Les musulmans voteraient par antisémitisme et non pour la lutte contre l’islamophobie

09:4811/12/2025, jeudi
MAJ: 11/12/2025, jeudi
Fatih Karakaya

Lorsque Nathalie Saint-Cricq, directrice des rédactions de France Télévisions et par ailleurs engagée au CRIF, a affirmé le 3 décembre que l’antisémitisme ferait partie intégrante du "vote musulman" , elle n’a pas seulement franchi une ligne rouge morale. Elle a réactivé un vieux fantasme politique français : celui d’un électorat musulman homogène, manipulé, mû par des pulsions irrationnelles et non par des préoccupations citoyennes. Lors de son interrogatoire plus que son interview avec Alexis

Lorsque Nathalie Saint-Cricq, directrice des rédactions de France Télévisions et par ailleurs engagée au CRIF, a affirmé le 3 décembre que l’antisémitisme ferait partie intégrante du
"vote musulman"
, elle n’a pas seulement franchi une ligne rouge morale. Elle a réactivé un vieux fantasme politique français : celui d’un électorat musulman homogène, manipulé, mû par des pulsions irrationnelles et non par des préoccupations citoyennes.

Lors de son interrogatoire plus que son interview avec Alexis Corbière, la journaliste est allée plus loin encore, accusant LFI de tenir des propos antisémites sans jamais être en mesure d’en citer un seul, et laissant entendre que les musulmans seraient séduits par ces prétendus débordements en raison d’une prédisposition supposée. Le malaise a été immédiat.


Face aux réactions indignées, Saint-Cricq a publié un message sur X pour dire que ses propos avaient été tronqués et qu’elle s’excusait
"d’avoir blessé certaines personnes"
.
Or, manque de chance pour elle, l’extrait qu’elle a elle-même publié confirmait exactement ce qu’on lui reprochait. Alexis Corbière, visiblement stupéfait, lui rappelle que ses propos relèvent de la diffamation. Mais la directrice persiste et déclare même que
"[le programme antisémite de LFI] ça aide".

Ainsi, ce qui choque la journaliste semble moins relever d’un programme politique que d’une obsession : celle d’un vote musulman organisé, orienté, presque discipliné. Une chimère qui a la vie dure dans certains cercles médiatiques.


Et pourtant, un simple détour par l’histoire électorale récente suffit à démonter ce récit. Jérôme Fourquet, analyste de l’Ifop, rappelait qu’en 2012,
86 % des citoyens français de confession ou de culture musulmane ont voté pour François Hollande au second tour. Non pas par antisémitisme
,
évidemment, mais parce qu’ils avaient l’espoir légitime d’un changement de climat politique, d’un retour à un vivre-ensemble apaisé. Autrement dit, ils votent, comme tous les autres citoyens, pour leurs intérêts, leurs droits, leur avenir.


Les musulmans votent aussi pour leurs intérêts, et surtout pour leur dignité


Ce que Saint-Cricq refuse de voir, c’est que les musulmans en France vivent, travaillent, payent leurs impôts, élèvent leurs enfants et subissent la hausse du coût de la vie comme n’importe quel autre groupe social. Ils souhaitent pratiquer leur religion sans être constamment suspectés.
Après l’élection de Nicolas Sarkozy, beaucoup se sont retrouvés stigmatisés, essentialisés, accusés d’importer un problème que personne n’arrivait à définir clairemen
t.

Le quinquennat Hollande n’a pas atténué cette pression. La nomination de Manuel Valls a marqué un tournant, avec sa volonté de criminaliser les pratiques religieuses ordinaires. Il fut l’un des premiers responsables politiques à employer le terme
"islamofascisme"
, amalgamant sans nuance les croyants et les extrémistes.

Puis vint Emmanuel Macron, qui avait promis d’être un rempart contre l’extrême droite mais qui, très souvent, a choisi la surenchère. Jamaias l'extrême droite n'a été aussi forte. Le concept de
"séparatisme musulman"
, forgé de toutes pièces, a ouvert la voie à une politique de surveillance inédite. Celui
d’"entrisme musulman"
a renforcé l’idée d’une population soupçonnée d’agir contre la République.

Les fermetures de mosquées, la dissolution d’associations, la répression contre des militants ou citoyens musulmans ont été plus nombreuses sous Macron que sous ses prédécesseurs. Ces décisions ont marqué les consciences, creusé le fossé et convaincu beaucoup que leurs droits fondamentaux étaient devenus négociables.


LFI : non pas un refuge idéologique, mais la seule issue face à l’islamophobie politique


Dans ce climat nauséabond, Saint-Cricq semble attendre des musulmans qu’ils développent une forme de syndrome de Stockholm politique et continuent de voter pour ceux qui les accusent de tous les maux du pays, transforment les pratiques religieuses les plus banales en signe de radicalité et les réduisent à une catégorie dangereuse.


Or, un élément supplémentaire complexifie encore davantage le tableau : au sein même de LFI, formation pourtant perçue comme un rempart contre l’islamophobie institutionnelle, certains discours ont pu laisser transparaître une forme de turcophobie assumée. Des déclarations méfiantes sur la diaspora turque, des sous-entendus sur son organisation ou sa loyauté supposée ont parfois heurté les Franco-Turcs, qui se sont sentis caricaturés, comme si leurs engagements associatifs ou politiques étaient nécessairement suspects.


Pourtant, malgré ces maladresses et ces angles morts, de nombreux électeurs musulmans – et notamment des électeurs d’origine turque – continuent de se tourner vers LFI. Non pas par affinité totale, mais parce que, face aux autres partis qui considèrent explicitement les musulmans, et plus encore les Turcs, comme des ennemis potentiels de la République, LFI demeure la seule formation qui ne les renvoie pas systématiquement à une altérité menaçante.


Autrement dit, si des Franco-Turcs votent pour LFI, ce n’est pas parce qu’ils adhèrent à chaque prise de position de la formation, mais parce que dans l’arène politique française, ils se trouvent constamment enfermés dans le rôle de suspects. Les discours qui les décrivent comme un corps étranger, un cheval de Troie ou une communauté sous influence étrangère contribuent à les pousser vers ceux qui ne les essentialisent pas.


Cela en dit long sur l’état du débat public : lorsque le choix politique devient un choix de survie symbolique, ce n’est plus un vote d’adhésion, mais un vote de protection.


Ainsi, on ne peut donc reprocher aux musulmans de voter pour un parti qui refuse leur déshumanisation. LFI soutient les droits des Palestiniens ; cela ne fait pas d’elle une formation antisémite, pas plus que critiquer la politique israélienne n’équivaut à haïr les juifs. En revanche, ceux qui, comme Saint-Cricq, suggèrent que les musulmans seraient mus par l’antisémitisme et non par le refus de l’islamophobie participent clairement à nourrir un climat hostile.


Le vote musulman, s’il existe comme tendance sociologique, n’est pas dirigé par une idéologie cachée : il résulte d’un besoin vital de justice, d’égalité et de respect. Ce n’est pas un vote
"contre"
, mais un vote
"pour"
la dignité.

LFI ne répond pas à toutes les attentes des musulmans de France


Il faut d’ailleurs le rappeler avec clarté : LFI ne satisfait pas toutes les attentes des musulmans de France. Ceux-ci ne cherchent ni privilège, ni passe-droit, ni réarrangement culturel du pays.
Ils souhaitent simplement vivre en paix, pratiquer librement leur religion et participer pleinement à la société française sans être constamment sommés de prouver leur loyauté.
Contrairement aux fantasmes récurrents, ils n’ont jamais demandé d’effacer la culture française, jamais intenté de procédure judiciaire pour faire disparaître Noël, la galette ou la laïcité. Leur aspiration est beaucoup plus simple, presque banale : être traités comme des citoyens à part entière.

Pourtant, le discours politique dominant s’est progressivement durci. Hier, les responsables politiques parlaient
d’"islamisme"
; aujourd’hui, ils n’hésitent plus à viser directement
"l’islam"
, glissant d’un concept politique vers une religion en tant que telle. Les pratiques les plus courantes – comme le port du voile – sont désormais qualifiées de
"radicales"
par des responsables comme Bruno Retailleau, ce qui revient à criminaliser la normalité religieuse.

Dans un tel contexte, il ne serait nullement surprenant de voir émerger des partis politiques fondés par des Français issus de l’immigration. Comme le FN est né d’une vision nationaliste, comme les Verts se sont construits autour de l’écologie et comme le macronisme s’est organisé autour de la défense des intérêts économiques des riches,
des citoyens musulmans pourraient à leur tour créer des formations politiques dédiées à la défense de leurs droits fondamentaux.
Non par communautarisme, mais par nécessité démocratique et par instinct de survie symbolique, face à une classe politique qui, trop souvent, les traite comme un problème à gérer plutôt qu’une population à représenter.

C’est aussi cela, la démocratie : permettre à chaque groupe maltraité par le discours public de se structurer, de s’exprimer et de défendre sa dignité sans être accusé de trahir la République.

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