De sa vie d'enfant, Amina al-Dabaï se souvient de moments simples, "confortables". Jusqu'à ce jour de 1948 où, comme des centaines de milliers d'autres Palestiniens, elle a fui les combats consécutifs à la création d'Israël.
Mme Dabaï, née en 1934, fait partie des quelque 760.000 Arabes de Palestine qui ont fui ou ont été chassés de chez eux pendant la guerre de 1948-1949 qui a vu Israël sortir vainqueur face aux armées de cinq pays arabes l'ayant envahi dès le lendemain de sa création.
Avec leurs descendants, ceux qui sont encore en vie forment une cohorte de 5,9 millions de réfugiés palestiniens répartis entre la Cisjordanie occupée, la bande de Gaza, la Jordanie, le Liban et la Syrie, selon l'ONU.
Soixante-quinze ans plus tard, l'AFP a rencontré huit Palestiniens réfugiés dans la bande de Gaza après 1948 et âgés de 85 à 98 ans.
Déportation planifiée, expulsion, exil volontaire ? Massacre de plusieurs centaines de civils et combattants désarmés dans une guerre où les deux camps se sont rendus coupables d'atrocités ? Les événements survenus les 12 et 13 juillet 1948 à Lydda (aujourd'hui Lod, dans le centre d'Israël) lors de la conquête de la ville par l'armée israélienne font l'objet de débats et de controverses intenses encore aujourd'hui.
Une chose semble sûre: la ville s'est vidée de la quasi-totalité de ses quelque 30.000 habitants arabes, pratiquement du jour au lendemain.
Egrenant ses souvenirs enfouis de jeune adolescente, Mme Dabaï raconte l'arrivée de soldats coiffés de keffiehs, comment les habitants ont d'abord cru à des renforts jordaniens, avant de comprendre qu'il s'agissait de soldats israéliens.
"Personne pour filmer"
Le lendemain, ils ont encerclé la ville et ont demandé aux habitants de quitter les lieux, raconte la vieille dame:
Nous leur avons dit que nous ne voulions pas, ils ont répondu qu'ils nous tueraient.
La famille al-Dabaï part à pied, quelques vêtements en main, avec la certitude de revenir rapidement.
Après un séjour dans la région de Ramallah, elle prend la direction de l'Egypte. Mais le trajet trop onéreux la pousse à s'arrêter à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où Mme Dabaï vit toujours.
Deux tiers de la population de la bande de Gaza a le statut de réfugiés et le "droit au retour" est une constante des revendications palestiniennes depuis 1948.
Israël affirme que les Palestiniens ont volontairement quitté leurs maisons pendant les affrontements et rejette les accusations de crime de guerre à l'encontre de ses troupes.
Le pays s'oppose fermement au "droit au retour" des Palestiniens, faisant valoir qu'autoriser même une fraction d'entre eux à revenir équivaudrait à signer sa fin en tant qu'Etat juif.
Il y a une trentaine d'années, Mme Dabaï a reçu un permis israélien et s'est rendue à Lod où elle a trouvé la maison familiale détruite et celles des voisins habitées par des Israéliens.
Les Arabes travaillaient pour eux sans problème, en sécurité.
Selon Zochrot, Beit Affa a été pris par les forces juives une première fois en juillet 1948, pour quelques jours seulement, pendant lesquels la population a vraisemblablement quitté les lieux, avant même la prise définitive de la ville à l'automne.
Clés rouillées
A partir de mars 2018 et pendant plusieurs mois, les manifestations de la "grande marche du retour", le long de la barrière frontalière isolant Gaza d'Israël, ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes réclamant notamment le droit de retourner sur les terres fuies en 1948. Certains rassemblements ont dégénéré en heurts meurtriers avec l'armée israélienne postée de l'autre côté.
Aujourd'hui intégrée à la métropole de Tel-Aviv, Jaffa était une des villes arabes les plus dynamiques, surnommée "la fiancée de la mer".
Aujourd'hui, dans le camp Al-Shati de Gaza où elle vit, elle agite un grand trousseau de quatre clés rouillées, seul souvenir matériel de la demeure abandonnée.
"Aucune indemnisation"
Les réfugiés rencontrés par l'AFP concèdent qu'un retour de leur vivant paraît irréaliste. Mais tous misent sur leurs descendants, qu'ils soient à Gaza ou à l'étranger, pour concrétiser leur rêve.
Je n'accepterai aucune indemnisation pour mon pays.
Hassan al-Kilani, né en 1934 dans le village de Burayr au nord de la bande de Gaza, dit à l'AFP qu'il n'acceptera d'être dédommagé qu'en cas d'accord politique.
Nous résistons mais notre résistance est limitée par rapport à notre ennemi.
Ancien ouvrier du bâtiment, M. al-Kilani a reconstitué le plan de son village et noté le nom de chaque famille, parcelle par parcelle. Le dessin est accroché sur un mur du salon.
Sur un autre pan de mur du salon pend une clé, symbole du retour espéré.