Au lendemain de la révolution : comment le capital de la haine s’est épuisé ?

10:4110/12/2025, Çarşamba
MAJ: 10/12/2025, Çarşamba
Ersin Çelik

Il y a longtemps qu’une question mûrit dans mon esprit. Un an après la Révolution syrienne, ses répercussions sur Türkiye et le bilan intérieur qu’elle impose ne sont toujours pas tirés comme il se doit. Et pourtant, il existe de s "dossiers qui ne doivent pas être refermés" et des vérités avec lesquelles il faut absolument se confronter. En Syrie, dans la nuit du 8 décembre 2024, la révolution n’a pas seulement mis fin à un régime. Elle a aussi signé la faillite politique, en Türkiye, d’une pensée

Il y a longtemps qu’une question mûrit dans mon esprit. Un an après la Révolution syrienne, ses répercussions sur Türkiye et le bilan intérieur qu’elle impose ne sont toujours pas tirés comme il se doit. Et pourtant, il existe de
s "dossiers qui ne doivent pas être refermés"
et des vérités avec lesquelles il faut absolument se confronter.

En Syrie, dans la nuit du 8 décembre 2024, la révolution n’a pas seulement mis fin à un régime. Elle a aussi signé la faillite politique, en Türkiye, d’une pensée fasciste qui, depuis des années, faisait de victimes de guerre sans défense un fonds de commerce politique. Les slogans de liberté qui résonnaient cette nuit-là dans les rues de Damas se sont abattus dès le lendemain comme un
"silence profond"
dans les couloirs de certains sièges de partis bien connus à Ankara.

On s’en souvient : j’ai écrit ici à de nombreuses reprises que la haine gonflée artificiellement sur les réseaux sociaux et les perceptions fabriquées par des comptes bots n’avaient aucun équivalent dans la vraie vie. Ce
"ballon virtuel"
a éclaté en une nuit, piqué par l’aiguille de la révolution. Les espaces de pouvoir gonflés par les algorithmes et soutenus par des bots ont été balayés par le vent violent de la Révolution syrienne.

Une révolution qui fait tomber les masques en Türkiye


Ceux qui, depuis des années, survivaient en exploitant la colère sociale, en rejetant la politique hors du champ des valeurs humaines, ont vu, au matin de la révolution, toutes leurs phrases s’écraser contre le mur de la réalité. Tous leurs réflexes ont été brisés. Car aucune politique bâtie sur la haine ne peut se réveiller au
"matin de la victoire"
. Et, de fait, ils ne se sont pas réveillés. En Türkiye, le slogan
"Ils partiront !"
ressassé depuis des années a perdu sa validité à partir de ce matin-là.

Un an a passé depuis la révolution et, oui, ils partent. Mais pas comme certains l’avaient promis dans leurs programmes électoraux, pas entassés de force dans des bus, bousculés et humiliés.
Ils rentrent chez eux, sur leurs terres, dans la dignité, la tête haute, selon un récit de "grand retour" préparé, organisé.

Revenons à ceux dont tous les scénarios se sont effondrés en une nuit, avec leurs phrases empreintes de menace et le vent qu’ils faisaient souffler sur les réseaux sociaux. Depuis des années, ils proclamaient sur les tribunes :
"Nous réglerons ce problème."
Mais ils n’ont pas compris que la solution ne consistait pas à serrer la main d’Assad, mais à mettre fin à l’injustice. Peut-être n’ont-ils jamais voulu le comprendre. Car leurs intérêts politiques dépendaient du maintien de l’incendie en Syrie et du fait qu’en Türkiye, la fumée de cet incendie continue d’étouffer la société.

La révolution, qui entre aujourd’hui dans sa deuxième année, a réduit en cendres cette ingénierie politique malsaine. Après la révolution, le bloc hostile aux réfugiés syriens s’est délité de jour en jour. Pour des raisons diverses, ils se sont mis en quête d’un
"coupable"
. Ceux qui, hier encore, parlaient la même langue de haine, aujourd’hui se jettent mutuellement les accusations les plus lourdes, se reprochant de s’être entraînés les uns les autres dans un marécage. Les accusations de vol, de trahison, de complot ne cessent de pleuvoir. Ceux qui posaient ensemble pour les photos se croisent désormais aux carrefours en détournant le regard. On appelle cela
"justice divine"
… ou l’on dit que
"le soupir du mazloum (l'innocent) ne reste pas en suspens".

En réalité, aucun d’entre eux n’avait de véritable vision politique ni de plan B humaniste. Nous observons avec stupéfaction la dispersion des structures et des composantes issues de la Table des Six (coalition de 6 partis politiques divers), et l’état dans lequel se retrouvent aujourd’hui ceux qui se lançaient à la chasse aux Syriens sur les places. Tandis que le peuple syrien renversait un régime tyrannique, des politiciens marginaux en Türkiye traversaient, eux, leur propre
"effondrement"
intérieur, happés par le chaos de leurs règlements de comptes.

Quand le capital politique de la haine s’effondre


Il y a bien un dossier qui doit être refermé… Ce que ces milieux ont perdu ne se limite pas à des voix ou à des sièges. Ils ont transformé l’histoire de gens fuyant la guerre, les barils d’explosifs et la mort en produit de négociation sur les tables politiques. Même lorsque des bébés mouraient de froid, lorsqu’un père était réduit à l’impuissance, ils faisaient des calculs arithmétiques et de l’ingénierie démographique. Ils ont perdu jusqu’à la capacité de prononcer un seul mot de conscience sur une question éminemment humaine. Ils ont sacrifié leur humanité à leurs ambitions politiques. Sous les décombres de la haine, il n’y a pas seulement des politiciens : les arguments des braillards de rue et des provocateurs virtuels se sont eux aussi effondrés.


Au lendemain de la révolution, une vérité est apparue aux yeux de tous en Türkiye, même des plus opposés : le problème, ce n’étaient pas les Syriens. Le problème, c’était ces campagnes toxiques, menées au nom des Syriens, qui jouaient avec les nerfs de la société et dont on sait désormais qu’elles étaient orchestrées depuis un centre.


Quand les Syriens ont commencé à retourner, en sécurité, librement et sous les prières, dans les maisons qu’ils avaient été contraints d’abandonner, l’Histoire, elle aussi, a éliminé très vite
"certains"
acteurs. Car ils se tenaient eux-mêmes sur une base pourrie, sur une colère prête à les consumer.

Posons une nouvelle fois, plus fort encore, cette question légitime : la guerre est finie, les tyrans sont dispersés, les opprimés rentrent chez eux… Alors ceux dont le seul capital politique était
"la haine"
et
"la peur"
, tels des commerçants dont l’étal est vide, que vont-ils vendre désormais, à qui, et avec quoi ? Ceux qui se retrouvent les mains vides pourront-ils combler le vide immense qui s’est creusé dans leur conscience ?
J’en doute fortement.
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