. Même le Conseil français du culte musulman, créé par l’État, a été dissous pour avoir refusé la charte des imams imposée par le gouvernement.
Un exemple marquant: Milli Görüş et la grande mosquée de Strasbourg
Un des exemples de criminalisation qui intéressera particulièrement nos lecteurs est l’affaire de 2022 autour de la grande mosquée de Strasbourg et de la fédération Milli Görüş, qui avait refusé de signer cette charte bridant la liberté de culte des seuls musulmans.
Depuis des décennies, les membres présents en France de cette organisation turque gèrent des dizaines de lieux de culte paisiblement intégrés au paysage français. Mais au moment où la municipalité écologiste de Strasbourg a voté une subvention pour aider au financement de la construction de la grande mosquée, la réaction de l’État a été violente.
Gérald Darmanin a publiquement accusé la mairie de financer "l’ingérence étrangère", assimilant Milli Görüş à un danger pour la République.
Ce scandale, monté en épingle par les médias, a déclenché une vague de turcophobie médiatique et politique. Pourtant, sur le terrain, la fédération travaillait avec les collectivités locales exactement comme le font les églises catholiques ou les temples protestants. Cette polémique illustre bien comment l’État fabrique artificiellement des ennemis intérieurs, en ciblant des organisations musulmanes établies de longue date et reconnues localement.
L’IESH de Château-Chinon: un coup de tonnerre
Trois ans plus tard, c’est un autre symbole de la présence musulmane en France qui est détruit: l’IESH de Château-Chinon. Depuis trente ans, il formait des milliers d’étudiants et représentait un poumon économique dans une Nièvre en crise.
Sa dissolution repose sur des accusations absurdes. Si vraiment l’IESH formait des "djihadistes", pourquoi François Mitterrand, qui avait soutenu son ouverture, et tous les gouvernements suivants l’auraient-ils laissé fonctionner pendant des décennies ?
Un arsenal répressif hors de contrôle
Depuis l’état d’urgence, l’extension des pouvoirs de l’exécutif a rendu tout débat impossible. Les sanctions préventives reposent sur des "soupçons étayés"… souvent fondés sur des notes blanches des renseignements généraux.
L’avocat Sefen Guez Guez a récemment révélé un cas édifiant: un couple perquisitionné pour avoir soi-disant distribué des tracts pro-Daech dans une mosquée. En réalité, il s’agissait de tracts… contre Daech.
Au premier semestre 2025, une vague de gels des avoirs a frappé d’abord des activistes musulmans d’Urgence Palestine, Elias d’Imazalene et Omar Alsoumi, avant d’être étendue à des maisons d’édition, des influenceurs et influenceuses, et même à un journaliste d’origine palestinienne.
Une société qui commence à douter
Pourtant, quelque chose change. La jeunesse non musulmane est de moins en moins sensible aux obsessions islamophobes. Localement, les imams comme Ismaïl continuent à bénéficier d’un soutien qui dépasse largement la communauté musulmane.
Même à gauche, où la lâcheté fut longtemps de mise, la politique islamophobe de l’État suscite désormais des protestations. Et au-delà, dans la société française, une question surgit de plus en plus clairement:
Depuis des années, ils dénoncent l’islamophobie d’État et le danger qu’elle représente pour la démocratie dans son ensemble, ainsi que les crimes commis contre le peuple palestinien. Ils ont été réduits au silence par la répression et la criminalisation de leurs voix religieuses, intellectuelles et militantes. Mais aujourd’hui, alors que le terme de "génocide" s’impose partout, leurs alertes apparaissent non seulement légitimes, mais prophétiques.