En Afrique du Sud, la coalition du lion et de l'agneau tangue mais ne rompt pas

13:015/02/2025, mercredi
AFP
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa réagit lors d'une réunion du cabinet au Sefako Makgatho Presidential Guest House à Pretoria, le 29 janvier 2025.
Crédit Photo : Phill Magakoe / AFP
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa réagit lors d'une réunion du cabinet au Sefako Makgatho Presidential Guest House à Pretoria, le 29 janvier 2025.

Sept mois après sa formation, le gouvernement d’union nationale sud-africain continue de tanguer au rythme de ses désaccords bruyants mais ne rompt pas, avec à la manœuvre le président Cyril Ramaphosa, qui doit prononcer jeudi son discours sur l’État de la nation.

Fin janvier, c’est à la sortie de l’avion qui le ramenait du Forum économique mondial de Davos que John Steenhuisen, patron de l’Alliance démocratique (DA), a appris via les réseaux sociaux que le chef de l’État avait promulgué une loi d’expropriation dont la DA demandait l’amendement.


La DA est le principal associé de l’ANC de M. Ramaphosa au sein du gouvernement de coalition issu des élections de mai dernier, un attelage singulier où elle est à la fois partenaire et opposante du parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, dans les années 1990.

M. Steenhuisen, dépité, a averti:


Si nos idées ne sont pas écoutées et prises en compte, il n’y a vraiment aucun intérêt à ce que la DA reste dans la coalition.

"Ils pensent qu’on est à couteaux tirés, mais non"
, a plaisanté quatre jours plus tard devant la presse le président Ramaphosa.
"Si vous voulez tout savoir, John Steenhuisen et moi, on va déjeuner, là. Vous nous mettez en retard".

La loi d’expropriation, dénoncée par l’ancien président américain Donald Trump, qui a menacé Pretoria de représailles, n’est qu’un énième sujet de discorde entre les deux partis, après les langues d’enseignement à l’école ou les propos conciliants de Cyril Ramaphosa envers la Russie.

Ces passes d’armes à fleurets mouchetés, qui alimentent la fébrilité et pèsent sur le cours du rand, devraient se poursuivre à propos de l’Assurance nationale de santé (NHI).


Pas faiseuse de rois


Ce projet de couverture santé universelle, dans un pays parmi les plus inégalitaires au monde, apparaît comme un nouveau gage donné par le madré Cyril Ramaphosa à la faction la plus radicale de l’ANC.


"Cela fait partie de son arsenal pour montrer à ses électeurs et à une faction importante de l’ANC qu’il ne mange pas dans la main de la DA",
explique à l’AFP la politologue Susan Booysen.

Si l’ANC a conservé son leadership aux élections de mai dernier (40 % des voix) devant la DA (22 %), elle y a perdu pour la première fois sa majorité absolue au Parlement et a rassemblé une coalition avec son dauphin et huit autres partis plutôt confidentiels pour pouvoir continuer à gouverner.

Une alliance a priori contre nature entre l’ANC, parti historique de la lutte anti-apartheid, et la DA (libérale de centre-droit), où cette dernière a un problème de taill : elle n’est pas faiseuse de rois.


La DA a par ailleurs tellement clamé craindre la
"coalition de l’apocalypse",
que l’ANC pourrait nouer avec la gauche radicale de l’EFF et le populiste MK Party, fondé par l’ex-président Jacob Zuma, qu’elle dispose de peu de leviers.

"Ils auraient pu être beaucoup plus forts s’ils avaient mieux négocié",
estime encore Susan Booysen, qui s’interroge:
"Ont-ils été naïfs ou s’agit-il d’une décision consciente et calculée de se dire 'allons-y et on verra les lacunes de cette coalition plus tard' ?"

Résultat, la DA multiplie les avertissements sur son avenir au sein de la coalition, sans se risquer à claquer la porte, comme un agneau un peu tendre pris au piège par l’ANC, lion vieillissant mais encore roi du marigot politique sud-africain.

"Coalition schizophrène"


"La sortie du GNU ne sera pas une décision prise à la légère, de façon hasardeuse",
a reconnu John Steenhuisen la semaine passée en pleine turbulence.

Pour le politologue Sandile Swana,
"la DA ne quittera pas le gouvernement d’union nationale (GNU) car elle est le parti politique des grandes entreprises",
qui ont
"demandé la création du GNU",
notamment via les principales organisations patronales BBC, Busa et BLSA.

La coalition pourrait ainsi survivre au-delà des élections locales prévues fin 2026 ou début 2027, même si ses partis se déchirent autour de ces scrutins, assure Susan Booysen.


Preuve de cette
"coalition schizophrène",
selon l’expression de Mme Booysen, le maire DA de la métropole de Tshwane, qui gère notamment la capitale Pretoria, et celui de la ville de Swellendam (sud-ouest) sont tombés ces derniers mois après des motions de censure poussées par l’ANC, sans que le GNU se fissure pour autant.

Même si Cyril Ramaphosa, comme tous ses prédécesseurs, n’allait pas au bout de son mandat après l’élection interne à l’ANC de 2027, son probable successeur et actuel vice-président Paul Mashatile poursuivra dans la même voie avec la DA, estime Sandile Swana, qui voit le GNU durer "cinq ans".


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