Crédit Photo : MIGUEL MEDINA / AFP Archive
L'imam de la mosquée des Bleuets, l'imam Ismail, tient une conférence de presse dans les locaux voisins de la mosquée, à Marseille, dans le sud de la France, le 9 septembre 2024, après que le préfet de police des Bouches-du-Rhône a informé la mosquée des Bleuets de son intention de la fermer, considérant que des "propos légitimant la violence" y ont été exprimés pendant des années.
La version déclassifiée du rapport sur un prétendu "entrisme des Frères Musulmans" dans la société française suscite de vives réactions depuis sa fuite, mardi matin.
Longue de 73 pages, cette analyse de la situation, établie par deux hauts-fonctionnaires, a été très largement commentée par la classe politique mais également par les associations et figures musulmanes citées dans le document dont le contenu a fait l'objet d'une fuite.
Alors qu'Emmanuel Macron présidait, mardi, un conseil de défense axé sur les conclusions de ce rapport, ces dernières ont été vigoureusement rejetées par les structures citées.
Les deux auteurs affirment notamment qu'au-delà des lieux de culte et des associations, une vingtaine d'influenceurs, dont les identités n'ont pas été révélées, seraient actifs sur le territoire français et œuvrent à faire adhérer leurs abonnés aux thèses des Frères Musulmans.
Parmi les personnes nommément pointées, figure l'imam Ismaïl, acteur bien connu de l'Islam de France pour avoir longtemps été à la tête de l'institut des Bleuets, situé dans les quartiers nord de Marseille.
Dans un entretien exclusif à Anadolu, il fait état de sa
et s'étonne que
"dans un rapport censé alerter sur des risques pour la sécurité nationale, on retrouve le nom de l'Institut des Bleuets, une structure qui, depuis plus de dix ans, œuvre à l'inclusion, à l'éducation et à l'entraide dans l'un des quartiers les plus oubliés de Marseille"
.
"Ce qui est décrit dans le rapport ? C'est notre travail quotidien au service des habitants : une école pour les enfants, des maraudes pour les sans-abris, un service pour les personnes à mobilité réduite, une mosquée ouverte et ancrée dans la réalité sociale. Rien de caché. Tout est public, transparent, assumé. Et pourtant, cette action est présentée comme un 'écosystème suspect'"
, grince l'imam marseillais.
Et de s'interroger :
"Pourquoi ? Parce qu'il est musulman ? Parce qu'il fonctionne ? Parce qu'il attire des jeunes ? On est face à une criminalisation de l'engagement musulman quand il devient structuré, quand il prend soin des autres. On me reproche quoi, au fond ? D'avoir racheté des locaux pour des cours et de l'aide sociale ? D'être populaire sur les réseaux ? D'avoir formé des centaines d'élèves ? Je veux bien qu'on discute, qu'on me critique, qu'on me juge. Mais sur des faits, pas sur des intentions qu'on me prête"
.
Malgré le contenu de ce rapport, il souligne qu'il est
de comprendre
ce qui lui est véritablement reproché et note qu'il n'est accusé, dans ces 73 pages,
"d'aucun acte illégal, aucun appel à la haine, aucun trouble à l'ordre public, rien"
.
"Ce qu'on me reproche en filigrane, c'est plutôt une influence jugée "trop forte", une parole qui dérange, une capacité à mobiliser – notamment chez les jeunes musulmans. Si on gratte un peu, ce qui semble gêner, ce n'est pas ce que je dis, c'est que je suis écouté. C'est que je parle de religion de manière accessible, sur les réseaux, sans complexe, avec une posture ni soumise ni extrémiste. Et ça, visiblement, ça suffit à inquiéter"
, a-t-il affirmé.
"Donc à part les actions sociales et éducatives organisées par l'Institut – qui sont toutes légales et transparentes –, on me reproche quoi ? D'être un imam engagé ? D'être suivi sur Instagram ? De proposer une alternative positive à la délinquance ou au repli ? Si c'est ça le problème, alors il faut avoir le courage de le dire franchement"
, tranche-t-il.
Pour l'imam Ismaïl, ce rapport est
"idéologique et dangereux"
en prétendant
"décrire un ‘entrismе' des Frères musulmans, pour en réalité, jeter le soupçon sur tout engagement musulman structuré"
.
"Le mot ‘entrismе', c'est une vieille rhétorique déjà utilisée contre les juifs au début du XXe siècle, contre les communistes après-guerre, contre les musulmans aujourd'hui. On y retrouve toujours les mêmes ingrédients : peur, fantasme, amalgame"
, décrypte le responsable religieux qui considère que ce rapport controversé
"ne repose pas sur des faits objectifs"
et
"mélange des concepts religieux, des engagements associatifs, des propos de réseaux sociaux"
en tissant
"autour de tout ça une théorie du complot à peine voilée"
selon laquelle
"les musulmans seraient organisés en secret pour infiltrer la République"
, ce qui est
"non seulement faux, mais profondément irresponsable"
.
Il redoute de fait, la diffusion d'un complotisme islamophobe
avec
"l'idée qu'il y aurait un plan secret, une organisation invisible, une stratégie d'infiltration des musulmans dans la société"
.
"Le problème, c'est que ce discours ne reste pas entre les murs d'un Conseil de défense. Il finit par alimenter la parole publique, les plateaux télé, les réseaux sociaux. Et tôt ou tard, il alimente aussi des passages à l'acte. On l'a vu récemment avec l'assassinat d'Aboubakar – 57 coups de couteau, dans une mosquée. Combien d'alertes faudra-t-il encore pour qu'on comprenne que cette atmosphère de suspicion permanente est dangereuse ? On ne peut pas à la fois dire qu'on veut protéger la République, et désigner comme ennemis des citoyens musulmans qui œuvrent dans le cadre de la loi. Si on continue dans cette logique, on risque de créer ce qu'on prétend éviter : des fractures, du rejet, et de la défiance"
, met-il en garde.
Et de conclure:
"Quand on regarde le calendrier politique, la diffusion de ce rapport tombe au moment parfait pour renforcer une ligne dure à l'égard des musulmans. Entre la sortie de Gabriel Attal sur l'interdiction du voile avant 15 ans, et les propos de Bruno Retailleau sur le ‘problème de l'islam', ce rapport arrive comme une pièce de plus dans une stratégie plus large : préparer l'opinion publique à accepter l'inacceptable"
.
"Ce n'est pas un travail d'analyse neutre. C'est un document qui sert un agenda idéologique, à quelques semaines des européennes et à un an de la présidentielle. On agite la peur, on cible une partie de la population pour faire diversion sur les vraies urgences sociales, économiques et écologiques. Mais ce jeu-là est dangereux. En instrumentalisant la question musulmane, en opposant systématiquement islam et République, on fragilise à la fois les libertés fondamentales et la cohésion nationale. Et c'est notre pays tout entier qui finit par perdre"
.
Pour l'heure, aucune annonce n'a été formulée par le gouvernement au terme du conseil de défense qui s'est tenu mardi, mais un second du même type devrait être organisé en juin prochain, et pourrait aboutir à une nouvelle offensive législative comme une seconde loi séparatisme.
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