Pourquoi attaquer l’Iran compromettrait sérieusement l’économie mondiale?

Alioune Aboutalib Lo
17:4825/04/2024, jeudi
Yeni Şafak
Des automobilistes passent devant un panneau d'affichage représentant des missiles iraniens à Téhéran le 20 avril 2024, un jour après que les médias d'État iraniens ont rapporté des explosions dans la province centrale d'Isfahan.
Crédit Photo : ATTA KENARE / AFP
Des automobilistes passent devant un panneau d'affichage représentant des missiles iraniens à Téhéran le 20 avril 2024, un jour après que les médias d'État iraniens ont rapporté des explosions dans la province centrale d'Isfahan.

La riposte iranienne après l’attaque israélienne sur son ambassade à Damas a fait craindre une dangereuse escalade au Moyen-Orient. Mais en dehors de la menace d’une guerre qui déstabiliserait toute la région, c’est l’économie mondiale qui pourrait être sérieusement impactée par un tel conflit.

Le 1er avril dernier, l’ambassade de l’Iran en Syrie a fait l’objet d’une attaque israélienne ayant fait onze morts dont sept gardiens de la Révolution. Une
"agression"
perçue par Teheran comme une violation de la Convention de Vienne qui consacre l’inviolabilité des locaux diplomatiques et qui, selon lui, devait faire l’objet d’une riposte.

Celle-ci est arrivée dans la nuit du 13 au 14 avril où une salve de missiles et de drones a frappé Israël. Même si le gouvernement de Tel-Aviv a annoncé que 99% des missiles et drones ont été neutralisés par le "dôme de fer", il a fait part lui aussi de sa volonté de répondre à cette première attaque directe de l’Iran contre le territoire israélien.

Le 19 avril, trois explosions ont été entendues dans le centre de l’Iran, notamment à Ispahan. Le système de défense antiaérienne iranien aurait en effet neutralisé des drones attribués par certaines sources à Israël. Si cet acte perçu comme la riposte sioniste annoncée est restée pour le moins sans réel danger, elle a fait craindre plus que jamais un contexte d’escalade entre les deux ennemis jurés du Moyen-Orient.


Changement de paradigme


Car en effet, la riposte iranienne après l’attaque de son ambassade constituait un acte inédit : depuis la Révolution de 1979, c’est la première fois que le régime de Teheran ciblait directement le territoire du régime sioniste.

Dans sa "guerre froide" avec Israël, l’Iran s’est toujours appuyé sur des groupes soutiens, dont notamment le Hezbollah libanais, pour cibler les intérêts et installations israéliens. Pour la première fois, Teheran a directement lancé des missiles sur Israël, ce qui veut dire que l’affrontement d’Etat à Etat serait désormais le nouveau paradigme en vigueur dans ce conflit.


Israël qui est connu pour son jusqu’au-boutisme conflictuel pourrait bien attaquer à nouveau des installations iraniennes et semer davantage les graines d’une escalade dangereuse. Les pays occidentaux, soutiens sans condition d’Israël même sur le génocide à Gaza, continuent néanmoins les tractations diplomatiques pour que le conflit ne s’enlise pas.


Cela s’explique surtout par les conséquences désastreuses qu’une guerre pourrait avoir non seulement en termes de vies humaines, mais aussi sur l’économie mondiale.

L’Iran, au carrefour de l’économie mondiale


Une guerre au Moyen-Orient et surtout les attaques contre l’Iran, pourraient pousser le régime perse à user de ses leviers géopolitiques et géoéconomiques.


L’Iran est le 3e producteur mondial de gaz naturel, derrière les Etats-Unis et la Russie, selon Statistica, même si la majeure partie de sa production est destinée à la consommation intérieure.
C’est néanmoins une potentielle source de déséquilibre du marché international car faisant partie de l’OPEP, tout comme dans le domaine du pétrole où le pays occupe la septième place dans le classement des producteurs mondiaux (Worldometer).

Le détroit d’Ormuz


Mais si attaquer l’Iran compromettrait sérieusement l’économie mondiale, c’est surtout à cause du détroit d’Ormuz qui se situe entre Oman et l’Iran. Selon l'économiste Philippe Chalmin, spécialiste des marchés de matières premières,
"si l'Iran bloquait le détroit d'Ormuz"
, le conflit (Iran-Israël)
"changerait de dimension"
. Interrogé par La Tribune, il rappelle que ce détroit voit passer près de 20 millions de barils de pétrole par jour, soit
"un tiers des exportations mondiales"
. Ce qui expliquerait la rapide hausse des cours du pétrole dès les premières mentions d’une nouvelle attaque israélienne sur l’Iran le 19 avril.

Le détroit d’Ormuz constitue la principale ligne commerciale reliant non seulement les pays pétroliers du Moyen-Orient aux autres marchés, mais aussi ceux du gaz comme le Qatar, troisième producteur mondial de gaz naturel liquéfié.
"C'est quand même très important. Si les exportations de gaz du Qatar se trouvaient bloquées, cela aurait des conséquences sur le marché du GNL, qui se répercuteraient immédiatement sur le marché européen",
affirme Philippe Chalmin.

Même si l’Iran n’utiliserait ce levier qu’en dernier ressort puisque son économie en dépendrait aussi, Teheran a plusieurs fois brandi la menace de son blocage contre les Occidentaux soutiens d’Israël. Un conflit ouvert entre les deux camps, pourrait aboutir à la mise à exécution de ces menaces.


Le détroit de Bab-el Mandeb: le joker


Par ailleurs, l’impact de l’Iran et sa capacité à gêner le commerce mondial ne se limite pas au détroit d’Ormuz. En cas de conflit, Teheran disposerait d’une autre carte : les Houthis du Yemen et le détroit de Bab-el Mandeb. Soutiens du régime iranien et perçus d’ailleurs comme l’un de ses groupes "proxys", les Houthis pourraient bloquer le détroit de Bab-el Mandeb eux aussi de leur côté en cas de conflit ouvert avec Israël. Ce détroit est tout aussi important que celui d’Ormuz.


Situé entre le Yemen, Djibouti et l’Érythrée, le détroit de Bab-el Mandeb qui relie la Mer Rouge au Golfe d’Aden, voit transiter dans ses eaux chaque jour quelque 4,5 millions de barils de pétrole des pays du Moyen-Orient et d'Asie vers l'Occident, selon l'Administration américaine d'information sur l'énergie (US Energy Information Administration).


Il est utilisé aussi pour faire passer 8% des cargaisons mondiales de gaz naturel liquéfié. C’est le couloir maritime le plus utilisé au monde avec 40% du commerce maritime mondial y transitant.


Les Houthis ont déjà convaincu de leur capacité à user de ce levier pour porter atteinte à des fins politiques. Depuis le début du génocide qu’Israël mène à Gaza depuis octobre dernier, les Houthis ont perturbé le commerce mondial en ciblant tout navire israélien ou de pays pro-Israël qui emprunteraient le détroit de Bab-el Mandeb. Cela a poussé plusieurs navires à faire le contour de l’Afrique pour acheminer leurs marchandises.


Une guerre israélo-iranienne embraserait tout le Moyen-Orient mais aurait surtout des conséquences économiques désastreuses. Cependant, si Téhéran usait de ce levier, il n’entrerait pas juste en guerre contre Tel-Aviv mais aussi contre Washington et ses alliés de l’Ouest dont les importations dépendant cruellement des couloirs maritimes stratégiques.


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