Crédit Photo : Média X / Archive
Le président Senghor et d'autres illustres fils de l'Afrique faits prisonniers par les Allemands au Fontstalag 230 de Poitiers entre 1940 et 1941.
La voix grésillante d'un tirailleur sénégalais, enregistrée il y a plus d'un siècle dans un camp de prisonniers allemand de la Première Guerre mondiale, s'élève dans une salle de conférence concentrée et attentive.
Cette archive inédite fait partie d'une collection d'enregistrements sonores attribués à des Sénégalais et conservés au Musée ethnologique de Berlin, dont une partie vient d'être mise pour la première fois à disposition d'un public africain à l'occasion de l'ouverture de l'exposition
"Échos du passé: à la découverte du patrimoine culturel immatériel"
au musée des Civilisations noires de Dakar.
"Est-ce que vous reconnaissez la langue?",
demande Massamba Gueye, chercheur et commissaire de l'exposition, lors de cet atelier avec quelques dizaines de personnes, dont des étudiants.
"Si je ne me trompe pas, c'est du wolof (la langue la plus parlée au Sénégal, ndlr). J'ai entendu 'c'est une honte', 'il n'y a pas la paix'",
répond Khady Ba, 23 ans, dans le public.
"Vous confirmez ce que les experts ont trouvé. C'est un prisonnier de guerre qui chante en wolof la complainte d'une femme",
reprend M. Gueye.
Un sentiment de gravité mêlé de fierté emplit la salle à mesure que les archives sonores, principalement chantées, sont diffusées. Le public cherche à identifier des mots, à reconnaître des thèmes musicaux, des localités oubliées, des souvenirs enfouis dans une mémoire collective qui s'érode avec le temps.
"Le wolof s'est beaucoup transformé dans les zones urbaines. Certains mots renvoient à des univers qui n'existent plus, mais la structure est restée la même"
, explique M. Gueye.
"Le Sénégalais s'identifie à sa langue, à son folklore, à ses rites, aux faits sociaux. Et le patrimoine immatériel, c'est l'ensemble de ces éléments-là. Donc c'est l'élément constituant de notre identité"
, dit-il.
"Je lance un appel à tous les pays du monde qui ont eu à coloniser des pays d'Afrique et du monde d'avoir l'honnêteté de déclassifier ce patrimoine immatériel oral et de le ramener, parce que ça va réconcilier les peuples",
déclare M. Gueye, alors que la collaboration internationale entre musées se concentre surtout sur le patrimoine matériel acquis durant la colonisation.
Une vingtaine d'archives sonores sont présentées à Dakar jusqu'au 21 juin. Les plus anciennes datent de 1910 et ont été réalisées dans un lieu de divertissement à Berlin. La plupart émanent de prisonniers de guerre du camp de Wünsdorf, près de la capitale allemande, enregistrés entre 1915 et 1918.
Environ 4.000 soldats africains recrutés par l'armée française y étaient détenus. Des expériences y étaient menées pour convaincre les prisonniers de changer de camp en leur offrant des conditions spéciales telles que la liberté de religion.
C'est là qu'a été inaugurée le 13 juillet 1915 la première mosquée sur le sol allemand.
C'est aussi là que la Commission phonographique royale prussienne, composée entre autres de scientifiques, linguistes et ethnologues, a produit plus de 2.600 enregistrements sonores à des fins de recherche, qui ont été conservés dans les archives du Musée ethnologique de Berlin et à l'Université Humboldt.
Parmi les voix identifiées figure celle d'Abdoulaye Niang, un soldat musulman ayant servi dans l'armée française, né sur l'île de Gorée en 1878. Il a été déplacé de Wünsdorf vers un camp de travail forcé roumain, avant de mourir dans un hôpital de Lyon (France) des suites de la tuberculose.
D'autres enregistrements sont attribués à Madia Diouf, qui avait la vingtaine au moment de son internement à Wünsdorf. Selon le livret de la commission phonographique, M. Diouf était un agriculteur avant de rejoindre l'armée et était originaire de
un lieu qui n'existe plus aujourd'hui et soulève des interrogations.
"Nous souhaitons mener une recherche collaborative car ces éléments constituent une part de ce que vous êtes",
déclare au public Lars-Christian Koch, directeur du Musée ethnologique de Berlin.
"On veut essayer d'identifier les sociétés productrices. Et je pense que l'un des moyens qu'on va certainement utiliser, ce sont les réseaux communautaires, où il y a encore des personnes qui peuvent comprendre plus facilement certaines expressions d'il y a un siècle",
ajoute Hamady Bocoum, directeur du Musée des Civilisations noires de Dakar.
"Grâce à la numérisation"
, la diffusion de cette forme de patrimoine est
, estime-t-il.
Après avoir écouté une prière musulmane tirée d'une archive, Cheikh Mbake Diop, étudiant en cinéma de 28 ans, se sent
"très ému". "Il faut qu'on en parle. C'est important. Si mon père écoutait ça, c'est sûr qu'il pleurerait. Parce qu'il a l'habitude de chanter ça et que c'est trop fort",
confie-t-il.
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