France: accuser de "proximité avec les Frères Musulman" porte atteinte à l'honneur, selon la Justice

12:333/01/2024, mercredi
MAJ: 3/01/2024, mercredi
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L'entrée du ministère de la Justice, à Paris, en France.
Crédit Photo : PATRICK KOVARIK / AFP
L'entrée du ministère de la Justice, à Paris, en France.

En France, depuis plusieurs années, rares sont les personnalités musulmanes à avoir échappé à des accusations de proximité avec les Frères musulmans, dont l'Organisation est criminalisée par la sphère politico-médiatique.

Des politologues, des journalistes, des chercheurs, des écrivains, des avocats et même des footballeurs à l'image de Karim Benzema, se sont vus attribuer une proximité avec la Confrérie, fondée en Egypte en 1928, alors même qu'elle n'a rien d'illégal.


C'est donc en dépit de toute réalité, que cette accusation est utilisée pour disqualifier la majeure partie des figures musulmanes Françaises et ainsi minorer la légitimité de leur discours et l'impact de leur parole publique.

Mais au-delà de l'impact moral, plusieurs d'entre elles ont eu à payer le prix de ces allégations, en voyant leurs vies professionnelles impactées et des associations ont régulièrement à s'en justifier devant les autorités, à défaut de quoi, certains de leurs projets sont empêchés.


C'est le cas de l'association Valeurs et Réussites, basée à Valence, et qui a réussi à faire condamner le journal satirique Charlie Hebdo en diffamation pour l'avoir qualifiée de proche des Frères musulmans, dans un article publié en juillet 2022.

Consultée par Anadolu, la décision complète contenant le détail des arguments déployés par la justice, a été communiquée vendredi par le tribunal correctionnel de Valence, au dirigeant de l'association, Mourad Jabri, et reconnaît des éléments inédits en la matière.


Le jugement rendu relève, en effet, que
"s'il est vrai que l'appellation [Frères musulmans] fait référence à une organisation qui n'est pas considérée comme terroriste et interdite en France, le contexte politique actuel national et international l'associe à un islam radical moralement condamnable et que, dès lors, l'usage de ce terme est de nature à porter atteinte à l'honneur, à la réputation et à la considération sociale de la personne offensée".

La justice considère ainsi que "
ce terme est bien paré dans l'esprit commun d'une forte charge de réprobation; comme le prouve, du reste, les déferlements de haine sur les réseaux sociaux que cet article a suscité à l'encontre de l'association Valeurs et Réussites".

Contacté par Anadolu, l'avocat de l'association, maître Nabil Boudi souligne que les magistrats ont ainsi considéré
"pour la première fois, que dans le contexte politique actuel, accuser une personne physique ou morale d'appartenir aux Frères musulmans était de nature à porter atteinte à l'honneur, à la réputation et à la considération sociale de la personne offensée".

Il se félicite d'une
"belle évolution de la jurisprudence en la matière, car de nombreux acteurs sont qualifiés de la sorte et traînés dans la boue depuis des années".

Le jugement revient, en outre, largement sur la
"mauvaise foi"
de la journaliste de Charlie Hebdo, Laure Daussy, clairement mentionnée dans le délibéré et qui est à mettre en perspective avec d'autres éléments matériels illustrant les conséquences de l'article diffamatoire.

Suite au tollé provoqué par les accusations de proximité avec les Frères Musulmans, la mairie de Valence a annulé la vente d'un terrain alloué à Valeurs et Réussites, sur injonction de la préfecture.


Dans un enregistrement audio daté d'août 2022, consulté par Anadolu et faisant l'objet d'un constat d'huissier, le maire de Valence, Nicolas Daragon reconnaît explicitement que l'annulation de la vente du terrain destiné à un projet d'extension est la conséquence de l'article publié par le journal satirique.

"Charlie Hebdo, tout est parti de là"
, déclare l'élu qui reconnaît "
un sujet injuste".

Et de poursuivre: "Q
uand je vote cette délibération le 27 ou 28 juin dernier c'est parce que j'estime que mes concitoyens d'origine musulmane ont droit à une école, que les services de l'Etat ont donné des avis favorables. Je n'ai pas de motif qui me fasse dire que je ne dois pas voter. Et quand aujourd'hui on m'impose de ne pas maintenir ce compromis, de ne pas maintenir cette délibération je dis que c'est injuste mais je n'ai pas d'autre solution".

Et les déclarations du maire sont directement corroborées par les propos de son directeur général des services, Christophe Marmilloud dans des conversations, elles aussi, consultées par Anadolu et constatées par huissier.


Évoquant "
la pression subie"
par Nicolas Daragon, le responsable mentionné ouvertement la possibilité que
"la décision"
soit
"prise de dire finalement je renonce à ce projet parce que la pression elle est trop forte".

D'un point de vue plus global, la notion d'appartenance à la confrérie des Frères musulmans fait l'objet de tous les fantasmes en France et en Europe, grâce notamment aux analyses souvent biaisées de certaines figures adeptes d'une laïcité de combat.


L'anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, qui a d'ailleurs fourni une attestation à Charlie Hebdo, affirmant que Valeurs et Réussites est "
proche des Frères Musulmans"
avant d'être désavouée par la justice, s'est notamment illustrée par une série de déclarations qui posent question.

Moi j'ai connu une époque où on pouvait être musulman sans être Frères musulmans.

"Aujourd'hui, je ne sais pas si c'est possible sans être frériste"
, a-t-elle, par exemple, énoncé dans une séquence vidéo très largement relayée sur les réseaux sociaux et qui a provoqué l'indignation, tant dans les rangs musulmans que du côté des universitaires.

Reçue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en mai dernier, cette dernière, est également l'auteure d'ouvrages particulièrement controversés comme "
La marché Halal ou l'invention d'une tradition"
ou encore
"Le frérisme et ses réseaux, l'enquête".

Si elle semble bénéficier de l'oreille attentive de la Place Beauvau comme le confirme à Anadolu une source bien informée, ses travaux demeurent, eux, très décriés.


L'islamologue François Burgat fait partie de ceux qui ont émis de vives critiques quant au contenu de ce livre et à l'idéologie qu'il distille.


"La première raison qui fait qu'on ne peut pas considérer que son ouvrage sur le frérisme est scientifique c'est que l'auteure connait la réponse avant d'avoir fait l'enquête et surtout, on ne trouve aucune trace de l'enquête"
, grince cet ancien directeur de recherche du CNRS.

Il s'étonne de ne trouver dans le livre, qu'une
"série de citations péremptoires"
et que Florence Bergeaud- Blackler
"n'ait jamais rencontré quiconque de ceux dont elle parle".

Ce livre prend
"appui sur une dizaine de citations mais où est la sociologie, l'historicité, les dynamiques de transformation, etc."
, s'interroge le spécialiste pour qui l'auteure
"porte des jugements et ne décrit pas ce que c'est que l'Islam mais dit plutôt ce qui devrait être l'Islam de son propre point de vue".

S'agissant du fantasme d'appartenance aux Frères musulmans, la décision de justice obtenue par Valeurs et Réussites va désormais permettre à d'autres personnalités ou structures, d'espérer faire condamner ceux qui leur prêtent des accointances à des fins de nuisance politique.


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