Crédit Photo : PATRICK MEINHARDT / AFP (Archive)
Des membres du Mthwakazi Republic Party (MRP) regardent le 27 juillet 2018 sur le site commémoratif de Bhalagwe pour les victimes Ndebele du massacre de Gukurahundi qui a eu lieu au début des années 80 lorsque l'ancien président Robert Mugabe a pris le pouvoir.
Depuis plus de 40 ans, Bongani Ncube et Patricia Baleni portent la douleur de la perte de leurs pères respectifs, deux des quelque 20.000 victimes d'une série de massacres d'État au Zimbabwe dans les années 1980.
Ni l'un ni l'autre ne croit que le processus de réconciliation, lancé mi-juillet par le chef de l'État Emmerson Mnangagwa, sera, comme il l'a promis, le "pèlerinage vers la guérison" des plaies laissées béantes par ces massacres de
visant la minorité ndébélé, perpétrés entre 1983 et 1987 par une unité spéciale de l'armée zimbabwéenne.
Le processus prévoit que les chefs traditionnels organisent dans les villages des auditions de survivants. Mais deux mois après le lancement, M. Ncube assure que les victimes n'ont reçu ni invitation ni notification.
"Pour être transparent et sincère, un tel processus devrait s'articuler autour des survivants et ne pas être mené par l'État, dont certains responsables ont été fortement impliqués dans ces massacres",
ajoute-t-il.
Bongani Ncube avait trois ans lorsque des soldats ont abattu son père, fonctionnaire et membre du parti Zapu, dominé par les Ndébélé, à quelques mètres du domicile familial, en 1983.
Cette année-là, Robert Mugabe, à la tête du Zimbabwe depuis l'indépendance trois ans plus tôt, a envoyé la 5e Brigade, une unité spéciale formée par la Corée du Nord, écraser l'opposition de la Zapu au cœur du pays ndébélé: les provinces du Matabeleland méridional et septentrional et des Midlands.
La Zapu était le rival de la Zanu de Mugabe, dominé par la majorité Shona, durant la guérilla des années 1960-70 contre le gouvernement blanc de ce qui était alors la Rhodésie.
Patricia Baleni avait 19 ans en 1983 lorsqu'elle a vu pour la dernière fois son père instituteur, traîné en pleine nuit,
"en pyjama, sans chaussures"
, par des hommes armés hors de leur domicile des Midlands.
"A l'extérieur de la maison, il restait des taches de sang",
a-t-elle raconté à l'AFP. Proches, enseignants, étudiants ont ratissé la campagne alentour mais n'ont jamais retrouvé Clement Baleni, connu alors pour son activisme politique. La famille, terrorisée, a fui la zone, perdant ses biens et son bétail.
La campagne de terreur menée par la 5e Brigade, opération baptisée
qui en Shona peut se traduire par
"la première pluie qui lave l'ivraie",
a duré jusqu'en 1987. Marquée par des tortures et des viols, elle a coûté la vie, selon les estimations, à 20.000 personnes, dont les corps de certaines ont été ensevelis dans des fosses communes.
Les précédentes tentatives gouvernementales de refermer les blessures ont été timides. Les conclusions de deux commissions d'enquête établies par Mugabe lui-même dans les années 1980 n'ont jamais été rendues publiques.
Le gouvernement ne s'est jamais excusé, et Mugabe, décédé en 2019 à 95 ans, deux ans après avoir été chassé du pouvoir par l'armée, n'a jamais reconnu sa responsabilité.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui doutent de la sincérité du président Mnangagwa, longtemps intime de Mugabe et qui était, en tant que ministre de la Sécurité nationale, au cœur du système sécuritaire de l'État durant les années
, mais qui a démenti tout rôle dans les massacres.
"C'est un exercice futile de relations publiques visant à embobiner les gens et leur faire croire que quelque chose est fait",
mais en réalité
, juge le chef traditionnel ndébélé Nhlanhla Ndiweni.
Exilé au Royaume-Uni, M. Ndiweni estime que les massacres étaient une tentative de génocide des Ndébélé.
La Zapu, dont les membres étaient les cibles prioritaires, refuse de participer au processus, a expliqué à l'AFP son secrétaire général Mthulisi Hanana:
"Les auditions peuvent se dérouler et ceux qui le souhaitent y participer, mais tout le procédé est vicié".
Selon Arthur Chikerema, professeur à l'Université (publique) de Midlands State, Emmerson Mnangagwa semble tenter de lustrer son bilan avec une initiative
"plus tactique que pleine de tact".
Il n'y a pas d'indication permettant de savoir si le processus rendra justice ou accordera des compensations,
"deux aspects attendus d'une réconciliation",
note-t-il.
"Plutôt que vouloir jouer au père Noël ou au chevalier blanc, le président aurait dû favoriser la mise sur pied d'une commission Vérité indépendante qui aurait permis une réconciliation véritable, et non cette poudre aux yeux".
Une coalition d'ONG, le Groupe de travail sur la Justice transitionnelle nationale, préfère voir le verre à moitié plein.
"Dans la justice transitionnelle (...) même si un processus est vicié, c'est une base sur laquelle construire",
estime son coordinateur, Fortune Kuhudzebwe.
#Zimbabwe
#massacre
#armée
#histoire