Le boom solaire du Pakistan menace l’environnement

16:1527/10/2025, lundi
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Alors que l’énergie solaire aide le Pakistan à combler son déficit énergétique, experts et écologistes alertent sur les risques environnementaux liés aux déchets électroniques.
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Alors que l’énergie solaire aide le Pakistan à combler son déficit énergétique, experts et écologistes alertent sur les risques environnementaux liés aux déchets électroniques.

Le toit d’un vaste moulin à riz dans le district oriental de Karachi, capitale économique du Pakistan, est entièrement recouvert de panneaux solaires d’un bleu éclatant, absorbant les rayons du soleil de midi.

Cette installation fait partie des milliers d’unités industrielles à travers le pays qui se sont tournées vers l’énergie solaire pour contrer la hausse des tarifs de l’électricité et les coupures de courant à répétition.


Ce pays d’Asie du Sud, peuplé de quelque 255 millions d’habitants, connaît un essor spectaculaire du solaire, particulièrement depuis deux ans, après le plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI) ayant contraint Islamabad à augmenter fortement les tarifs de l’électricité et du gaz afin de soutenir un secteur énergétique lourdement endetté.

Des entreprises pharmaceutiques aux cimenteries de Karachi, des unités textiles de Faisalabad aux supermarchés et mosquées de Lahore, les panneaux solaires associés à des batteries lithium-ion se sont imposés comme une alternative fiable au réseau national.


"Nous n’avions pas d’autre choix que de passer au solaire, les factures d’électricité étaient devenues intenables pour les industriels"
, confie Rafique Suleman, propriétaire du moulin et ancien président de l’Association des exportateurs de riz du pays. Le passage au solaire lui a permis de réduire jusqu’à 50 % ses dépenses énergétiques mensuelles.
"Avec les tarifs actuels, l’industrie pakistanaise ne peut pas survivre sans l’énergie solaire"
, ajoute-t-il.

Selon Mehwish Salman Ali, directrice générale de Data Vault Pakistan, le solaire est un
"véritable moteur de changement"
capable d’aider le pays à combler ses déficits chroniques d’énergie grâce à une électricité abordable et fiable.

"Nous avons vu la part du solaire tripler pour atteindre 14 % en 2025, avec des zones rurales à 25 % dès les premiers mois"
, indique-t-elle. D’après le groupe de réflexion britannique Ember, le Pakistan figure désormais parmi les leaders asiatiques pour la part du solaire, devant la Chine (9 %) et l’Inde (6 %).

Défis environnementaux


Si l’essor du solaire a réduit le déficit énergétique, les écologistes alertent sur la montée des déchets électroniques qui s’ajoutent aux défis environnementaux du pays, déjà parmi les dix plus affectés par le changement climatique.


Depuis 2015, la baisse du coût des panneaux, les pénuries d’électricité et les incitations à la revente ont accéléré l’adoption du solaire. On estime aujourd’hui à près de 3 millions le nombre d’utilisateurs de systèmes solaires, selon le recensement de 2023. En 2024, la Chine a exporté 16,6 gigawatts de capacité solaire vers le Pakistan, soit cinq fois plus qu’en 2022.

"Bien que l’énergie solaire soit propre et renouvelable, les déchets électroniques générés par ses composants — notamment les panneaux, onduleurs et batteries — représentent un défi environnemental croissant"
, explique Rafiul Haq, environnementaliste basé à Karachi.

La majorité des systèmes utilisent des batteries au plomb, au lithium-ion ou au gel, avec une durée de vie de 10 à 25 ans. Faute de structures de recyclage, ces éléments finissent souvent comme déchets électroniques.

Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estimait en 2023 que plus de 80 % du recyclage des batteries au plomb au Pakistan est informel, exposant travailleurs et riverains à des risques neurotoxiques.


Le pays ne dispose actuellement d’aucune installation dédiée au recyclage des panneaux solaires ou des batteries.
"Les premières installations de panneaux, datant de 2010 à 2015, arrivent en fin de vie. Sans cadre de recyclage, des millions de panneaux pourraient générer des milliers de tonnes de déchets électroniques d’ici la prochaine décennie"
, prévient Haq.

Il appelle à la création d’un
"cadre national de gestion des déchets solaires"
et à l’adoption de lois sur le recyclage, la collecte et la responsabilité des producteurs.

Un système sous tension et une fracture sociale


L’expert énergétique Mustafa Amjad souligne que
"le système électrique n’est pas encore prêt à absorber l’ensemble de cette production solaire"
, tout en estimant que
"le pays devra s’adapter plus vite que prévu"
.

Waqar Phulpoto, directeur général de l’Autorité de protection de l’environnement du Sindh (SEPA), nuance toutefois:
"La question des déchets électroniques est bien réelle, mais elle n’a pas encore atteint un niveau critique."
Il assure que des lignes directrices et une législation sont à l’étude pour prévenir la crise environnementale à venir.

En moyenne, les Pakistanais consacrent plus d’un quart de leurs revenus à l’électricité, poussant les ménages à se tourner vers le solaire. Cependant, les foyers les plus modestes restent exclus de cette transition, ne bénéficiant d’un répit que pendant la journée. Dans les campagnes, les agriculteurs les plus aisés exploitent des pompes solaires pour irriguer leurs terres, tandis que les plus pauvres utilisent de simples plaques pour alimenter un ventilateur.

Cette fracture énergétique, selon Mehwish Ali, freine la croissance économique, notamment dans les zones rurales déjà dépourvues d’accès fiable à l’électricité.


Malgré une légère baisse des tarifs décidée par le gouvernement de Shehbaz Sharif après des négociations avec les producteurs indépendants, le coût de l’électricité reste prohibitif pour la majorité des ménages.


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