Nous laissons derrière nous une autre journée épuisante. Car nous avons rencontré un problème qui a empêché notre mouvement. L’un des navires leaders de la Flottile, le Family, est tombé en panne ; on a beaucoup bataillé mais, comme il n’a pas pu être réparé, il a été décidé de procéder à son évacuation. Cette opération n’a pas été facile non plus. On a planifié pour les activistes en tenant compte de la situation sur les autres bateaux, et sans laisser personne derrière, ce problème a été résolu. Les aides, les dépôts de ravitaillement et les autres cargaisons du navire qui ne pouvait plus continuer la route ont été transférés sur les autres bateaux, d’abord et surtout sur le navire amiral Alma. Pour cette raison, nous avons mouillé un jour de plus dans la baie de la petite île à l’extrémité est de la Crète. Nous avons changé notre grande voile principale qui avait été endommagée lors de l’attaque par drone d'Israel d’il y a trois nuits. Avant notre traversée ininterrompue vers Gaza, nous avons fait nos préparatifs personnels dans la mesure du possible. En réalité, c’étaient des travaux profitant de l’occasion.
Entre-temps, la Grèce a envoyé une frégate pour surveiller la Flottille. Le navire de guerre grec a mouillé dans nos eaux hier matin. Le navire des Italiens est aussi dans les parages. Celui des Espagnols est en route. Ici, je sais bien que vous allez demander "Et la Türkiye ?". Vous aurez bientôt la réponse, peut-être que vous la verrez en lisant ces lignes. Nous sommes sûrs que notre pays, la Türkiye, ne laissera pas ses quelque 40 citoyens présents dans la Flotte se sentir abandonnés en haute mer.
Malgré les épreuves sur épreuves, il y a des amis qui ont traversé la Méditerranée presque à la nage pour rejoindre la Flotte, mettant leur vie en jeu. Mon cœur tremble même en écrivant ces lignes. Je l’ai déjà dit auparavant : aucun d’entre nous n’est monté à bord de cette Flottille pour devenir héros ou se faire un nom. Notre affaire, notre cause du jour, notre agenda, c’est Gaza. Chacun fait des sacrifices pour l’amour de Dieu, à la mesure de ses moyens. Turcs, Européens, Asiatiques, Américains… Ni les sabotages, ni les attaques de drones, ni les bombes qui nous sont tombées dessus n’ont eu d’effet. Tous les membres de cette Flotte ont un seul but : atteindre Gaza.
Mais il existe des sacrifices, des efforts, des refus d’abandonner qui méritent d’être racontés, connus et servir d’exemple. Je vais maintenant vous en raconter un. Ils sont encore en route mais je crois qu’ils nous rattraperont une fois de plus.
Un bateau arrive à l’arrière de notre Flottille. Il s’appelle Adagio. Même si nous n’avons pas navigué dans les mêmes eaux depuis la Tunisie, ils n’ont jamais renoncé à leur détermination d’aller à Gaza.
Adagio a rejoint la Flottille depuis la Tunisie. L’organisation a été assurée par notre frère Muhammet Fatih Sinan, leader de l’équipe Open Refah qui a organisé de nombreuses actions pour Gaza à Istanbul. Fatih a travaillé des jours durant en Tunisie pour préparer les bateaux. Il a trouvé des artisans. Il a trouvé des pièces de rechange mais n’a pas trouvé de bateau pour embarquer lui-même. Les bateaux de Barcelone sont partis. Plusieurs bateaux tunisiens sont partis. Fatih, lui, n’a pas renoncé et a préparé l’Adagio pour la route. Il s’est mis à leur suite. Il est arrivé en Sicile. Mais son bateau était gravement endommagé. Il ne pouvait pas appareiller. La dernière nuit où nous avons mouillé dans la baie de Portopalo, il m’a envoyé ce message : "On dirait que notre bateau ne partira pas, frère. Y a-t-il des places libres sur les bateaux italiens ?"
Entre-temps, comme l’Adagio n’a pas pu être réparé, ils l’avaient retiré de la Flottille. Avec ma sœur Gülden Sönmez, nous avons demandé, plaidé, mais nous n’avons pas pu ouvrir une place. Nous avons expliqué son équipement technique, ses efforts en Tunisie, mais ça n’a pas fonctionné et, en laissant Fatih et ses amis derrière, nous avons mis le cap sur la Crète. Puis, mardi matin, j’ai reçu ce message de Fatih : "Ça a été très difficile. Ça a demandé beaucoup d’efforts. Nous avons vraiment peiné. Nous avons presque combattu. Ils nous avaient retirés de la liste. Elhamdülillah. Nous sommes partis la nuit. Nous les rattraperons, Inchallah."
À cet endroit, je sens que vous allez dire aussi "Allah-u ekber". Ils étaient en route. Mais la communication a été coupée. Il s’est avéré que le bateau de Fatih avait de nouveau eu une panne et cette fois ils ont dérivé pendant 24 heures. L’opinion publique turque se souviendra de l’événement par les nouvelles disant que le navire de la marine turque est intervenu pour aider. Nous appelons l’Adagio entre nous "le bateau des Fatih". Ils ont été réparés, nous pensions qu’ils allaient venir mais hier matin le message que Fatih a envoyé à notre groupe nous a secoués une fois de plus : leur bateau était de nouveau en panne.
Je relate ce qui leur est arrivé d’après Fatih :
"Hier, en poursuivant la route, le rendement du moteur est tombé puis le moteur s’est arrêté. Nous l’avons ouvert et vérifié. Nous avons compris que le filtre était encrassé. Nous avons démonté le filtre, il était déjà boueux à l’intérieur. Nous avons tout nettoyé, remis le filtre en place. Nous avons donné un coup de démarreur. Nous avons été choqués. Le grand dingi qui mène à l’hélice s’était détaché… Autrement dit, ce dingi, maintenu par quatre grosses vis, est sorti de son logement d’ancre — un endroit où, même en frappant fort, il ne bougerait pas — il en est sorti… Le capitaine et tout le monde étaient choqués. Nous avons essayé pendant près de 3 heures de le remettre à sa place mais comme c’était houleux… Ça tangue… Personne ne peut rester debout, et les objets se jettent d’un côté à l’autre même assis. Grâce à Dieu, nous l’avons remis puis avons repris la route. Un moment après, le rendement du moteur a de nouveau chuté. Nous l’avons ouvert, nettoyé le filtre, et repris la route. Entre-temps, la nuit est tombée. Malheureusement, même après avoir nettoyé le filtre, nous avons compris que le carburant que nous avions reçu du navire turc ne convenait pas à ce bateau. C’est du diesel mais pour de très gros navires. Nous avons dû hisser les voiles et continuer ainsi. Un vent s’est levé atteignant près de 24 nœuds, nous avons commencé à dériver. Nous avons essayé de remettre le moteur en marche, impossible. Ensuite nous avons dû demander un secours depuis la Crète, depuis la Grèce. Tandis qu’ils nous envoyaient un navire observateur, nous avons enlevé la conduite provenant de l’eau du réservoir moteur et, de l’extérieur, nous avons transformé nos petites jerricans en réservoirs. Nous avons essayé d’utiliser les carburants que nous avions pris en Tunisie. Le moteur a redémarré au petit matin. Nous avons refusé que le navire observateur accoste (à côté de nous), car le moteur fonctionnait désormais. Dans ces conditions, nous sommes en route pour atteindre la Crète. Ce fut une nuit très difficile. Nous avons vraiment lutté contre un vent atteignant 24 nœuds. C’était une nuit que je n’oublierai jamais. Nous voulions vous tenir informés. Je raconte cela parce que nous traversons de grandes épreuves. Comme nous avons demandé une aide officielle de sauvetage, nous ne savons pas quelle procédure sera appliquée en Crète. En fait, il n’y a pas beaucoup de distance entre la Flottille et nous, mais nous ignorons comment la suite va se dérouler. Priez pour nous."
N’est-ce pas comme un film de bateau dérivant en haute mer ? Il y a encore plus. Alors qu’ils tentaient d’entrer dans le port en Crète, les forces de sécurité grecques les ont aussi maltraités. Ils ont ordonné d’ôter le drapeau turc sur le bateau.
Personne n’a été autorisé à mettre le pied à terre. Fatih est allé effectuer les démarches administratives.
Mais il y avait encore un problème. Nous devions appareiller ce matin pour Gaza et il y avait au moins 1,5 jour de mer entre nous. Nous sommes à l’extrémité est de la Crète et eux à l’extrémité ouest.
Fatih et ses amis n’ont pas renoncé. Je dis que Dieu crée des moyens. Cette fois, ce fut à eux de dire Allah-u ekber. J’ai dit immédiatement que, à cause de la panne d’un des grands navires de la Flottille, nous partirions demain (aujourd’hui) matin.
Et Fatih m’a répondu par cette phrase qui m’a permis de terminer ce texte en larmes :
"Nous nous embrasserons tous à Gaza, Inchallah. Je jure que je n’ouvre pas et ne mange pas les en-cas que j’ai pris. Je les distribuerai aux enfants à Gaza si Dieu le permet… »
Le nom et le logo BIST sont protégés sous le "Certificat de Marque Protégée" et ne peuvent être utilisés, cités ou modifiés sans autorisation.Tous les droits d'auteur des informations publiées sous le nom BIST appartiennent entièrement à BIST et ne peuvent être republiés. Les données de marché sont fournies par iDealdata Finansal Teknolojiler A.Ş. Les données des actions BIST sont retardées de 15 minutes.