Raşid Ghannouchi et Jawhar Ben Mbarek : la dignité en grève de la faim

10:2110/11/2025, lundi
MAJ: 10/11/2025, lundi
Yasin Aktay

Parmi les figures des mouvements islamiques contemporains, peu ont autant défendu la démocratie, les droits humains, la coexistence et le dialogue que Raşid Ghannouchi. Il a bâti un discours islamique singulier en intégrant ces valeurs souvent perçues comme "occidentales" dans sa propre rhétorique religieuse, brisant ainsi les réflexes de méfiance traditionnels. Après le déclenchement du Printemps arabe à Tunis, Ghannouchi n’a pas abandonné ces principes au moment d’accéder au pouvoir ; au contraire,

Parmi les figures des mouvements islamiques contemporains, peu ont autant défendu la démocratie, les droits humains, la coexistence et le dialogue que Raşid Ghannouchi. Il a bâti un discours islamique singulier en intégrant ces valeurs souvent perçues comme "occidentales" dans sa propre rhétorique religieuse, brisant ainsi les réflexes de méfiance traditionnels.


Après le déclenchement du Printemps arabe à Tunis, Ghannouchi n’a pas abandonné ces principes au moment d’accéder au pouvoir ; au contraire, il les a renforcés. Son approche intellectuelle et sage traduisait une volonté sincère de bâtir la Tunisie avec tous les Tunisiens.


Alors qu’il aurait pu briguer la présidence, il soutint son ami de gauche Moncef Marzouki, facilitant ainsi son élection. Ensemble, ils s’efforcèrent de reconstruire le pays sur la base de la démocratie et de la dignité humaine.


Ghannouchi savait combien les régimes laïcs autoritaires avaient empoisonné la société tunisienne par leurs mythes contre les islamistes. Il voulait purifier ce climat sans occulter les blessures du passé.


Mais, comme dans d’autres pays arabes, la révolution tunisienne fut trahie : un
"coup d’État intérieur",
mené au nom même de la démocratie, suspendit la Constitution. En une nuit, le président Kaïs Saïed — élu avec les voix de la mouvance islamiste — dissout le Parlement présidé par Ghannouchi et fit arrêter le vieux leader de 82 ans sous de fausses accusations.

Aujourd’hui âgé de 84 ans, l’un des penseurs les plus respectés du monde musulman croupit en prison : une honte non seulement pour la Tunisie, mais pour l’ensemble de l’Oumma.

La solidarité silencieuse de la faim


Le 8 novembre, Ghannouchi a entamé une grève de la faim. Non pour protester contre son propre sort, mais par solidarité avec un autre prisonnier politique,
Jawhar Ben Mbarek
.
Dans un message vidéo, sa fille Sümeyye Ghannouchi, rédactrice en chef du magazine
Mim
, a déclaré :

Mon père a rejoint la grève pour soutenir Jawhar Ben Mbarek. Malgré son âge, il résiste de tout son corps, de toute son âme et de toute sa volonté. Il refuse de se soumettre à ce coup d’État insensé et traître.

Jawhar Ben Mbarek : la conscience juridique d’une démocratie confisquée


Peu connaissaient Ben Mbarek avant cet acte de solidarité. Juriste constitutionnaliste reconnu, universitaire et homme politique, il s’est imposé par ses critiques frontales du régime d’exception instauré par Kaïs Saïed depuis le 25 juillet 2021.


Fondateur du mouvement
"Citoyens contre le coup d’État"
, il a dénoncé la dérive autoritaire du président et réclamé le retour à l’ordre constitutionnel. En février 2023, il fut arrêté avec d’autres figures d’opposition, accusé de
"complot contre la sûreté de l’État"
et de
"collaboration avec des puissances étrangères
" — des charges sans fondement.

Ben Mbarek a toujours défendu les libertés publiques. Il considère que le régime actuel a
"pris en otage"
l’État et le peuple :
"Le salut, dit-il, est devenu le masque d’un peuple prisonnier."
Pour lui,
"la Constitution n’est pas un texte sacré, mais un pacte sacré entre le peuple et lui-même".
Ses phrases, souvent devenues des slogans politiques, résonnent encore :

  • "La démocratie trahie ne parle plus au nom du peuple."
  • "Nous faisons opposition non par goût du conflit, mais parce que nous refusons le silence."
  • "La liberté ne se donne pas, elle se conquiert."
  • "Une politique sans morale n’est qu’un marché."
  • "Le peuple est plus fort que la peur."
  • "La légitimité vient des urnes, non du canon d’un fusil."
  • "Chaque prisonnier politique est le miroir de l’État."
  • "Nous continuerons, car s’arrêter, c’est accepter la défaite."

Deux voix, une même cause


Ben Mbarek n’appartient pas au mouvement Ennahda, mais comme Moncef Marzouki et Ghannouchi, il défend la souveraineté populaire confisquée. Ces hommes incarnent une même cause : celle d’une Tunisie libre, démocratique et fidèle à l’esprit du Printemps arabe.


Et tandis que les puissants festoient, c’est un vieil homme, seul dans sa cellule, qui rappelle au monde que la liberté exige parfois le prix du corps et de la faim.

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