En Chine, un air d'inachevé un an après des manifestations contre la politique zéro-Covid

17:1026/11/2023, dimanche
MAJ: 26/11/2023, dimanche
AFP
Crédit photo: Glenda KWEK, Michael ZHANG / AFP
Crédit photo: Glenda KWEK, Michael ZHANG / AFP

Un an après les manifestations historiques contre la politique du zéro-Covid en Chine qui avaient pris au dépourvu les autorités à Shanghai, seule une présence policière subtilement renforcée à des carrefours clés trahit quelque crainte.

Confinements inopinés et à répétition, tests PCR à grande échelle quasi-quotidiens, les mesures anti-Covid ont bouleversé durant près de trois ans le quotidien des Chinois, jusqu'à la fin 2022.


Un incendie meurtrier à Urumqi (Xinjiang, nord-ouest de la Chine), où les restrictions sanitaires sont accusées d'avoir gêné les secours, avait été le déclencheur il y a un an dans plusieurs villes de manifestations d'ampleur inédites depuis 1989.


Dans la nuit du 26 au 27 novembre 2022, des centaines de personnes avaient ainsi tenu à Shanghai une veillée rue Wulumuqi, le nom en mandarin de la ville d'Urumqi.

"L'atmosphère était triste, mais aussi stimulante"
, se souvient Li, une manifestante dont le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité.

Initialement un hommage aux 10 victimes de l'incendie, le rassemblement s'est transformé en appels à abolir la politique du zéro-Covid et, chose rare en Chine, à une démission du président Xi Jinping voire à renverser le Parti communiste au pouvoir.


Depuis,
"tout le monde semble avoir tourné la page, personne n'en parle"
, indique Li.

"Après la levée du zéro-Covid, tout le monde a repris une vie normale"
, relève la jeune femme âgée d'une vingtaine d'années, qui se dit encore
"marquée"
par les événements de l'an dernier.

A l'approche de la date anniversaire, la police l'a mise en garde contre toute nouvelle manifestation.


Slogans anti-régime


Ce rassemblement spontané a ensuite gagné plusieurs villes, dont Canton (centre), Chengdu (sud-ouest) et Pékin, en dépit d'une habituelle imposante présence policière et d'une armada de caméras de surveillance.


Dans le calme, les participants, principalement des 18-35 ans, avaient brandi des feuilles A4 blanches vierges pour matérialiser la censure.


"Ce n'est pas étonnant que des manifestations éclatent en réponse aux restrictions du zéro-Covid"
, affirme la sinologue Diana Fu, de l'université de Toronto au Canada. Ce qui l'était en revanche,
"c'est la rhétorique brutale contre le régime"
, avec des slogans hostiles au pouvoir, relève Mme Fu.

Les manifestations ne sont pas inhabituelles en Chine mais concernent rarement la politique, un sujet particulièrement sensible qui expose les participants à de lourdes représailles.

La liberté d'expression, Mme Li
"pensait pouvoir vivre sans, car cela n'avait pas d'incidence sur (sa) vie de tous les jours"
. Mais le Covid a tout changé, affirme-t-elle.

En particulier le confinement draconien de Shanghai pendant deux mois au printemps 2022, durant lequel elle s'est sentie
"comme une prisonnière".

"Violent"


"Les gens ne manifestent pour leurs droits que lorsque ça les touche directement. C'est pour ça qu'il y avait autant de monde"
l'an dernier, jure-t-elle.

La majorité des participants ne souhaitaient pas pour autant de
"réformes politiques"
, estimait à l'époque la chercheuse Chenchen Zhang, de l'université de Durham (Royaume-Uni).

Huang Yicheng, 27 ans, a été brièvement détenu par la police avant de partir se réfugier en Allemagne.


Ceux qui souhaitaient des changements politiques ont subi
"de fortes pressions"
, affirme-t-il à l'AFP.

La contestation était comme une forte marée.

Mais à la levée des restrictions sanitaires,
"tels des poissons (lorsque l'eau se retire), nous nous sommes retrouvés comme échoués sur un rivage"
, déplore-t-il.

Pour étouffer le mouvement naissant, l'appareil sécuritaire bien huilé de la Chine s'est par ailleurs mis en branle.

Selon Li, la manifestante, les policiers n'ont pas hésité à faire usage de la force à Shanghai lors de la deuxième nuit de manifestation.


Ils ont traîné une fille dans une voiture de police. C'était tellement violent que je n'arrête pas de repenser à cette scène.

Levée des restrictions


Une semaine plus tard, Li était convoquée au commissariat et confrontée à une photo d'elle prise lors de la manifestation.


Les policiers
"m'ont demandé de décrire ce que j'avais fait et pourquoi j'étais là (...) avec beaucoup de détails".

De son côté, Huang Yicheng affirme avoir été traîné au sol par les forces de l'ordre. Il est parvenu à s'enfuir mais affirme avoir vu ce soir-là de nombreuses femmes se faire battre.


Une centaine de personnes à travers le pays ont été embarquées ou détenues après les manifestations, estime William Nee, de l'organisation Chinese Human Rights Defenders (CHRD).

La plupart ont, depuis, été libérées, à l'exception selon lui de Kamile Wayit, une étudiante ouïghoure de 19 ans.


Sollicité, le ministère chinois de la Sécurité publique n'a pas répondu à l'AFP.

Dix jours après le début des manifestations, la Chine a allégé une grande partie des restrictions anti-Covid, jusque-là inflexibles, une volte face que Li et Huang Yicheng attribuent à leur mobilisation.


La Chine a levé l'essentiel de ses restrictions sanitaires et rouvert progressivement ses frontières en janvier 2023.


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