Quelle excuse le monde musulman peut-il avancer face à El-Fashir ?

10:1319/11/2025, mercredi
MAJ: 19/11/2025, mercredi
Yasin Aktay

Le génocide perpétré par Israël à Gaza — sous les yeux de deux milliards de musulmans, et au prix de leur humiliation — laisse un traumatisme profond dans l’ensemble du monde islamique. Personne ne doit s’attendre à ce que ce traumatisme pousse les musulmans à se replier davantage, encore moins à l’accepter avec résignation. L’impuissance affichée face à cette humiliation ne relève pas d’une quelconque apathie : elle nourrit une colère, une conscience critique et une volonté nouvelle. Les conséquences

Le génocide perpétré par Israël à Gaza — sous les yeux de deux milliards de musulmans, et au prix de leur humiliation — laisse un traumatisme profond dans l’ensemble du monde islamique. Personne ne doit s’attendre à ce que ce traumatisme pousse les musulmans à se replier davantage, encore moins à l’accepter avec résignation.


L’impuissance affichée face à cette humiliation ne relève pas d’une quelconque apathie : elle nourrit une colère, une conscience critique et une volonté nouvelle.

Les conséquences de cette colère ne seront bonnes ni pour Israël, ni pour ceux qui le soutiennent, le couvrent ou collaborent avec lui. Que chacun calcule dès maintenant la suite en tenant compte de cette réalité. Le constat du président américain Donald Trump —
"Autrefois, critiquer Israël signifiait la fin d’une carrière politique aux États-Unis, aujourd’hui c’est plutôt dire quelque chose en sa faveur qui peut vous coûter votre avenir"
— est sans doute l’un des signes les plus clairs de ce qui se profile.


Israël est-il seulement "normal" pour qu’on parle de "normalisation" ?


C’est une leçon dont tout le monde devrait tirer profit. En particulier les pays musulmans, et plus encore ceux qui s’apprêtent à engager une prétendue
"normalisation"
avec Israël. Ce qu’il faut comprendre est simple : on ne normalise pas une entité anormale, exceptionnelle, étrangère à toute logique historique et politique. Israël n’est pas une entité normale (les Arabes évitent même le mot
"État"
et parlent de
"kiyan"
), et c’est pourquoi une relation normale avec lui est impossible.

Une relation
"normale"
avec Israël consiste soit à entrer en confrontation avec lui, soit — au mieux — à l’ignorer totalement.

Quoi qu’il en soit, Gaza constitue une épreuve, une attaque extérieure contre laquelle le monde musulman est testé. Le fait que cette épreuve soit menée non seulement par Israël, mais aussi par les États-Unis et les puissances européennes peut, jusqu’à un certain point, expliquer la prudence de certains pays musulmans.


Malgré cette retenue, l’attitude minimale attendue du monde islamique serait déjà de renforcer, dans d’autres dossiers, une culture d’unité entre musulmans.


Face à El-Fashir, quelle justification reste-t-il au monde musulman ?


Le problème est que nombre de conflits, de guerres et de catastrophes se déroulent aujourd’hui au cœur même du monde musulman. Et ces drames devraient pouvoir être résolus en interne. Quelle excuse peut invoquer le monde musulman face aux crimes contre l’humanité commis à El-Fashir, au Soudan, par des milices armées et manipulées ?


Ce qui se passe au Soudan n’est pas un simple conflit interne qui commencerait et finirait dans les frontières du pays. Nous le répétons depuis le début :
les événements du Soudan ne sont pas des dynamiques purement soudanaises.

Au Soudan, il n’existe pas deux parties égales se faisant face. D’un côté, il y a un gouvernement légitime, soutenu par le peuple, par les institutions, par la société civile et par les partis politiques. De l’autre, une bande de pillards et de mercenaires.


La plupart de ces insurgés ont été importés de l’étranger comme forces rémunérées, motivées par les promesses de butin et de pillage.

Issus pour beaucoup de groupes bédouins, ces combattants sont rassemblés depuis différents pays de la région. Ils n’ont aucune vision, aucun projet, aucune idéologie pour le Soudan. Leur seule motivation est de piller, puis de repartir.


Le plus grave : derrière ces groupes se trouve un autre pays musulman.


Comme nous l’avions déjà écrit, les Émirats arabes unis — pourtant membre majeur de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) — sont directement impliqués dans la déstabilisation du Soudan.


Malgré leur statut dans l’OCI, ils n’ont jamais, à ce jour, pris une initiative bénéfique pour le monde musulman. Leur politique consiste au contraire à attiser les conflits, à provoquer les tensions et à devenir l’un des acteurs les plus destructeurs des zones sensibles du monde islamique.


Que veulent-ils ? Où veulent-ils aller ? Personne ne le sait. Ils agissent en totale contradiction avec la mission officielle de l’OCI.

Et même du point de vue de leurs propres intérêts, il est difficile d’y voir une stratégie bénéfique.


Dans le cas soudanais, leur rôle destructeur est désormais manifeste, au point de leur faire perdre toute crédibilité dans le monde musulman.

Partout, leur action est comparée à celle d’Israël à Gaza : une politique qui déstabilise, qui fragilise et qui fait peser une menace majeure sur l’ensemble du monde islamique.

Aujourd’hui, des pays comme l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Somalie et bien d’autres expriment leur inquiétude face aux conséquences de cette stratégie de chaos.


L’épreuve d’El-Fashir pour le monde musulman


L’épreuve la plus déterminante pour le monde musulman pourrait se manifester ici, avant même Gaza.

N’osant pas intervenir à Gaza de peur d’affronter directement les États-Unis, les pays musulmans pourraient commencer par intervenir dans un conflit interne au monde islamique.

Ils pourraient faire d’El-Fashir l’occasion de démontrer l’existence d’une volonté politique musulmane — d'abord en épuisant toutes les voies diplomatiques, bien sûr.


El-Fashir représente en réalité l’autre face de Gaza.
L’impuissance affichée face au drame gazaoui n’est pas une fatalité.
À El-Fashir, les politiques d’occupation et de colonisation semblent littéralement calquées sur celles d’Israël : des tribus rassemblées depuis divers points du Darfour sont envoyées et installées de force dans la ville, transformant El-Fashir en une sorte de cité-État contrôlée de l’extérieur, fidèle au modèle d’occupation sioniste.

La situation est telle aujourd’hui que si El-Fashir apparaît comme le prolongement de l’occupation de la Palestine, alors peut-être faudra-t-il commencer par libérer El-Fashir pour espérer stopper le génocide et le déplacement forcé à Gaza.

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