Au Nigeria, les juntes font partie de l'histoire, mais les noms de rues demeurent

17:2312/06/2025, jeudi
AFP
Des piétons marchent à côté d'un pont en construction dans le quartier central des affaires d'Abuja, le 22 mai 2025.
Crédit Photo : OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
Des piétons marchent à côté d'un pont en construction dans le quartier central des affaires d'Abuja, le 22 mai 2025.

Le président nigérian Bola Tinubu a fait l'éloge jeudi de la démocratie établie depuis un quart de siècle dans son pays, mais beaucoup de rues de la capitale, Abuja, sont porteuses d'un message moins inspirant.

Pour en nommer quelques-unes: Sani Abacha Way amène les banlieusards dans le centre-ville d'Abuja. Ibrahim Babangida Way traverse le quartier huppé de Maitama. Et Murtala Muhammed Expressway passe près de la présidence et de l'Assemblée nationale, où M. Tinubu a prononcé jeudi son discours du Jour de la démocratie.

Ces trois voies de circulation portent les noms d'ex-dictateurs militaires.


Alors que d'autres pays d'Afrique de l'Ouest se sont lancés dans une frénésie de changement de noms - en général pour remplacer ceux de figures coloniales -, les hommes forts du Nigeria ont survécu à cette symbolique purge finale.


Tous les huit ex-dictateurs militaires du Nigeria ont au moins une rue à leur nom dans la capitale - une situation souvent accueillie d'un haussement d'épaules, même si la journée fériée de jeudi célèbre la transition vers un pouvoir civil en 1999, après des décennies de coups d'État et de dictatures militaires.

"Pour certains dirigeants, à cause de leur importance, une rue peut porter leur nom"
, estime Ibrahim Hassan, 45 ans, employé dans une boutique.
"Il ne s'agit pas de savoir si vous avez fait de votre mieux pour le Nigeria".

Une femme qui s'empare de ses courses, qui n'a souhaité donner qu'Adekemi comme nom, intervient avec un rire indifférent:


Pour le moment, je me concentre sur comment je peux payer tout ça.

"Hommage à eux-mêmes"


Abuja, une ville devenue la capitale du Nigeria en 1991 sous le régime d'Ibrahim Babangida (1985-1993),
"est la maison que l'armée a construite, donc naturellement ils se sont rendu hommage à eux-mêmes"
, raille Ikemesit Effiong, associé chez SBM Intelligence, une société de conseil de Lagos.

Les sondages du réseau indépendant Afrobaromètre montrent un soutien constant de la population à la démocratie au Nigeria. Mais
"l'armée est toujours une institution redoutable, appréciée, vue par beaucoup comme comparativement disciplinée et bien dirigée"
après 26 années de régime civil souvent chaotique, selon Ikemesit Effiong.

D'ex-dirigeants militaires ont aussi intégré la politique civile, réhabilitant ainsi leur image - notamment Olusegun Obasanjo, chef de junte (1976-1979) puis élu président durant l'ère démocratique(1999-2007), tout comme Muhammadu Buhari (chef de junte de 1983 à 1985, puis président de 2015 à 2023).

Aux États-Unis et en Europe, des activistes ont réclamé ces dernières années que des rues soient renommées pour se débarrasser d'héritages coloniaux ou racistes. Ces initiatives ont parfois rencontré des réticences.


En Afrique de l'Ouest, notamment au Sénégal et en Côte d'Ivoire, des gouvernements ont aussi rebaptisé des boulevards portant des noms de dirigeants français en faveur de compatriotes.


"Nous n'avons pas totalement saisi ce que signifie la démocratie",
se désole Edwin Ajibola, 42 ans, qui, en tant que chauffeur Uber, gagne sa vie en sillonnant les avenues portant les noms de dictateurs.

Le président Tinubu a fait entendre le même son de cloche jeudi dans son discours. Tout en soulignant
"jusqu'où nous en sommes arrivés en tant que nation"
, il a reconnu:
"il nous reste encore beaucoup à faire".

Plus tôt cette semaine, il s'est lui-même retrouvé confronté à une problématique similaire, lorsque le ministre du Territoire de la capitale fédérale a renommé le Centre de conférence international d'Abuja du nom de l'actuel président.

Durant la chamaillerie politique qui a suivi, un ancien parlementaire a suggéré que cette initiative était injuste envers le dirigeant qui avait supervisé la construction du bâtiment: le dictateur Ibrahim Babangida.


A lire également:





#urbanisme
#démocratie
#Nigeria
#politique
#armée
#dictature
#Bola Tinubu
#Ibrahim Babangida
#Olusegun Obasanjo
#Muhammadu Buhari