L’Afrique et la Türkiye, coincées entre la rivalité Est-Ouest

17:1527/06/2025, Cuma
MAJ: 27/06/2025, Cuma
Ömer Faruk Doğan

Avec l'investiture pour un second mandat du président américain Donald Trump, une nouvelle phase a débuté à l’échelle mondiale. Dans le cadre de ses engagements de campagne, Trump a entamé, à partir du 2 avril 2025, l’annonce de mesures destinées à réduire rapidement la dette extérieure et le déficit commercial des États-Unis. Ce nouveau cap, amorcé dans le secteur des véhicules électriques avec la Chine, a été mis en œuvre de manière progressive. Dans un premier temps, des droits de douane supplémentaires

Avec l'investiture pour un second mandat du président américain Donald Trump, une nouvelle phase a débuté à l’échelle mondiale. Dans le cadre de ses engagements de campagne, Trump a entamé, à partir du 2 avril 2025, l’annonce de mesures destinées à réduire rapidement la dette extérieure et le déficit commercial des États-Unis. Ce nouveau cap, amorcé dans le secteur des véhicules électriques avec la Chine, a été mis en œuvre de manière progressive. Dans un premier temps, des droits de douane supplémentaires ont été annoncés à l’encontre de produits en provenance du Canada, du Mexique et de la Chine, avant d’être étendus à d’autres pays. Par ailleurs, dans une optique de réduction des dépenses, les États-Unis ont limité leur présence militaire à l’étranger ainsi que l’aide au développement allouée aux pays émergents via l’agence USAID.



D'une part, les États-Unis, visant à contrôler la Chine et la Russie, et d'autre part, dans le but de maîtriser des ressources naturelles importantes et stratégiques selon leurs propres intérêts, ont vu les aides intensifiées sous l'administration Biden restreintes par Trump. Le continent africain a été la région la plus affectée par ces restrictions. Bien que les aides accordées n’aient pas contribué directement à la production ni à l’emploi, elles se sont imposées comme un élément d’équilibre dans la concurrence, notamment perçues comme une stratégie capable de contrebalancer la présence de la Chine en Afrique.


Depuis le début des années 2020, les crises régionales persistantes dans le monde et la contraction économique ont fortement perturbé les attentes d’aide du continent africain. En plus de la réduction des aides américaines, qui contribuaient à contrebalancer l’influence de la Chine et de la Russie en Afrique, de nombreux pays africains ont été touchés par l’annonce de nouveaux droits de douane supplémentaires concernant 185 pays. Bien que l’application de ces mesures ait été temporairement reportée au 9 juillet 2025, il n’existe pas encore de données indiquant que les droits de douane seront entièrement supprimés pour les pays africains.


Le retrait partiel des États-Unis du continent africain a considérablement encouragé la Chine. Consciente de l’importance de l’Afrique en matière de matières premières, de métaux précieux, d’alimentation, d’énergie et particulièrement d’éléments de terres rares, la Chine a déployé un effort particulier dans ce domaine.


Dans sa volonté de mieux profiter des ressources offertes par le continent, la Chine a présenté différentes initiatives lors de chaque événement Chine-Afrique afin de maintenir des relations étroites. Dans ce cadre, avant 2020, elle s’était engagée à accorder chaque année 20 milliards de dollars en prêts à l’Afrique. En 2019, elle avait relevé cet objectif à 60 milliards de dollars pour le développement et les investissements, puis en 2021, ce montant a été annoncé à 40 milliards de dollars. En septembre 2024, la Chine a également promis un budget de 50 milliards de dollars sur trois ans pour le développement du continent africain. Cependant, pour de multiples raisons, une grande partie de ces engagements n’a pas encore été mise en œuvre.


L’Afrique, qui n’a pas encore oublié certains souvenirs douloureux du passé, n’a pas accordé de crédit aux aides proposées, aux conditions particulières attachées aux prêts et aux offres, et n’a généralement pas répondu de manière positive aux propositions formulées.


À l’occasion du dernier Sommet conjoint d’investissement et de coopération Chine-Afrique organisé en septembre 2024, la Chine a annoncé une exemption totale de droits de douane pour 33 pays africains parmi les moins avancés, tels que l’Éthiopie et l’Ouganda, tout en appelant particulièrement à un soutien dans les secteurs de l’éducation et de la logistique. Toutefois, aucun progrès notable n’a encore été enregistré à ce sujet.


Enfin, avec l’apparition de la politique de retrait des États-Unis du continent, la Chine a choisi d’intensifier ses activités et, avec une approche entièrement nouvelle, a annoncé le 12 juin la suppression de tous les droits de douane appliqués à l’importation pour 53 pays africains (à l’exception de l’Eswatini, qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan). Sous le slogan
"Bienvenue aux produits africains de qualité sur le marché"
, la Chine a profité du vide créé par les crises régionales et a discrètement affiché son ambition de devenir le leader du "Sud global".

Cependant, à l’exception de certains produits secondaires fabriqués dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc ou le Kenya, il est une autre réalité que l’Afrique ne dispose pas d’une production suffisante susceptible de justifier les droits de douane
"dits
" appliqués à ses exportations vers la Chine. À l’exception de quelques produits alimentaires, les produits d’origine africaine ne disposent pas d’une réelle capacité de concurrence sur le marché chinois. À ce titre, cette nouvelle approche peut être considérée comme un discours politique symbolique, mais il convient également de noter que les investissements en capital étranger capables de concurrencer sur le marché chinois pourraient bénéficier de cette nouvelle politique. Cela pourrait rendre l’Afrique partiellement attractive en termes d’investissements.

Naturellement, les relations sino-africaines se sont considérablement développées au cours des vingt dernières années, mais il convient également de souligner que cette évolution est surtout unilatérale et en faveur de la Chine. En 2024, le commerce extérieur chinois a enregistré un excédent de 62 milliards de dollars, la Chine important principalement des matières premières d’Afrique. Bien que Pékin se soit engagé à importer pour 300 milliards de dollars depuis l’Afrique, les importations de minéraux, pétrole et gaz pour 2024 se sont limitées à 117 milliards de dollars. Selon certaines sources, seuls 5 % des investissements réalisés par la Chine sur le continent sont destinés à la production.


La présence chinoise, qui influence de manière significative les autres puissances dominantes présentes sur le continent, n’a pas suffi à produire l’impact attendu dans les pays africains. Si, au départ, la démarche chinoise semblait être une lueur d’espoir pour résoudre les problèmes et favoriser le développement, notamment en raison des besoins essentiels et parfois humanitaires, cette approche a été freinée par les différences culturelles, les changements de perception, ainsi que par les attentes dissimulées visant à contrôler les ressources minières et métalliques. Cela n’a pas permis d’établir un cadre relationnel et d’exploitation souhaité, suscitant une forte opposition et résistance à l’égard de la Chine dans de nombreux pays africains.


Comme on s’en souvient, avant la pandémie de Covid-19, la Türkiye était le pays qui fournissait le plus d’aide humanitaire au monde en proportion de son PIB. Une part importante de cette aide était destinée à l’Afrique. Cette relation, fondée entièrement sur une approche humanitaire et sans attente en contrepartie, a permis à la Türkiye et au peuple anatolien d’occuper une place particulière dans l’esprit des pays africains. Le continent africain a, pour la première fois, été abordé avec une approche soucieuse d’instaurer une relation d’égal à égal, dans un esprit de respect et de réciprocité.


Tandis que la TİKA menait des projets de développement sans contrepartie, Turkish Airlines (THY) a ouvert l’Afrique au monde grâce à l’étendue de son réseau international. La Fondation Maarif et les Instituts Yunus Emre (YEE) ont, quant à eux, fait découvrir et apprécier la culture et la langue turques aux Africains.


Cette relation particulière de la Türkiye a permis aux pays du continent, par comparaison, de prendre conscience des arrière-plans de certaines démarches unilatérales et a ouvert la porte à un débat sur la forme, la nature et le contenu des aides apportées. Il ne faut pas non plus négliger que la principale raison des réactions incompréhensibles de certains pays occidentaux à l’égard de la Türkiye par le passé est liée à ce sujet.


Le modèle de relation développé par la Türkiye et les résultats obtenus ont influencé et modifié l’approche de nombreux pays envers l’Afrique. L’attitude humaniste, égalitaire et respectueuse de la Türkiye, fondée sur le principe du gagnant-gagnant, a ouvert la voie à de nouvelles perspectives et poussé d’autres États à s’en inspirer. Dans ce cadre, la Chine a systématiquement développé de nouvelles approches et discours parallèlement à ceux de la Türkiye. Le slogan chinois des "5 Non" (les cinq refus visant à soutenir l’indépendance et les valeurs identitaires de l’Afrique: non à l’ingérence dans l’indépendance, les affaires intérieures, les modes de relation, les valeurs identitaires) en est l’exemple le plus évident.


Ce discours s’inspire directement du slogan devenu emblématique de notre Président, largement soutenu par la majorité des pays africains et constamment remis à l’agenda:
"Le monde est plus grand que cinq".
Par sa présence, la Türkiye a contribué à l’émergence d’un nouveau modèle de relations politiques et économiques en Afrique, fondé sur les intérêts du continent.

Ömer Faruk Doğan

Ankara, 25 juin 2025


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