À Gaza, l'impossible repos des morts

La rédaction
19:1629/01/2024, lundi
MAJ: 29/01/2024, lundi
AFP
Un cimetière dans la ville de Gaza, endommagé par l'armée d'occupation, le 05 janvier 2024.
Crédit Photo : AFP / Archive
Un cimetière dans la ville de Gaza, endommagé par l'armée d'occupation, le 05 janvier 2024.

Certains corps sont exhumés par l'armée israélienne qui cherche des dépouilles d'otages, d'autres sont enterrés à la hâte, parfois dans les hôpitaux ou les écoles. À Gaza, même les corps ne sont pas en paix.

Dans le district d'Al-Tuffah de la ville de Gaza, au nord du territoire palestinien, des corps enveloppés dans des linceuls émergent d'un sol chahuté. L'armée a investi le site avec des bulldozers, selon un photographe de l'AFP qui s'est rendu sur les lieux il y a plusieurs jours.


Le ministère des Affaires religieuses affirme que 2.000 tombes ont été ouvertes ou détruites sur le territoire.

Interrogée par l'AFP, l'armée israélienne n'a pas commenté l'usage de bulldozers. Mais elle admet agir
"dans des lieux spécifiques où les informations indiquent que les corps d'otages peuvent être localisés".

L'attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre a entraîné la mort d'environ 1.140 personnes en Israël, selon un décompte de l'AFP réalisé à partir de chiffres officiels israéliens.


En riposte, Israël a juré d
'"anéantir"
le mouvement palestinien et lancé une vaste opération militaire à Gaza, qui a fait 26.637 morts, en grande majorité des femmes, enfants et adolescents, selon le dernier bilan lundi du ministère de la Santé du Hamas.

"Leurs âmes tremblaient"


Depuis l'école du gouvernorat de Deir Al-Balah (centre de la bande de Gaza) où elle vit avec de nombreuses autres personnes déplacées par la guerre, Saida Jaber se souvient du moment où elle a vu des images du cimetière détruit du camp de Jabaliya sur les réseaux sociaux.


"J'ai cru que mon cœur allait s'arrêter"
, raconte à l'AFP cette femme dont le père, les grands-parents et d'autres proches sont enterrés sur le site.
"J'ai senti que leurs âmes tremblaient
(...)
. Je ne peux imaginer comment quelqu'un ose creuser dans des tombes et violer la sainteté des morts".

La violence des combats depuis cinq mois, qui a déplacé une grande majorité des 2,4 millions d'habitants de Gaza, a rendu impossible pour beaucoup d'entre eux de trouver un cimetière digne de ce nom.

Il a fallu faire au plus simple.


Dans une école devenue abri pour déplacés du camp de réfugiés de Maghazi (centre), une femme pose la main sur le sol. Sa fille est enterrée là.


Elle
"est morte dans mes bras. On a attendu un jour et une nuit mais on n'a pas pu l'emmener aux urgences",
dit-elle, sans donner son nom. Elle affirme que des roquettes ont frappé le complexe scolaire, faisant exploser des bouteilles de gaz.

Un homme qui s'approche du site affirme que 50 corps y sont inhumés à raison de trois ou quatre corps dans chaque tombe, leurs noms inscrits sur une brique ou sur un mur adjacent.


"Mourir de chagrin"


Depuis le début du conflit, les journalistes de l'AFP ont vu des fosses communes dans toute la bande de Gaza. Y compris dans l'hôpital Al-Chifa où des corps ont été portés en terre par rangées, les tombes séparées par des pierres ou des branches d'arbres plantées dans le sol.


"Si nous étions allés au cimetière, (les Israéliens) auraient pu nous bombarder et nous serions morts",
justifie Arfan Dadar, 46 ans, qui vit dans une tente avec sa famille dans l'enceinte de l'hôpital.

Il explique que son fils de 22 ans a été abattu alors qu'il revenait à l'hôpital.
"J'ai marqué sa tombe"
mais
"désormais, le parc de l'hôpital est bourré de fosses communes. Je reconnais à peine la tombe de mon fils".

Certains espèrent pouvoir organiser des funérailles en bonne et due forme une fois la guerre terminée. Wael Al-Dahdouh, chef du bureau de la chaîne de télévision Al Jazeera à Gaza, affirme qu'il n'a
"pas eu le choix"
que d'enterrer son fils, tué par une frappe israélienne, dans un cimetière surchargé du sud de Rafah, près de la frontière égyptienne.

"Nous le transfèrerons dans le cimetière des martyrs de (la ville de) Gaza après la guerre. Nous voulons que sa tombe soit près de nous, pour que nous puissions venir le voir et prier pour lui".

Déplacée à Deir Al-Balah, Saida Jaber veut pour sa part retourner à Jabaliya pour vérifier que ses proches y sont toujours enterrés.


Je mourrais de chagrin s'ils ont été emportés.

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