Entre Kigali et Paris, le fardeau du génocide pèse encore

16:308/04/2024, lundi
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Le président du Rwanda Paul Kagame et son épouse Jeannette Kagame allument une flamme du souvenir entourés de chefs d'État et d'autres dignitaires dans le cadre des commémorations du 30e anniversaire du génocide rwandais de 1994 au Mémorial du génocide de Kigali à Kigali, le 7 avril 2024.
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Le président du Rwanda Paul Kagame et son épouse Jeannette Kagame allument une flamme du souvenir entourés de chefs d'État et d'autres dignitaires dans le cadre des commémorations du 30e anniversaire du génocide rwandais de 1994 au Mémorial du génocide de Kigali à Kigali, le 7 avril 2024.

Trente ans après, le rôle de la France dans le plus grand massacre ethnique de l'histoire du continent africain demeure sujet à controverses, à tergiversations et à interrogations. Rappel et quelques éléments de réponses.

Plus de vingt livres et bon nombre de documentaires, de rapports officiels et indépendants ont été consacrés au génocide du Rwanda, éclaté le 7 avril 1994. Tous, corroborés de faits révélés et étayés de documents et de témoignages de rescapés et d'acteurs directs dans la tragédie, démontrent sinon l'implication -voire la complicité de la France, du moins sa responsabilité.


Flashback ou les semences de la haine


En héritant du Rwanda, après la Première Guerre mondiale, la Belgique s'accommoda du système sociétal qui prévalait, dominé et dirigé par les minoritaires mais riches éleveurs Tutsi, acceptés par les majoritaires Hutu, paysans agriculteurs et par la petite communauté Mwa, formée d'ouvriers et d'artisans.


Pour renforcer sa présence, l'administration belge étendit le pouvoir des Tutsis, jusqu'au Nord-ouest où les Hutus jouissaient, jusque-là, d'une certaine autonomie, leur ouvrit exclusivement les portes de l'éducation et de la gouvernance et établit même, dès 1931, des documents d'identité, mentionnant l'appartenance ethnique des citoyens rwandais. Une manière de davantage séparer pour mieux gouverner. Les grains de la haine étaient semés.


Instruites et éveillées, les nouvelles générations des Tutsis des années 1940 - 1950 commencèrent à montrer des velléités d'émancipation politique et d'indépendance; des aspirations assimilées par l'occupation à
"un danger d'inspiration communiste".

Il ne lui fallait pas plus pour se retourner contre ses alliés de la veille, écorner leurs avantages au profit de ses nouveaux
"protégés"
Hutu, réveiller des animosités ethniques et des aigreurs socio-économiques dormantes et ressusciter, en lui donnant du crédit, la prétendue étrangère origine des Tutsis.

Le résultat fut immédiat. Aux échauffourées succédèrent des agressions et des assassinats en bandes, sans quasiment aucune poursuite judiciaire. Face à l'impunité, de vrais massacres de dizaines de Tutsis faisaient leur apparition ici et là, jusqu'à l'horreur du carnage de 1963, où entre 8000 et 12 000 personnes, sans distinction d'âge ni de sexe, furent assassinées.

La fuite vers les proches Burundi, Congo et Ouganda, devint massive. Le Rwanda avait à peine obtenu son indépendance (1er juillet 1962).


Pour faire amende honorable, face à l'unanime condamnation internationale de ce forfait et de ses conséquences, le pouvoir Hutu en place réussit à plus ou moins contenir la persécution systématique et à grande échelle des Tutsis. Entre-temps, les réfugiés expatriés s'organisaient et aspiraient à revenir au pays. C'est ainsi qu'en Ouganda, naissait le Front patriotique rwandais (FPR), fortement soutenu et armé par les autorités de Kampala, au point de pouvoir réussir des incursions en territoire rwandais et mener des opérations de sabotage, commettre des massacres de représailles, avant de s'emparer de pans du pays et provoquer, en 1990, une guerre civile, dont le président Juvénal Habyarimana, arrivé par un coup d'Etat en 1973, fut largement responsable, tant sa poigne a été de fer et sa répression envers autant les Tutsis que ses opposants Hutu modérés, fut sans limites.


Avec la rébellion qui se renforçait, la guerre civile qui s'étendait et les avancées du FPR qui s'affermissaient, il deviendra plus permissif encore, laissant son armée et ses milices multiplier les assassinats ciblés et sauvages, des civils Tutsi et Hutu opposants.


Les tueries cycliques de grande envergure, en octobre 1990, février 1991, mars 1992 et février 1993, susciteront l'indignation, en Afrique et dans le monde. L'Organisation de ľUnion Africaine et des chefs d’Etat, dont notamment l'emblématique Nelson Mandela, pèsera de tout leur poids pour imposer des pourparlers qui déboucheront sur les accords d'Arusha (Tanzanie), le 4 août 1993 qui stipulent, entre autres, un nouveau gouvernement transitoire mixte, le retour des réfugiés, l'intégration d'un contingent des combattants du FPR dans les forces régulières et le déploiement de Casques bleus, pour faire respecter le traité de paix. Ce n'était pas pour réjouir les Hutus, surtout pas les purs et durs.


Aussi la thèse qu'ils soient derrière l'attentat aux missiles du 6 avril, qui a ciblé l'hélicoptère où se trouvaient Habyarimana et le président Burundais, trouve-t-elle explication et arguments dans le déroulement quasi-coordonné des événements. En effet, l'attentat a été précédé du durcissement de la position des partis extrémistes opposés à Arusha qui donnaient de la voix, pour inciter à l'extermination des Tutsis.


Des appels relayés par Radio Kigali. Une poudrière qui n'attendait qu'une allumette pour exploser. L'attentat de l'hélicoptère le fut...puisque le soir même de ce 6 avril, commencèrent les tueries. Mais le vrai génocide, le plus grand de l'histoire peut-être, en termes d'intensité et de rapidité, débutera avec l'assassinat de la Première ministre, la modérée Agathe Uwilingiyimana, avec plusieurs responsables, en plus de dix Casques bleus. Dès lors, rien ne fut épargné.

Le sang coulait partout, dans la rue, les écoles, les églises, de sorte qu'en à peine trois mois, entre 800 000 et un million de Tutsis, seront tués, par balles, à la machette ou lapidés, par l'armée Hutu et ses milices. Le cauchemar ne prendra fin qu'avec la prise de Kigali, le 4 juillet, par les forces du Front patriotique rwandais. Les militaires français de l'opération "Turquoise", mandatés dans l'urgence par l'ONU, moins de deux semaines plus tôt (résolution du 22 juin 1994), pour protéger les civils, n'y auront pas été pour grand-chose.


L'ancien aveu "dilué"


Invité à la commémoration du 30e anniversaire du déclenchement de ce génocide, le président français se fera représenter par son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, et par le secrétaire d'Etat chargé de la Mer d'origine rwandaise, Hervé Berville, qui, fort à parier, ne seront pas à l'aise, après la déclaration d'Emmanuel Macron, rapportée par l'Elysée jeudi dernier, où il dit notamment que:

La France aurait pu arrêter le génocide de 1994, avec ses alliés occidentaux et africains, mais n'en a pas eu la volonté.

Dans cette vidéo, qui sera diffusée ce dimanche, préparée et réfléchie, où chaque mot a son poids, il affirme encore:
"Quand la phase d'extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d'agir.
"

Contrairement à ce qu'avancent de nombreux politiques et commentateurs qui voient en ces propos davantage que la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le drame et le mea-culpa, exprimés par le président français en 2021, au Mémorial du génocide à Kigali, l'ancien aveu est savamment
"dilué"
, la responsabilité amoindrie sinon floutée et ne serait-ce que le soupçon d'une possible implication définitivement effacé.

En effet, en cette trentième commémoration, c'est désormais la communauté internationale que Macron charge. Ce qui demeurera dans les esprits, c'est que la France en fait, certes, partie et elle assume sa
"part"
de responsabilité, mais c'est
"avec ses alliés occidentaux et africains"
qu'elle aurait pu arrêter les massacres.

Cette manière, politiquement intelligente, humainement sournoise, de se décharger et de se fondre dans la masse jusqu'à ne plus apparaître parmi les "accusés", prend toute sa dimension dans les phrases clefs qui s'imprègnent dans les esprits:


Quand la phase d'extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d'agir.

Par la magie des mots, la France
"disparaît"
. Elle est quasiment disculpée... Et pour détourner encore plus l'attention, il remet sur la table la question de la Shoah. La France n'a rien à y voir, le Rwanda non plus. Brouiller les cartes et, en même temps, plaire à une certaine oligarchie financière dont il a fait partie, pourquoi pas ?

En fait, le choix des passages,
"fuités" p
ar l'Elysée (rappelons-le), n'est pas fortuit. Il montre le message visé et le perçu recherché, auprès des Rwandais et, surtout, auprès des Français, qu'il ne fallait pas oublier, en cette période électorale des Européennes.

Aux premiers, il aura, de nouveau, exprimé la responsabilité de Paris dans le génocide, une lapalissade, et à son électorat, il aura gardé la tête haute, avec la force de l'aveu, sans le repentir du
"fautif".
Les masses n'aiment pas cette posture Elle lui préférerait le déni.

Et c'est justement dans le déni total que se drapent encore des acteurs comme Edouard Balladur, à l'époque Premier ministre de la cohabitation avec François Mitterrand, qui ne se sent pas tenu à
"la moindre repentance",
ou encore Hubert Védrine, secrétaire général de la présidence de la République (1991-1995) qui affirmait, jusqu'à cette semaine, que Mitterrand n'a pris en compte, dans ses décisions concernant le Rwanda, que les aspects humains et que les opérations
"Noroît" (1990) et "Turquoise"
(1990) n'ont aucunement soutenu le régime de Habyarimana, ni n'assument une quelconque responsabilité dans le génocide.

Nous lui rappellerons juste que ce n'est un secret pour personne que pour étendre sa zone d'influence, la France comptait sur des alliés sur le continent, dont le président Hutu, soutenu par Paris, depuis le milieu des années 1970, politiquement, en matériel de guerre et en formation des forces armées.


En dépit des massacres des Tutsis qui faisaient rage au tout début des années 1990, Mitterrand l'avait reçu, en grande pompe, avec sa délégation qui comptait le terrible Jean Bosco Barayagwiza, le chef de la "Coalition de défense du Rwanda", qui renie aux Tutsis jusqu'à la nationalité et qui sera, d'ailleurs, jugé pour génocide et crimes de guerre.

Nous évoquerons aussi comment, en 1990, les forces françaises de l'opération
"Noroît",
supposées aider à évacuer les ressortissants étrangers, se sont éternisées pour soutenir l'armée du régime à arrêter l'avancée des combattants du FPR.

C'était pour empêcher un inévitable bain de sang, si ces derniers étaient arrivés à Kigali.

Ce disant, il semble oublier que les Hutus, alliés de la France, faisaient déjà couler le sang et à flot et que justement, lorsque ces forces ont pris Kigali, quatre ans plus tard, les massacres ont cessé.


Nous reprendrons aussi le témoignage de l'officier Guillaume Ancel qui prouve que la France avait d'autres desseins, à travers l'Opération
"Turquoise"
qu'elle s'est empressée de prendre en charge et qui consistait, selon la résolution de juin 1994 du Conseil de sécurité de ľONU, à
"protéger les civils, par tous les moyens, sans se ranger d'un côté ou de l'autre".

En effet, ce militaire affirme que le 29 juin, il avait reçu l'ordre de préparer le terrain à un raid près de Kigali, pour empêcher la capitale de tomber entre les mains des Tutsis.
"Un contre-ordre m'est parvenu le surlendemain"
, indique-t-il. C'est que rien ne pouvait plus sauver l'armée de la débandade et les forces du FPR de la victoire.

Ce serait, enfin, de la redondance que d'énumérer, après cela, les déjà connus rapports, livres ou documentaires qui apportent les preuves de la longue implication de la France, dans et après le génocide. Minimiser sa responsabilité politique et militaire dans ce drame n'aide pas à tourner définitivement la page.


Pire, ne pas évoquer les crimes des soldats de
"Turquoise"
qui, en moins de deux semaines, ont trouvé le temps de souiller l'uniforme qu'ils portaient et de profaner leur mission, en violant celles qu'ils avaient la charge de protéger, ne fait pas honneur. Ce ne sont pas des
"dommages collatéraux",
mais bel et bien des crimes contre l'Humanité.

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"morts-vivants"
Claudine... Des voix de jeunes femmes, à jamais brisées. Le documentaire
"Le silence des mots"
parle pour elles, contre l'oubli. Elles ont subi le génocide.

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