Au Tchad, les diplômés désœuvrés rêvent de la fonction publique

13:2120/02/2024, mardi
MAJ: 20/02/2024, mardi
AFP
Nan-Arabé Lodoum (3e à gauche), 34 ans, pose avec d'autres membres de l'Association des diplômés chômeurs à N'Djamena le 19 février 2024.
Crédit Photo : GUEIPEUR DENIS SASSOU / AFP
Nan-Arabé Lodoum (3e à gauche), 34 ans, pose avec d'autres membres de l'Association des diplômés chômeurs à N'Djamena le 19 février 2024.

Ils sont Tchadiens, trentenaires, diplômés depuis plus de 10 ans mais toujours au chômage. Enchaînant les petits boulots de rue à N'Djamena, ils survivent, dans le fol espoir de devenir fonctionnaires.

Dans la vaste cour recouverte de sable de l'école publique de Chagoua Fdar, quartier populaire de la capitale tchadienne, une dizaine de jeunes hommes adossés à leurs motos militent à l'Association des Diplômés sans Emploi. Dans la foulée, Nan-Arabé Lodoum, 34 ans, le coordinateur de l'association, s'exclame:


Nos aînés ont été automatiquement insérés, certains sont professeurs d'université. On ne pensait pas que nous allions être des malheureux.

Le pays compte quelque 57.000 étudiants dans l'enseignement supérieur, selon le gouvernement.


Certaines formations, au concours d'entrée sélectif, garantissent le statut d'élève fonctionnaire puis, après le diplôme, de fonctionnaire. En principe. Mais cela n'a pas été le cas pour Nan-Arabé, comme beaucoup d'autres. 

En 2014, il a obtenu une licence en sciences biomédicales. Dix ans après, il ferait presque partie des chanceux car il est enseignant vacataire dans une école de santé publique. Seulement, avec un contrat de 30 heures annuelles pour un salaire de 90.000 francs CFA, il ne gagne que l'équivalent de 137 euros par an.


Très loin des 400.000 francs mensuels (610 euros) auxquels peut prétendre un technicien de laboratoire débutant dans le service public. 

Il gagne chichement sa vie comme
"moto-taxi"
le reste du temps. D'autres diplômés du supérieur sont marchands ambulants ou manœuvres sur les chantiers. Dans le secteur informel.

"Relations"


"Si on se retrouve à 10 ans de chômage avec un diplôme, c'est juste par manque de relations"
, se désole Nan-Arabé. Pour lui, seuls deviennent fonctionnaires ceux qui ont un piston.

Benjamin Roukika Pontchombé, 33 ans et diplômé en 2014, s'enquiert de l'avancée de son dossier plusieurs fois par mois en venant au ministère de la Fonction publique. Sur les mures de cette institution, les affichettes avertissent:


Les renseignements ne se donnent que les mardis et jeudis. N'insistez pas.

Les agents de saisie croulent sous les dossiers. Certains, empilés sur le sol et couverts de poussière, portent un tampon
"2020".

Cela fait dix ans que Benjamin s'entend prétexter que son dossier n'est pas encore informatisé.


Renoncer à un emploi public est difficilement envisageable pour ces diplômés.
"On ne veut pas abandonner ce qu'on a construit, on veut obtenir gain de cause"
, martèle Nan-Arabé.

En 2022, l'ONU indiquait que 60% des demandes d'emploi émanaient de jeunes diplômés de 25 à 35 ans et l'institut de statistiques de l'Etat assurait en 2017, dernier chiffre connu, que 60% des jeunes diplômés étaient au chômage.

Dans l'un des pays le moins développé au monde, plus de 42% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (environ 2 euros par jour), selon l'ONU en 2022. 


"La fonction publique n'est pas la seule opportunité pour se frayer un chemin dans la vie. Au Tchad cela fait plusieurs années que l'intégration des jeunes est bloquée",
constate Céline, une fonctionnaire de 34 ans, qui préfère garder l'anonymat. Elle veut quitter la fonction publique après quatre ans, mécontente de son salaire.

"Bombe"


Le chômage de masse chez les jeunes est une
"bombe à retardement"
, assurait le Premier ministre Succès Masra en janvier dernier dans son discours d'investiture. L'ancien opposant à la junte militaire au pouvoir veut faire du Tchad
"une start-up nation"
et promet 100.000 emplois dans le privé pour les jeunes, sans préciser quand ni comment.

Au printemps 2021, le Président Idriss Déby Itno, qui dirigeait le pays d'une main de fer depuis 30 ans, en avait fait le thème principal de sa campagne pour la présidentielle, promettant un emploi à
"tous"
les jeunes diplômés au chômage.

Il a été tué par des rebelles en se rendant au front le 19 avril 2021 et l'armée a proclamé le lendemain son fils le général Mahamat Idriss Déby Itno Président de transition, à la tête d'une junte de 15 généraux. 


Ce dernier sera candidat à la présidentielle prévue en 2024. Le vote des jeunes sera essentiel: en 2012 (aucune statistique récente n'existe) une étude d'un démographe pour le gouvernement estimait que
"plus de deux Tchadiens sur trois"
avaient moins de 25 ans.

"L'université est pratiquement sans débouchés, le marché de l'emploi ne répond pas à la formation"
, juge Wilfried Modjim, 25 ans, licence de droit en poche. Aujourd'hui, il cultive des salades pour environ 62.000 francs CFA par mois (95 euros), à peine plus que le salaire minimum garanti. 

"Tout ce qu'on vous propose, c'est l'armée"
, se désespère un autre diplômé au chômage, Luc Ayang Ndikdandji. A 35 ans, il n'est plus qu'à cinq années de l'âge limite pour entrer dans la fonction publique.

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