Tourisme esclavagiste

16:5925/12/2022, dimanche
Taha Kılınç

Ayoub (Ayuba) Suleiman Diallo, fils d'un père érudit, est né en 1701 sur le plateau de Boundou à l'est du Sénégal. Boundou a été fondé par le grand-père d'Ayuba. Son père, Suleiman Diallo, était un nom bien connu dans toute la région, tant sur le plan religieux que politique. Ayuba, qui est devenu un hafiz en mémorisant le Coran à un jeune âge, a terminé son éducation religieuse à l'école Maliki. Il s'est marié jeune et de nombreux enfants sont nés avant qu’il n’atteigne l'âge de 30 ans.Lors d'un

Ayoub (Ayuba) Suleiman Diallo, fils d'un père érudit, est né en 1701 sur le plateau de Boundou à l'est du Sénégal.
Boundou a été fondé par le grand-père d'Ayuba. Son père, Suleiman Diallo, était un nom bien connu dans toute la région, tant sur le plan religieux que politique. Ayuba, qui est devenu un hafiz en mémorisant le Coran à un jeune âge, a terminé son éducation religieuse à l'école Maliki.
Il s'est marié jeune et de nombreux enfants sont nés avant qu’il n’atteigne l'âge de 30 ans.

Lors d'un voyage sur les rives de la Gambie en 1730, Ayuba Suleiman Diallo
est capturé par les esclavagistes locaux. Les marchands d’esclaves qui ont enchaîné Ayuba, lui ont rasé la barbe et l'ont transféré sur le navire Arabella - utilisé afin de transporter des esclaves vers le
Nouveau Monde
- où ils l'ont remis au capitaine Stephen Pike. Lorsque
l'Arabella
accoste à Annapolis - aujourd'hui capitale de l'État américain du Maryland - environ six mois plus tard, Ayuba fait partie des quelque 150 esclaves qui débarquent.
Au large des côtes de Dakar,
l'actuelle capitale du Sénégal, des centaines d'autres esclaves embarqués sur l'île de Gorée sont morts pendant la traversée de l'Atlantique ou dans les pays insulaires d'escale, leurs corps étant soit jetés à la mer soit enterrés en masse. Ayuba a eu de la chance, au moins il était vivant.
La famille blanche, qui a acheté Ayuba à Annapolis, l'a d'abord employé dans la plantation de tabac.
Ayuba, qui travaillait dans des conditions extrêmement difficiles et à un rythme effréné, ne manquait jamais ses prières en tant que musulman pieux et récitait constamment le Coran par cœur.
Il faisait une pause dans la journée en se cachant dans la forêt proche pour faire ses prières. Ses maîtres ne lui pardonnèrent pas son « relâchement » et le firent emprisonner. La prison signifierait tourner une nouvelle page pour Ayuba :
Alors qu’il était retenu dans le comté de Kent, Ayuba a rencontré un avocat britannique,
Thomas Bluett
, venu dans la région pour affaires et qui
remarque l'extraordinaire capacité du prisonnier à lire, écrire et mémoriser.
Bluett a aidé Ayuba, avec qui il échangeait depuis longtemps, à envoyer une lettre à son père au Sénégal. La lettre est dans un premier temps parvenue au bureau de James Edward Oglethorpe, l'un des entrepreneurs les plus connus de la région, avant qu’elle ne soit envoyée en Afrique. Lorsque Oglethorpe, qui était aussi un Anglais, fit traduire la lettre qui avait attiré son attention, il fut impressionné par son contenu, fit acheter Ayuba à ses maîtres et le libéra.
Par ailleurs, il ne s'est pas arrêté là, puisqu’il le confia à Thomas Bluett, leur permettant de se rendre tous les deux à Londres. Ayoub et Bluett atteignirent Londres en avril 1733.
Pour l'élite britannique, qui considérait les esclaves noirs comme une
"sous-classe"
totalement sauvage et sans éducation, Ayuba était une exception frappante. Il était au centre de l'attention pendant les mois qu'il a passés à Londres jusqu'à son retour au Sénégal, qu’il ne quittera plus jusqu'à sa mort en 1773. À tel point que William Hoare, l'un des célèbres peintres de l'époque,
a même réalisé un grand portrait de lui.

Ayuba y est représenté avec l'un des Mushafs (rassemblement de textes du Coran conservés afin d’être appris par coeur) qu'il avait mémorisé autour du cou. L'œuvre de Hoare deviendra célèbre sous le nom de "Lucky Slave", et des siècles plus tard, elle sera acquise
par le Qatar pour un montant de 530 000 £ en 2009.
Mercredi dernier, lorsque j'ai embarqué sur le ferry reliant le port de Dakar à l'île de Gorée, la chose qui me traversait l'esprit était la suivante :
le terme le plus approprié pour la situation dans laquelle nous nous trouvons, alors que nous visitons des endroits où une souffrance indescriptible a été éprouvée maintenant en tant que "touristes" et que nous prenons des photos encore et encore avec nos smartphones à la main, il s’agirait de nommer cela de « tourisme esclavagiste ».
À Gorée, j'ai toujours observé, en ayant en tête l’histoire, les maisons à l'architecture coloniale soignée où vivaient les maîtres blancs, la grande bâtisse rouge où les esclaves étaient mis en vente et exposés avant d'être arrimés sur les navires où ils finissaient par partir en mer en empruntant « la porte sans retour », et les vestiges de cachots et de chaînes.
Puisque les gens ne choisissent pas l’époque de leur existence, alors ils ne peuvent pas comprendre la question de l’esclavage pour eux et le tourisme pour nous.
Le seul endroit où j'ai trouvé du réconfort à Gorée était la belle mosquée construite au bord de l'océan à une extrémité de l'île. Alors que je priais parmi le tumulte des vagues qui s'écrasaient sur les pierres, l'histoire de la mosquée résonnait en moi :
le temple où nous nous sommes prosternés était autrefois la maison d'un chrétien. En 1825, l'homme fit don de sa demeure à ses voisins musulmans pour qu'ils puissent prier. Qu’en pensez-vous, un grand roman ne pourrait-il pas naître de cette seule petite histoire ?
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