La Cour constitutionnelle thaïlandaise a suspendu mercredi de son mandat de député Pita Limjaroenrat, le vainqueur des élections qui fait face à l'opposition de l'armée, le jour même où le Parlement devait se prononcer sur sa nomination comme Premier ministre.
Il s'agit d'un nouveau coup de théâtre dans un royaume pris dans l'engrenage de crises politiques à répétition depuis plus de vingt ans, entre les généraux au pouvoir et des jeunes générations avides de changement.
Les juges ont suivi les recommandations de la commission électorale, qui accuse le chef de file du parti Move Forward de posséder des actions dans une chaîne de télévision au moment de la campagne électorale, ce qui est interdit par la loi thaïlandaise.
Pita s'est défendu de toute manœuvre illégale, et a rappelé que le média en question, iTV, n'émettait plus depuis 2007. Il risque un bannissement de la vie politique durant vingt ans.
La Cour constitutionnelle a écrit dans un communiqué:
Il a été ordonné que (Pita Limjaroenrat) doit être suspendu de son rôle à compter du 19 juillet.
Cette annonce fait craindre de nouvelles protestations d'ampleur, dans un royaume où interventions de l'armée et décisions de justice ont souvent perturbé le cours de la démocratie, à l'avantage des élites conservatrices royalistes.
Chances minimes
Plébiscité pour son programme de rupture, qui fait écho aux manifestations pro-démocratie de 2020, Pita Limjaroenrat incarne à 42 ans le renouveau souhaité par les Thaïlandais, après une quasi-décennie de domination par les militaires depuis le coup d'Etat de 2014.
Mais le champion de l'alternance, soutenu par une coalition majoritaire à l'Assemblée nationale, se heurte aux blocages des sénateurs nommés par l'armée qui lui reprochent un programme jugé trop radical vis-à-vis de la monarchie.
Rejeté une première fois par le Parlement bicaméral jeudi, il a besoin du ralliement d'une cinquantaine de sénateurs supplémentaires (sur 250) pour obtenir la majorité requise. Seuls treize d'entre eux l'ont approuvé au premier vote.
Certains sénateurs, échaudés par son projet de réformer la loi sur la lèse-majesté, pensent même que Pita ne devrait pas être autorisé à se présenter, en vertu du réglement qui interdit au Parlement de discuter deux fois de la même motion lors d'une session.
Pour le moment, le député Move Forward, coqueluche des nouvelles générations, est le seul candidat déclaré pour devenir Premier ministre.
En cas de deuxième défaite, il a promis samedi qu'il se retirerait au profit du parti Pheu Thai, deuxième force dans l'hémicycle et membre de la coalition pro-démocratie.
L'homme d'affaires Srettha Thavisin (60 ans), au profil plus consensuel, est le mieux placé pour prendre la suite, mais la présence de Move Forward parmi ses soutiens pourrait dissuader les sénateurs et ainsi le pousser à s'allier avec des mouvements plus conciliants avec l'armée.
Aux incertitudes politiques s'ajoutent des affaires judiciaires, qui laissent planer au-dessus de Pita la menace d'une disqualification comme une épée de Damoclès.
Risque de contestations
En plus de l'affaire liées aux actions iTV, Pita et Move Forward sont accusés de vouloir renverser la monarchie.
Leur projet de réformer la loi controversée sur la lèse-majesté, l'une des plus sévères au monde de ce type, a provoqué de vives réactions du camp conservateur, qui les accuse de saper les valeurs traditionnelles du royaume.
Les milieux économiques s'inquiètent en cas d'instabilité prolongée, qui pourrait impacter le secteur vital du tourisme.
Policiers, barrières et même conteneurs pour bloquer les routes... Le Parlement est quadrillé par un important dispositif de sécurité, a constaté un photographe de l'AFP sur place.
La dissolution de Future Forward en 2020, l'ancêtre de Move Forward, a conduit à des manifestations massives à Bangkok réclamant plus de démocratie et de transparence.