En Pologne, derniers échanges de soldats français avec des Ukrainiens partant pour le front

13:486/04/2024, Saturday
MAJ: 6/04/2024, Saturday
AFP
Des soldats ukrainiens recevant des instructions lors d'un entraînement militaire avec des militaires français dans un complexe d'entraînement militaire situé dans un lieu non divulgué en Pologne, le 4 avril 2024.
Crédit Photo : Wojtek Radwanski / AFP
Des soldats ukrainiens recevant des instructions lors d'un entraînement militaire avec des militaires français dans un complexe d'entraînement militaire situé dans un lieu non divulgué en Pologne, le 4 avril 2024.

Pour la dernière fois avant de partir combattre face à l'armée russe, un groupe de soldats ukrainiens s'engouffre dans une tranchée boueuse en Pologne, sous le regard grave des instructeurs français qui les suivent depuis plusieurs semaines.

Sur le passage de ces hommes aux joues rougies par l'effort, des pièges à la grenade explosent, des fumigènes réduisent la visibilité, les tirs retentissent.


"L'objectif est de s'emparer de la tranchée. Il faut avancer vite, mais pas trop pour pouvoir tenir ce qui a été occupé, sans tarder non plus, c'est un équilibre difficile"
, commente le lieutenant français Louis, le bas du visage masqué par un cache-cou.

Malgré une dizaine de blessés qui ont réussi à se poser un garrot, l'objectif de l'exercice est à
"100% atteint"
, juge en fin de séance le capitaine Julien, qui commande la compagnie d'instructeurs.

Environ 200 militaires français se relaient depuis février 2023 en Pologne pour entraîner 600 soldats ukrainiens tous les deux mois sur un camp dont la localisation est tenue secrète, dans le cadre d'une mission de l'Union européenne.


"Il s'agit de former des soldats qui seront engagés sur la ligne de contact, sur le front, et seront potentiellement amenés à combattre, voire à mourir... C'est ça qui donne de la densité à cette mission"
, explique le colonel Antoine Laparra, le représentant français en Pologne.

La France n'a pas combattu dans des tranchées depuis la Première Guerre mondiale (1914-1918) ou la bataille de Diên Biên Phu en 1954.

Mais
"c'est la même mécanique qu'en combat en zone urbaine, la coordination des mouvements est la même. Nous avons un long savoir-faire et un bon entraînement en la matière en France"
, fait valoir l'officier.

Jeudi, dernier jour de formation, les soldats ont également mené une manoeuvre interarmes à balles réelles pour tester tous les savoir-faire acquis.


La manoeuvre a associé des fantassins à pied et des spécialistes du déminage, de l'artillerie légère (tirs de mortiers) ou des drones, qui grouillent par centaines au-dessus du champ de bataille ukrainien.

"Cette combinaison est un plus qu'on leur transmet, c'est un schéma reproductible à l'infini"
, commente le capitaine David.

Atmosphère grave


Soldats expérimentés, vétérans de la guerre du Donbass après l'annexion russe de la Crimée en 2014, jeunes professionnels, ingénieur ou boulanger, tous les Ukrainiens présents sur le camp sont
"volontaires"
et
"très motivés"
, assurent les instructeurs français.

Une cinquantaine d'interprètes, en majorité des femmes, vivent avec intensité l'entraînement de leurs compatriotes, tels des alter ego. Ce travail de traduction,
"c'est une façon pour nous d'aider notre pays"
, commente une Ukrainienne sous couvert d'anonymat.

Depuis le début de la guerre, le 24 février 2022, l'armée ukrainienne a subi de lourdes pertes dont le détail est gardé secret.


Mais selon différentes sources, le bilan humain de deux ans d'invasion russe se compte en centaines de milliers de morts au total.


Contrairement au début du conflit, l'Ukraine peine aujourd'hui à trouver des volontaires pour le front et face au manque d'hommes, le président ukrainien Volodymyr Zelensky vient d'abaisser l'âge de la mobilisation militaire de 27 à 25 ans.

Pour éviter de nouer des liens affectifs avec ces militaires qui risquent de mourir au combat, les Français ne partagent pas les mêmes quartiers que les Ukrainiens.


"Il y a une certaine empathie, on se connaît, on rigole ensemble, on travaille, on planifie ensemble"
, confesse le capitaine Julien.

On est conscients de la situation, mais on est préparés à cela.

Avant le départ des soldats pour l'Ukraine, l'atmosphère est grave sur le camp militaire au milieu d'une forêt de sapins traversée par une légère pluie. Pour les jeunes soldats français, c'est la toute première fois qu'ils côtoient des hommes en partance pour une guerre aux portes de l'Europe.


Vendredi, après une cérémonie de remise de médailles qui a solennellement clôturé la formation, les soldats ukrainiens ont fait leurs adieux à leurs frères d'armes français, échangé des cadeaux, avant leur retour au pays.


Avec au fond d'eux l'espoir de réaliser une percée sur un front gelé depuis maintenant plusieurs mois.


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