Meurtre d'un journaliste au Cameroun: vers un procès pour 17 inculpés

15:544/03/2024, lundi
MAJ: 4/03/2024, lundi
AFP
Une personne en deuil dépose une bougie dans une salle de la Radio Amplitude FM où un portrait du journaliste Martinez Zogo a été placé pour lui rendre hommage, au quartier Elig Essono à Yaoundé, le 23 janvier 2023.
Crédit Photo : DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP (Archive)
Une personne en deuil dépose une bougie dans une salle de la Radio Amplitude FM où un portrait du journaliste Martinez Zogo a été placé pour lui rendre hommage, au quartier Elig Essono à Yaoundé, le 23 janvier 2023.

Dix-sept personnes, dont un puissant homme d'affaires et l'ex-patron des services secrets, seront jugées au Cameroun pour le meurtre du journaliste Martinez Zogo, supplicié par un commando des services de renseignement.

L'ordonnance de renvoi établit
"des charges suffisantes contre les inculpés"
pour mettre fin à l'information judiciaire.

Trois agents de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE) sont inculpés pour assassinat et deux autres pour complicité d'assassinat, dont Justin Danwé, directeur des opérations de la DGRE, qui
"n'a pas nié que c'est lui qui a organisé l'opération"
, selon l'ordonnance.

L'influent homme d'affaires camerounais Jean-Pierre Amougou Belinga, réputé proche de plusieurs ministres et hauts responsables de l'État, avait été arrêté peu après le meurtre à Yaoundé, soupçonné d'être impliqué.

"Il est renvoyé devant le tribunal pour un motif inventé: complicité de torture",
a déclaré Charles Tchoungang, avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga.

Maxime Léopold Eko Eko, ex-patron de la DGRE, dont le siège était resté vacant plusieurs mois et qui nie toute implication, doit également répondre de
"complicité de torture."

La date du procès n'a pas encore été annoncée.

Enlevé le 17 janvier 2023 devant un poste de gendarmerie dans la banlieue de la capitale Yaoundé, Arsène Salomon Mbani Zogo, dit
"Martinez",
50 ans, avait été retrouvé mort cinq jours plus tard. Son corps nu était atrocement mutilé.

Valse des juges


L'assassinat a provoqué un immense choc au Cameroun où M. Zogo était très populaire, contraignant le pouvoir à accepter de mettre sous les verrous des personnalités auparavant intouchables.


Le gouvernement avait rapidement dénoncé un
"crime odieux"
et annoncé l'arrestation de plusieurs personnes
"fortement suspectées"
d'être impliquées dans cet assassinat.

Plus d'un an après le meurtre du journaliste, sa dépouille n'a toujours pas été rendue à la famille, dans l'éventualité de nouvelles autopsies selon Elise Domche Woudje, directrice générale de la radio Amplitude FM, où le défunt journaliste officiait.

L'enquête a connu plusieurs rebondissements et une valse de juges d'instruction, militaires, puisque l'affaire est menée par des militaires et sera jugée dans un tribunal de l'armée.


Au mois de décembre 2023, la rumeur de la libération de M. Belinga et M. Eko Eko avait provoqué une forte indignation après qu'une copie de l'ordonnance de leur libération provisoire avait circulé sur les réseaux sociaux.


Le juge d'instruction d'alors, le lieutenant-colonel Florent Aimé Sikati II Kamwo, avait le lendemain assuré que le document était un faux.

Quelques jours plus tard, il était dessaisi de l'affaire et un nouveau magistrat, le lieutenant-colonel Pierrot Narcisse Nzié, était désigné - le troisième magistrat en un peu moins d'un an.


Guerre de succession


L'assassinat de Martinez Zogo est largement interprété par l'opposition et les analystes comme un avatar sanglant de la guerre de succession que se livrent en sourdine deux clans rivaux de très proches du président Paul Biya, 91 ans, qui dirige d'une main de fer le Cameroun depuis plus de 41 ans.


Jean-Pierre Amougou Belinga est un proche du ministre des Finances Louis-Paul Motaze, neveu protégé du président et l'un des prétendants les plus sérieux à la succession.

Le ministre des Finances compte dans son camp sur un autre ministre de poids, ami de l'homme d'affaires: Laurent Esso. Or, le deuxième prétendant le plus en vue, le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, est l'ennemi intime de MM. Motaze, Esso et Amougou Belinga, lequel l'accuse d'être à l'origine des enquêtes visant ses affaires douteuses et ses fraudes fiscales présumées.


Sur un ton corrosif, Martinez Zogo n'épargnait personne au sommet du pouvoir, sauf M. Biya et sa famille, une ligne rouge dans les médias.

Il dénonçait particulièrement au micro de son émission
"Embouteillage"
de présumées affaires de corruption dans lesquelles il mettait régulièrement nommément en cause M. Amougou Belinga, propriétaire de nombreux groupes d'entreprises dans les domaines de la banque, des finances, de l'assurance, de l'immobilier et des médias, dont le quotidien L'Anecdote, les télévisions Vision 4 et Télésud ainsi que la radio Satellite FM, tous réputés en faveur du pouvoir.

Selon l'ONG Reporters sans frontières (RSF), qui assure avoir lu une copie des procès-verbaux d'audition de hauts responsables de l'appareil de sécurité, M. Amougou Belinga a été cité pour l'enlèvement, les actes de torture et le meurtre de Martinez Zogo.


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