France: un candidat musulman rejeté par la police à cause d'une marque due à ses prières

15:5016/09/2023, Saturday
MAJ: 16/09/2023, Saturday
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Crédit photo: DENIS CHARLET / AFP
Crédit photo: DENIS CHARLET / AFP

Malgré sa réussite à tous les tests, la préfecture de police de Paris a refusé l'entrée d'un jeune candidat musulman à l'école de police, à cause d'une marque sur le front qui est due à ses prières.

Selon l'information rapportée, ce vendredi, par Mediapart, devenir policier était un "rêve d'enfant" pour Karim*, 24 ans.


Après avoir passé et réussi tous ses examens, il ne lui reste que l’enquête de moralité à passer pour obtenir l’agrément de la préfecture et rejoindre l’école de police, rapporte le journal.

Karim prend alors part à un entretien en mars 2021, avec un agent du commissariat de Poissy (Yvelines), et il est questionné sur la marque qu'il a sur le front. Il s'agit d'une marque causée par un épaississement de la peau dû à la pratique régulière de la prière musulmane et au frottement du front sur le tapis, précise Mediapart.


Le jeune homme explique en toute transparence qu'il est musulman et qu'il prie depuis le lycée. Il précise que tous les musulmans n'ont pas cette marque, mais que certains ont l'épiderme plus sensible que d'autres. L'agent lui répond qu'il aura
"une réponse rapidement".

Après sept mois d'attente, le jeune homme reçoit un courrier de la préfecture lui signalant qu'il n'était pas retenu.

"Lors de votre entretien, ont été soulevés des éléments d’interrogation quant à l’indispensable devoir de neutralité d’un policier. En conséquence, les faits précités étant incompatibles avec les fonctions sollicitées, votre candidature ne devrait pas recevoir l’agrément du préfet de police"
, indique le courrier de la préfecture, faisant référence à cette marque sur sa peau frontale.

Après ce refus, Karim exerce un recours pour exposer de nouveaux arguments. Il produit de nombreux témoignages pour prouver qu’il
"n’a rien d’un terroriste ou d’un islamiste"
, rapporte Mediapart, précisant qu'un major de police témoigne de son
"sérieux".

"Je ne comprenais pas comment on pouvait me reprocher la pratique privée de mon culte. Je n’ai rien d’un musulman radical. J’ai été honnête. Que fallait-il que je fasse? Que je mente et que je dissimule ma tâche"
, s'interroge le jeune homme dont les recours n'apportent pas le résultat escompté.

La préfecture confirme que c'est bien cette marque qui pose un problème.


Karim conteste ensuite cette décision devant le tribunal administratif et obtient ainsi des précisions sur son dossier.

L’enquête policière note que l'apparition d'une
"marque de piété ostensible, chez une personne aussi jeune, interroge, alors que celui-ci s’impose visiblement depuis déjà un certain temps cette contrainte physique".

"Le fait pour [Karim*] de présenter sur le haut de son visage un tel signe, qu’il n’est d’ailleurs pas en mesure de pouvoir dissimuler, constitue une manifestation ostensible de ses croyances religieuses, manifestation qui se poursuivrait durant l’exercice des fonctions envisagées. De plus, la présence de cette marque sur une personne aussi jeune interroge et révèle un possible risque de repli identitaire"
, lit-on encore dans les conclusions de l'enquête.

Mediapart rapporte que
"la piété du candidat est l’unique raison avancée par la préfecture pour empêcher Karim d’entrer en école de police. En plus d’associer sa pratique à une forme de radicalisation, le préfet de police estime que sa tache porterait atteinte au devoir de 'neutralité' puisqu’elle manifesterait 'nécessairement ses croyances religieuses"
.

"Je ne suis absolument pas dans le prosélytisme. Je n’y suis pour rien si j’ai ça sur le front et que j’ai eu l’honnêteté de dire pourquoi [...] C’est comme refuser l’école de police à un bûcheron parce qu’il a les mains marquées, explique le jeune homme à Mediapart. "Il y a des policiers musulmans aussi pratiquants que moi qui n’ont pas cette tache. Faut-il tous les renvoyer ?"
, s'interroge-t-il.

Le journal en ligne rappelle que l'argumentaire de la marque sur le front a été repris par l'ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, notamment lors d'une commission parlementaire, après l’attentat contre la préfecture de police par Mickaël Harpon en 2019.

Parmi les signes de
'radicalisation'
, le ministre citait
"le port de la barbe, le refus de serrer la main à une collègue féminine, le fait de présenter une hyperkératose au milieu du front".

"C’est la tabaâ, le prosélytisme religieux intempestif"
, poursuivait Christophe Castaner. Mediapart rapporte que le ministre avait alors
"largement moqué et critiqué"
pour cette déclaration.

Cité par Mediapart, l'avocat de Karim, Benjamin Ingelaere fustige un
"amalgame délirant".

"Faire deux prières par jour, ça irait, mais quatre, ce serait être radical? Et la préfecture refuse aussi les catholiques très pratiquants? Par cette décision, la préfecture réalise un mélange pour le moins nauséabond entre la pratique d’une religion et l’incompatibilité avec une mission de service public. Elle dit simplement à tous les musulmans pratiquants qu’ils ne peuvent plus accéder à la fonction publique"
, estime l'avocat, ajoutant que
"Karim n’a, en aucune manière, un comportement de nature à méconnaître le principe de laïcité, et c’est là justement le nœud du litige. C’est un état qui est reproché à l’intéressé, et non des actes"
, souligne-t-il.

Mediapart rapporte que le tribunal administratif a pourtant validée cette décision le 21 avril 2023.

Devant les juges, la préfecture de police de Paris a toutefois revu sa défense pour ne plus parler de repli identitaire et donc ne plus faire l’amalgame entre islam et islamisme. Elle a fait disparaître l’argument du
"repli identitaire"
supposé et a exclusivement mis en avant l’atteinte
"au devoir de neutralité"
, lit-on dans les colonnes du journal d'investigation.

Le journaliste David Perrotin conclut en précisant que Karim a saisi la cour d’appel administrative et la Défenseure des droits pour que cette interdiction de
"devenir policier"
tombe. Pour lui
"et pour tous les musulmans discriminés simplement parce que pratiquants".

* Prénom modifié par Mediapart


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