Soudan: Les FSR utilisent un "gouvernement parallèle" comme levier après les gains de l’armée, selon des experts

12:523/09/2025, mercredi
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Des policiers soudanais participent à un défilé dans le cadre des commémorations religieuses de l'anniversaire du prophète Mohamed, à Khartoum, capitale du Soudan, le 23 août 2025.
Crédit Photo : Ebrahim Hamid / AFP
Des policiers soudanais participent à un défilé dans le cadre des commémorations religieuses de l'anniversaire du prophète Mohamed, à Khartoum, capitale du Soudan, le 23 août 2025.

Pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre il y a plus de deux ans, le gouvernement de transition du Soudan a récemment tenu une réunion complète du Cabinet dans la capitale, Khartoum, un geste que les responsables ont salué comme une étape symbolique vers le rétablissement de l’autorité nationale.

Présidée par le Premier ministre Kamil Idris, la réunion a constitué un rare moment de continuité institutionnelle après des mois de violences entre l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR).


L’agence de presse officielle SUNA l’a décrite comme
"une étape symbolique vers le retour des institutions de l’État dans la capitale, dans un contexte de dispositions sécuritaires en cours pour assurer la stabilité"
.

Cette initiative intervient quelques semaines seulement après que la coalition dirigée par les FSR a annoncé la formation de son propre
"Conseil présidentiel pour le gouvernement transitoire de paix"
, un organe parallèle revendiquant l’autorité sur les territoires sous son contrôle.

La déclaration des FSR a suscité des débats parmi les observateurs, qui en contestent la légitimité et y voient une manœuvre destinée à servir de levier de négociation alors que le groupe subit des pertes sur le terrain.


"Cette annonce des FSR est en réalité une réaction au gouvernement de facto formé par le général Abdel Fattah al-Burhan, qui a chargé Kamil Idris de former le gouvernement"
, a expliqué à Anadolu l’analyste soudanais Jihad Mashamoun.

Idris, investi Premier ministre le 31 mai, a dévoilé en juin son Cabinet de 22 membres baptisé "Gouvernement de l’Espoir".


Mashamoun a souligné que les FSR n’avaient pas les moyens administratifs pour gérer un gouvernement parallèle.
"En réalité, ils utilisent cela comme une carte de négociation pour pousser la communauté internationale à les considérer comme un interlocuteur crédible"
, a-t-il indiqué.

La communauté internationale a rejeté les prétentions des FSR, et des organisations régionales telles que l’Union africaine et la Ligue arabe ont refusé de reconnaître cet organe.

Mashamoun a ajouté que les FSR cherchaient peut-être à obtenir une reconnaissance de facto de la part d’États de la région, à l’image de la situation en Libye.


Abiol Lual Deng, politologue américano-sud-soudanaise, a estimé que la démarche des FSR s’inscrivait dans la continuité de l’histoire troublée du Soudan.
"Les FSR s’inscrivent pleinement dans l’histoire du Soudan, où les luttes se cristallisent autour de griefs régionaux ou ethniques et mènent à la mise en place de gouvernements parallèles"
, a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté que le chef des FSR, Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, semble emprunter des tactiques au mouvement indépendantiste du Soudan du Sud, tout en tirant profit de la demande mondiale en ressources comme l’or et les terres rares.

"Il y a ici une dimension de realpolitik, dans le sens où il exploite une situation marquée par un bouleversement des dynamiques mondiales et par une demande croissante pour l’or et d’autres minerais stratégiques"
, a-t-elle conclu.

Gains militaires et changement de stratégie


La déclaration des FSR reflète également leurs revers militaires, selon Mashamoun.
"À plusieurs reprises, les Forces armées soudanaises (FAS) et leurs unités alliées ont chassé les FSR du centre du Soudan… Elles ont été repoussées vers le Kordofan puis vers le Darfour"
, a-t-il expliqué.

Il a ajouté que l’annonce des FSR était une réaction à leur expulsion de Khartoum et des régions centrales par les FAS.


"Il y a un va-et-vient au Kordofan, mais l’armée progresse"
, a-t-il affirmé.
"Les FSR tentent de tenir le Kordofan pour montrer qu’elles sont assez fortes pour justifier la formation d’un gouvernement parallèle".

Depuis avril 2023, les combats entre l’armée et les FSR ont fait plus de 20 000 morts et déplacé 15 millions de personnes, selon les chiffres de l’ONU.

Malgré leurs revendications d’autorité, les experts estiment que les FSR peinent à maintenir l’ordre dans les zones qu’elles contrôlent.


"Dans les quatre régions où les FSR exercent leur influence, il n’y a pas de véritable contrôle"
, a observé Mashamoun.
"Si vous lisez les rapports locaux, vous verrez que ces groupes s’affrontent entre eux. Il y a des luttes internes".

Il a aussi mis en doute le soutien réel des populations vivant dans les zones tenues par les FSR.
"Elles sont contraintes de rester dans ces régions à cause de la guerre, et non parce qu’elles veulent faire partie du gouvernement des FSR ou du groupe de Hemedti. C’est une obligation dictée par la réalité de la guerre"
, a-t-il expliqué.

Certains observateurs comparent la rivalité des gouvernements soudanais au modèle fragmenté de la Libye, mais Mashamoun se montre sceptique :
"Je ne suis pas convaincu que l’on puisse voir une partition du Soudan comme en Libye, car qui va gérer l’administration civile pour ce groupe ? Comment fournir des actes de naissance, des passeports, des services de santé ou d’éducation ?"

Il a estimé que les FSR manquaient à la fois d’un appareil administratif et d’une stratégie économique pour gouverner efficacement.


Concernant les perspectives de sortie de crise, Mashamoun a évoqué deux scénarios pour mettre fin à la guerre. Le premier serait que les deux camps concluent qu’il n’est pas dans leur intérêt de poursuivre les combats.


"Le second, et le plus important, serait que les civils décident d’organiser des élections internes… Ils se réunissent après ces élections… pour former… un Parlement, puis, à partir du Parlement, un gouvernement et un cabinet"
, a-t-il déclaré.

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