L’engagement: "Je ne pouvais plus accepter de voir des enfants mourir"
milite depuis 2014 avec l’association
en région parisienne, suite aux bombardements massifs sur
.
"Voir tous les jours des enfants mourir, des enfants perdre leur avenir sans raison, dans des conditions atroces… En tant que soignant, je ne pouvais plus continuer à accepter ça"
, explique-t-il avec émotion.
C’était sa deuxième tentative de briser le blocus. Il y a deux ans, il avait déjà tenté de rejoindre
par voie terrestre depuis l’Égypte. Cette fois, il a rejoint la flottille via Instagram, répondant à un appel de l’organisation
qui recherchait des soignants.
"Dans la semaine qui a suivi, on m’a contacté, j’ai passé un entretien psychologique pour voir si j’étais apte à partir. On m’a dit que j’étais sélectionné."
Gaza a reçu l'équivalent de 14 fois Hiroshima
Sa motivation ?
"L’inaction de nos gouvernements. Je vais souvent aux manifestations et à un moment, on cherche à faire plus quand on voit que rien ne bouge."
Il évoque les chiffres terrifiants:
a pu recevoir l’équivalent de plus de 14 fois la bombe atomique d’Hiroshima. Ça ne se passe nulle part ailleurs sur cette planète."
Le départ s’effectue mi-septembre depuis la Sicile, après cinq jours de formation intensive. Le 27 septembre, la flottille quitte le port de Catane. Sur le voilier de
, neuf personnes cohabitent : la députée française
, le rappeur belge
(gagnant de l’émission Nouvelle École), une artiste suisse, un citoyen belge, deux skippers français et Mustapha comme « medic » à bord.
"Il fallait apprendre à cohabiter avec des personnes qu’on ne connaît pas, qui viennent de différents pays du monde, donc différentes langues. Pour ma part, ça s’est bien passé"
, raconte-t-il. La traversée dure 12 jours, avec deux épisodes de mer agitée à gérer.
La flottille devait initialement arriver le
, date anniversaire des événements tragiques de 2023.
"C’est quand même une date qui nous posait problème. On a passé un jour en mer à l’arrêt pour éviter d’arriver le 7 octobre et qu’on prenne ça pour de la provocation et pour respecter leur jour de deuil."
Ils reprennent la route le 7 au soir.
L’interception: attaque furtive à 4h30 du matin
Le 8 octobre aux alentours de 4h30, alors que tout le monde dort sauf
et le capitaine qui font le tour de garde, le drame se produit.
"J’entends à la radio VHF qu’il y a un bateau qui nous fonce dessus. J’ai à peine eu le temps de lever les yeux. On voit un bateau venir à toute vitesse nous foncer dessus, tout feu éteint, en mode fantôme. Il n’y a eu aucune communication par radio entre l’entité israélienne et nous."
Le bateau s’arrête à environ 100 mètres, zigzague, puis repart.
prévient le capitaine et insiste pour lancer l’alerte.
"Je vais réveiller le deuxième skipper et je propose qu’on réveille
qui ont des comptes importants au niveau de leurs followers pour pouvoir faire leurs lives."
En moins de cinq minutes, ils sont entourés par cinq ou six navires militaires israéliens.
"On essaye d’activer nos téléphones pour faire des lives: impossible. Ils étaient équipés de brouilleurs. Alors que j’avais été connecté cinq-six minutes avant que ces navires débarquent."
Des zodiacs arrivent de partout. Un premier militaire israélien monte en criant
Il s’attaque immédiatement aux caméras, donnant des coups de crosse, tandis qu’un autre coupe tous les câblages
avec un couteau.
Fouilles, intimidations et confiscations
L’équipage, assis calmement sur le cockpit, subit une fouille systématique.
"Un militaire nous appelle un par un, nous demande de venir devant le mât du bateau, de vider toutes nos poches. Il nous palpe et nous demande de nous asseoir à l’avant du bateau."
Un téléphone est découvert. Un militant lève la main pour le reconnaître. Sous la pression, il donne le code de déverrouillage.
"Ils prennent mon camarade, le mettent à l’arrière au niveau du cockpit. On était tous réunis à l’avant, on n’avait pas de visuel sur lui. On avait peur pour lui."
Après environ une heure d’attente, un zodiac vient récupérer tout l’équipage pour le transférer vers un grand navire militaire. Mustapha entend les officiers
sur l’un de ses camarades pendant le trajet.
Prise d'otage en haute mer
Sur le bateau militaire israélien, le traitement s’intensifie.
"On nous fait monter un par un, on nous demande de se mettre à genoux devant un grand container en fer métallique et de regarder devant ce container."
Mustapha décrit un moment particulièrement tendu:
"Je vois un militaire devant moi qui me regarde. Moi, je ne voulais pas le regarder. Donc je regardais le sol, le ciel, le sol, le ciel. Je vois un des militaires qui lui dit ‘Regarde celui qui est devant toi’. Il me pointe avec sa lumière rouge. J’ai eu le temps de le regarder dans les yeux et il a baissé son arme vers le sol."
Chaque personne reçoit un badge avec un numéro. Mustapha devient le numéro 200. On lui retire son gilet de sauvetage et ses bouteilles d’eau avant de l’enfermer dans une cabine avec sept autres personnes.
La pièce contient cinq lits (deux à gauche, deux à droite, un matelas par terre), une climatisation réglée à fond sur le froid, un pack de 32 bouteilles d’eau et deux paquets de pain au lait périmés.
"On était mélangés hommes-femmes. Il y avait cinq hommes et deux femmes. Ils referment la porte qu’on ne peut pas ouvrir. On est parti pour environ 12 heures de navigation."
Une militante coréenne qui a ses règles frappe à la porte pour demander des serviettes hygiéniques et voir un médecin. "
On lui dit ‘D’accord, vous allez voir un médecin’. C’est qu’un quart d’heure avant l’arrivée qu’une femme est revenue avec deux-trois officiers. Elle a ouvert la porte, lui a remis des serviettes hygiéniques et ils sont partis. Elle n’a jamais vu le docteur à bord."
Le port d’Ashdod: humiliations et procédure kafkaïenne
L’arrivée au port d’
marque le début d’une série d’humiliations systématiques.
"Le premier pied posé sur le port, on avait un comité avec plein de drapeaux israéliens qui nous attendait. Un agent à gauche, un agent à droite nous prend par les bras, nous lève les bras très fort vers le haut pour qu’on ait la tête baissée au sol. Ils nous font marcher accroupis."
À chaque tentative de Mustapha de tourner la tête pour observer, les agents lui lèvent encore plus les bras.
"J’avais l’impression qu’on allait me luxer les épaules."
Après dix minutes accroupis au sol, ils entrent dans un hall totalement aménagé pour leur réception.
On était comme des animaux
La procédure commence: scanner des bagages, fouille corporelle intégrale dans une cabine fermée avec rideau noir.
"Il me fouille de haut en bas, vraiment bien, au point qu’il fait comme ça même au niveau des oreilles, à croire que je pouvais coller quelque chose derrière mes oreilles. Il me demande d’ouvrir la bouche. Il me fouille très bien les parties intimes en insistant partout. Mes doigts de pied… Il me scanne avec sa machine pour voir que je n’ai rien de métallique à l’intérieur de mon corps."
Une femme à une table trie ensuite ses affaires, jetant à la poubelle tout ce qu’elle veut : écouteurs, petit short, dentifrice, brosse à dents, savon.
"Vraiment tout ce qu’elle voulait jeter. La seule chose qu’elle m’a laissée, c’est un pantalon de pluie."
Ses médicaments sont mis dans un sachet avec le symbole radioactif,
"comme si on était des animaux".
Que Dieu maudisse ton père
Suit une série de stations: scanner du passeport avec autocollant portant un numéro et l’étoile de David, photographie, empreintes digitales.
"Pendant tout ce cursus, j’entends des insultes en hébreu. J’entends ‘Ben zona’, ‘Charmotta’. On me disait souvent ‘Sarfati’. Une fois en prison, j’ai appris que ça voulait dire ‘Français’. J’entendais des insultes en arabe : ‘Que Dieu maudisse ton père’, ‘Fils de pute’, ‘Tu vois ce qu’on va te faire en prison’, ‘On va vous baiser en prison’. Mais je ne répondais pas, je ne voulais pas tourner la tête."
L’interrogatoire et menaces voilées
L’interrogatoire se déroule avec un traducteur très jeune qui
"se marre en français en rigolant"
. Mustapha coupe court dès le début:
"Il me dit ‘Tu es entré illégalement en Israël’. Je l’ai coupé : ‘Écoutez, je n’ai jamais voulu venir en Israël. C’est vous qui m’avez kidnappé en eaux internationales. Vous nous avez amenés de force ici, mais on n’a jamais voulu venir ici.’"
Les questions fusent : financement par le Hamas, appartenance à un groupe politique, raisons de venir le 7 octobre…
"À chaque fois, je répondais ‘Je ne réponds pas sous les conseils de mon avocat’. Il me dit ‘Comment tu veux qu’on appelle ton avocat si on n’a pas son numéro ?’ Je lui dis ‘Mais ça, c’est votre travail. Les avocats, ils sont en Israël. C’est à vous de les trouver.’"
Vous nous avez amené de force
Le traducteur finit par répondre lui-même aux questions en hébreu sans même les traduire.
l’arrête:
"Vous ne répondez pas à ma place. Vous devez me poser la question et si j’ai envie de répondre, je vous répondrai."
On lui présente des documents en hébreu à signer. Il refuse catégoriquement.
"Tant que ce n’est pas en français, je ne signerai pas."
On lui demande:
"Tu veux rentrer chez toi ?"
Il répond:
"Oui, mais je veux signer des documents que je comprends. Je ne vais pas signer les yeux fermés."
Le seul document qu’il accepte de signer est celui, traduit en français, acceptant d’être renvoyé dans son pays dans les 72 heures. L’officier lui dit alors:
"Bienvenue en Israël. Welcome to hell. Bienvenue en enfer."
Bienvenue en Israël, bienvenue en enfer
Nouvelle fouille intégrale, lacets et élastiques de chaussures coupés, puis menottes en serflex. Mustapha anticipe:
"Je savais que ces gens-là allaient me serrer fort les mains. Donc mes mains, je ne les ai pas tendues comme ça, je les ai tendues comme ça pour pouvoir gagner deux-trois petits centimètres de marge."
Bandeau sur les yeux, il est poussé dans un car cellulaire avec chauffage à fond.
"Il faisait super chaud, on était en sueur, je transpirais, je suffoquais dans cette cellule."
Les cellules sont minuscules, pour deux personnes.
"J’avais du mal à respirer. Je collais mon visage à la paroi métallique du car pour avoir un peu de fraîcheur. Je collais, ça durait deux secondes, c’était déjà bouillant."
Ils restent une heure dans la chaleur étouffante. Puis la climatisation est allumée à fond sur le froid.
"En 30 secondes, on est tous là en train de trembler. Nos tee-shirts étaient trempés."
Mustapha, grâce à ses connaissances médicales, conseille à tous:
"Protégez votre cou, protégez vos aisselles, vos parties intimes."
Ils se recroquevillent, le visage dans leurs tee-shirts mouillés.
Le trajet dure environ trois heures jusqu’à la prison de
, dans le désert du Néguev.
"Le temps était interminable dans ce car."
À l’arrivée, nouvelle attente d’une heure dans le car gelé. Puis ils sont conduits, bandeaux baissés, dans une cage extérieure où ils restent à genoux sur un sol sableux avec des gravats qui rentrent dans la peau.
"On était tellement serrés que parfois je tombais sur le camarade de droite qui me repoussait. Je dis ‘Désolé, je ne tiens plus’."
L’odeur est insoutenable.
"Ça sentait l’ammoniaque. J’avais l’impression d’être dans une écurie."
Après encore une heure d’attente, ils peuvent lever leurs bandeaux. La cage contient des toilettes sales dont la porte ne ferme pas, sans chasse d’eau fonctionnelle, sans lavabo, sans papier. Partout sur les murs, des inscriptions en arabe de détenus précédents.
Antoine tombait par terre, se relevait, criait, ne voyait même pas les coups arriver. On ne pouvait rien faire, on ne pouvait même pas crier.
Ils sont appelés par groupes pour être déshabillés intégralement dans des tentes bleues, en présence d’un chien sans muselière.
"Je suis quelqu’un de très pudique. Je le baisse rapidement et je le relève. Il me le rebaisse : ‘Non, baisse ton boxer’. Je me mets accroupi, je me relève vite. Il me dit ‘Non, tu te remets accroupi’"
. Tout nu, accroupi, devant des militaires cagoulés et leur chien.
C’est à ce moment que Mustapha voit son ami Antoine
"les yeux bandés, les mains menottées avec des menottes en fer, avec une chaîne qui descend aux jambes et les pieds aussi attachés, avec des agents pénitentiaires qui le frappent. Antoine tombait par terre, se relevait, criait, ne voyait même pas les coups arriver. On ne pouvait rien faire, on ne pouvait même pas crier. On avait peur qu’ils nous fassent la même chose. Il morflait, il prenait des coups, il hurlait à mort."
On leur donne des vêtements de prisonniers taille XL avec inscriptions en hébreu, et des claquettes. La
est expédiée en quelques secondes par quelqu’un qui n’est même pas en tenue médicale.
Mustapha est placé dans la cellule numéro trois avec huit autres personnes au lieu des huit prévues. La pièce contient quatre lits superposés.
"J’ai choisi un matelas et je me suis mis par terre. Je me suis dit ‘Je ne veux pas de vos lits’."
Les toilettes sont une porte battante ouverte en haut et en bas, sans intimité.
"Il n’y avait pas de papier toilette et le robinet était à environ trois mètres des toilettes. Impossible, même si on voulait se laver à l’eau, d’acheminer l’eau du lavabo aux toilettes."
Résultat:
"Dès la première nuit, c’était une piscine aux toilettes, il y avait de l’eau partout."
Dans sa cellule: Mohamed Ali, Bangladais de nationalité anglaise et diabétique insulino-dépendant à qui on n’a rien donné ; Lee, Irlandais ; quatre Turcs ; et Mohamed du même voilier.
"Je ne pouvais parler avec aucun d’eux sauf Mohamed. J’étais content d’être avec lui parce que je pouvais au moins communiquer en français."
Les malades n'ont reçu aucun traitement, ils auraient pu mourir
Mohamed Ali n’ayant reçu ni insuline ni traitement, Mustapha, en grève de la faim, lui donne ses deux tranches de pain de mie avec confiture.
La première nuit est une torture:
"Ils ne nous ont pas laissé dormir. Toute la nuit, ils venaient toutes les demi-heures, voire toutes les heures. Ils entraient dans la cellule, allumaient les lumières, nous disaient ‘Stand up, stand up’. Ils nous réveillaient, on se levait, ils passaient parfois avec leur lampe qu’ils nous mettaient dans les yeux et ils repartaient."
Dans le couloir, un grand écran diffuse en boucle la propagande du 7 octobre. Des sons de mitraillettes enregistrés empêchent le sommeil. Les micros s’activent avec des bruits sourds répétitifs.
"J’avais ma migraine d’enfer, la tête qui voulait exploser. Je me bouchais les oreilles. Mais à un moment, on ne tient plus, donc le bruit, on le subit."
On entend aussi des chiens hurler, et les détenus s’inquiètent pour Antoine. "
Il y avait des cellules qui hurlaient ‘Antoine ! Antoine !’ pour savoir s’il entendait notre voix et pour lui donner de la force."
Le "jugement", une mascarade de justice
Le lendemain, vers 8h, distribution d’une tranche de pain de mie avec fromage à tartiner et rondelle de tomate. Mustapha la donne également à Mohamed Ali diabétique. Dans le sac plastique noir reçu, il y a
"une culotte style slip que je ne pouvais même pas mettre, un petit tube de dentifrice avec une brosse à dents toute petite qu’on pouvait à peine tenir, deux sachets de gel douche avec une micro-serviette".
Vers 9h30, tous sortent des cellules pour être emmenés dans un car où ils étouffent une heure à l’arrêt, chauffage à fond. Le car fait 25 mètres tout droit, tourne à gauche, fait 25 mètres et s’arrête.
"Je me suis dit : ‘En fait, ils ont fait exprès de nous faire transpirer parce que c’était dans la prison. On aurait pu marcher 50 mètres à pied.’"
On les entasse dans une cage dehors de moins de 20 m² à 50-60 personnes, debout, collés comme des sardines, sans protection du soleil.
"On était là à cramer dans cette cage."
L'audience a duré 2 minutes
Par groupes de quatre, ils sont emmenés dans des préfabriqués où une femme en robe noire est censée être la juge.
"Aucune certitude que c’était une avocate, aucun badge."
L’audience dure à peine deux minutes.
"On a juste eu le temps de dire qu’on était tous en grève de la faim et qu’ils ont massacré notre camarade Antoine."
Une femme de la prison interrompt:
"C’est fini, c’est fini, tout le monde dehors !"
Un militant journaliste proteste : il veut parler à l’avocate, on lui a pris tout son matériel. La femme,
"avec un regard démoniaque"
, hurle en hébreu:
Même la prétendue juge leur dit de partir.
Certains détenus n’ont même pas vu d’avocat.
"Mon camarade belge, quand il est entré dans cette pièce, on lui a dit qu’il n’y avait pas d’avocat pour lui. Alors que d’autres Belges dans leurs cellules ont pu voir leurs avocats."
Retour dans le car, une heure à l’arrêt à transpirer, 25 mètres tout droit, 25 mètres à droite, arrêt, encore une heure à suer.
"Le temps était vraiment très long."
La visite consulaire, une lueur d’humanité
De retour aux cellules, ils découvrent des bacs de nourriture inhabituels : cornichons, pois chiches, tomates en boîte, thon, salade.
"C’était le festin pour ceux qui mangeaient. On comprend qu’on va avoir les représentants consulaires."
Les visites se font par nationalité. Les Anglais d’abord, puis les Turcs, puis les Belges. Mustapha, seul Français de sa cellule, est le dernier. Pendant l’attente, une cellule se met à hurler et chanter
parce que leurs toilettes sont bouchées et qu’ils n’ont aucune hygiène. Les gardiens menacent d’arrêter les représentations consulaires s’ils continuent.
On les sort dans une cage en plein soleil, entourée de barbelés, sans possibilité de se mettre à l’ombre.
"Même on ne pouvait même pas se mettre sur un côté pour obtenir de l’ombre, sinon on se faisait attraper par les barbelés."
Le groupe français nomme un représentant pour synthétiser tous les problèmes, notamment le cas d’Antoine à l’isolement qu’ils n’ont toujours pas vu. Un représentant consulaire français les rassure:
"Ne vous en faites pas, on va tous vous voir. Nous sommes cinq, on va tous vous prendre un par un."
Première gorgée d'eau depuis plus de 24 h
On les fait entrer dans une autre cage avec bâches pour se protéger du soleil. Première demande : de l’eau fraîche. On leur amène un baril avec robinet et gobelets.
"Je me jette sur l’eau. Moi, à moi seul, j’ai dû boire au moins deux litres d’eau en même pas 20 minutes."
Le représentant qui reçoit Mustapha lui dit que sa famille a appelé sans arrêt le consulat.
Mustapha lui fait passer un message avec un pseudo que seule sa famille connaît. Il mentionne son traitement médical qu’il a refusé de divulguer aux Israéliens
"par peur qu’on joue avec ma santé"
. Le représentant promet de le lui faire parvenir en Türkiye à l’atterrissage à Istanbul.
Mustapha demande du Doliprane pour sa migraine terrible. Il explique la torture psychologique, le manque de sommeil, et surtout le cas d’Antoine:
"Ils l’ont massacré. On ne sait toujours pas où il est. Il avait des vraies menottes et ils l’ont vraiment massacré. On aimerait juste savoir s’il va bien."
Les représentants se montrent compatissants, souriants.
"Ils nous disent ‘Vous en faites pas, ça va aller, on fait ce qu’il faut’."
L’un d’eux offre à Mustapha un paquet de gâteaux. Mustapha refuse d’abord:
"Je suis en grève de la faim."
Le représentant insiste:
"Vous pouvez le manger, ça vient de notre part."
"Les représentants consulaires ont été compatissant"
Mustapha en profite stratégiquement: il prend trois paquets de gâteaux de différents représentants, demande une bouteille d’eau, la boit à moitié, la compresse pour vider l’air et cache le tout dans son boxer sous son pull.
"Oui, ils ont été compatissants. Je pense que c’est plutôt eux qui nous ont apporté ça, pas la France. Je pense que ça vient de ces êtres humains eux-mêmes."
De retour vers les cellules, tous se mettent à hurler « Antoine ! » en espérant qu’il les entende. Les gardiens ordonnent le silence. Mustapha réfléchit à qui donner les gâteaux pour éviter l’inégalité : un pour Mohamed Ali diabétique dans sa cellule, les deux autres pour des membres de la précédente flottille Freedom Flotilla (sous-Mavi Marmara) présents depuis plus longtemps.
Il s’approche d’un Nigérian et d’un Marocain, prend leurs noms (Michael et Aziz Rally) pour garder contact, et leur donne rapidement les deux paquets. « En même pas 30 secondes, il y a un militaire qui vient en courant en hurlant : ‘Rends-moi le paquet de gâteaux !’ Il récupère un, dit ‘Le deuxième !’, récupère le deuxième. Ça m’a donné un coup de poignard au cœur. C’est comme quand on donne un bonbon à un enfant et deux secondes après, on lui reprend. J’ai regretté. »
Le militaire l’empoigne et le tire vers l’isolement. « J’entends mes camarades qui disent ‘Ils vont même Mousse à l’isolement !’. » Mais devant la cellule 8, le gardien change d’avis et le fait rentrer dans sa cellule 3. « J’ai décompressé. Au moins, je ne vais pas en isolement. »
Il dit aux autres cellules : « Vous en faites pas, si on vient me chercher pour m’emmener en isolement, je vais hurler, vous allez m’entendre partir. »
Mustapha donne le biscuit restant à Mohamed Ali. De retour dans sa cellule, il constate que ses codétenus ont mangé. Il attend qu’on lui propose son assiette. Au bout de 40 minutes, personne ne vient. Il tape à la grille. Un militaire lui ouvre et lui dit d’aller prendre une assiette.
Il s’allonge, essaie de fermer les yeux pour évacuer la douleur de sa migraine, et demande à ses camarades de se taire et d’essayer de dormir "parce que ce soir, on ne va pas nous laisser dormir".
La nuit recommence :
lumières, lampes dans les yeux, toutes les demi-heures. Écran de propagande en boucle, sons de mitraillettes, micros activés, bruits sourds répétitifs, chiens qui hurlent. "
À un moment, j’ai entendu un avion de chasse passer au-dessus de notre tête. Comme je savais qu’on était à environ 30 km de
, je me disais : cet avion va tuer nos frères."
Des camarades affirment avoir entendu des bombardements.
"Moi personnellement, je n’ai pas entendu. Je ne sais pas si c’était un moment où je dormais, mais on m’a confirmé, même les gens de la Mavi Marmara dans la cellule d’en face, qu’ils entendaient des bombardements."
À un moment dans la nuit, des gardiens entrent avec une bouteille et pulvérisent quelque chose dans la cellule.
"J’ai direct pris mon pull, je me suis couvert avec comme ça. Mais à un moment, on est obligé de le retirer. On ne sait pas ce qu’ils nous ont pulvérisé. Je ne sais pas si c’était pour nous rendre fous psychologiquement ou si c’est quelque chose qui nous attend."
Au petit matin, vers 6h, même rituel. Mustapha comprend leur jeu, se remet en position et essaie de se rendormir. Vers 9h, les gardiens font sortir la première cellule, puis la deuxième. C’est ensuite le tour de Mustapha.
Certains de ses camarades sont mis dans les cellules individuelles à l’arrière, encore pire avec la clim directement au-dessus. Le trajet dure environ trois heures vers l’aéroport d’Eilat. Pendant tout le trajet, ils chantent des chants palestiniens pour se réchauffer et résister.
Les chants de la résistance
Mustapha se souvient avec émotion de la dernière nuit en prison.
"Un moment, j’entends des camarades des cellules craquer, faire des chants. Il y en a un qui s’est mis à chanter avec une belle voix ‘Bella Ciao’. Puis un Turc aussi qui a repris un chant religieux. Quand il se taisait, il y avait un autre camarade d’autres cellules qui se mettait à chanter en français puis en anglais. C’était magnifique de voir cette résistance même en prison."
L’aéroport d’Eilat : humiliations jusqu’au bout
Arrivé au grand parking de l’aéroport, le car reste à l’arrêt encore une heure. Les militaires à l’avant tentent de les filmer avec leurs téléphones à travers le plexiglas.
"On mettait nos mains comme ça pour éviter qu’ils nous filment. Je me rappelle avoir fait un doigt d’honneur comme ça à son téléphone. Une fois que j’ai fait le doigt d’honneur, j’ai regretté. Je me suis dit : ils vont peut-être m’attraper à la sortie du car."
Un policier les prévient : au moindre signe de protestation, retour en prison. "Je dis à tout le monde : calmez-vous, ils seraient capables de nous faire ça."
En descendant un escalator, ils croisent des Israéliens qui atterrissent d’un vol et qui les attendent avec leurs téléphones.
Ne pouvant pas manifester, Mustapha trouve une forme de protestation silencieuse:
"La seule chose que je pouvais faire, je leur ai fait un cœur pour leur faire comprendre que eux, ils dégagent de la haine, mais nous, on est des humains, on prône la paix, on dégage de l’amour dans nos cœurs."
Dans l’aéroport, Mustapha fait quelque chose qui lui redonne de l’espoir:
"J’ai marché le corps bombé, tête en l’air, pour leur montrer que je suis fier de marcher dans cet aéroport. Je suis en Palestine occupée. Je marchais fièrement dans l’aéroport, à défaut de pouvoir crier ‘Free Palestine’ !"
Turkish Airlines et l'avion de la délivrance
Ils traversent le tarmac à pied jusqu’aux escaliers de l’avion Turkish Airlines.
"Une fois qu’on monte dans l’avion, on est fiers, heureux. On serre même les gens de Turkish Airlines dans nos bras. On est fiers de revoir, depuis qu’on a été kidnappés, des vrais humains devant nous, des vrais humains."
L’accueil contraste totalement avec le traitement israélien.
"Ils nous disent ‘Bienvenue’. Je vous dis, on les prend dans nos bras. Il y en a qui pleurent, il y en a qui sont contents, heureux de quitter ce cauchemar."
La première classe est réservée aux personnes malades ou âgées comme centre de soins. Les autres sont en classe économique.
"On était tous heureux de se revoir les uns les autres. On se serrait dans les bras, on voit des gens de la Sumud. On voit les femmes de Malaisie qui n’avaient plus de voile, qui essayent de se revoiler avec ce qu’elles trouvent dans l’appareil. C’était merveilleux."
"Tout l'appareil a explosé de joie"
À ce moment, un Palestinien du bateau avance en disant qu’on l’a arrêté à la sortie du car:
"Ils recherchent quelqu’un qui a fait un doigt d’honneur."
Mustapha tremble, le prend dans ses bras:
"Pardon, mon frère, c’est moi qui ai fait le doigt d’honneur."
Il a peur jusqu’au décollage:
"Je me disais : ces gens sont tellement mauvais qu’ils seraient capables de revenir jusqu’à l’appareil monté pour chercher cette personne. Je n’ai respiré qu’une fois que j’ai vu l’avion décoller."
Au décollage, "
tout l’appareil a explosé de joie. Tout le monde applaudissait, heureux de partir de cet enfer."
Ils survolent la Palestine. Mustapha raconte: "
On ne volait pas à haute altitude, donc on voyait sur l’écran qui avait ramassé. J’essayais de voir
. Je voyais même les colonies israéliennes parce qu’elles sont faites en forme de demi-cercle. J’essayais de voir Jérusalem parce que sur la carte, ça nous disait Jérusalem, mais je n’arrivais pas à voir la mosquée Al-Aqsa. J’essayais de chercher un dôme jaune, mais je ne voyais pas. Je voyais une grande ville, je me disais : c’est Jérusalem. On a quitté la Terre Sainte."
"Traités comme des rois" par la la Türkiye
À bord, le traitement est royal.
"Les hôtesses de Turkish Airlines n’ont pas arrêté de travailler. Elles nous ont donné des repas de première classe avec deux séries de couverts métalliques. J’avais l’impression qu’ils étaient même en argent. Petite serviette, deux entrées, un plat chaud qui était vraiment… Le plat était succulent du dessert, de l’entrée au dessert. J’ai pu en manger trois plats comme ça. À chaque fois, j’ai demandé à me ramener un autre plateau. Je me suis goinfré à bord de cet appareil."
Ils reçoivent tous des trousses de toilette Lanvin, pour hommes et pour femmes. Mustapha, avec humour, demande s’il peut en avoir une pour sa mère.
"Elle m’a dit ‘Oui, oui, oui’, et elle est partie m’en chercher une pour ma maman."
C’est aussi Turkish Airlines qui leur remet leurs passeports et leurs traitements médicaux. Mohamed Ali, diabétique insulino-dépendant, ne retrouve cependant jamais son insuline ni son traitement.
"Il est rentré chez lui sans rien."
L’avion reste une demi-heure à l’arrêt à Istanbul. On leur apporte à tous des écharpes palestiniennes avec drapeaux palestiniens d’un côté et turcs de l’autre, des paires de chaussures neuves (Mustapha était en claquettes pieds nus), des chaussettes, des chemises neuves.
À la descente de l’appareil, ils sont acclamés.
"On a été attendu par plein de ministres et députés qui étaient là sur nos gauches à nous serrer la main. On avait plusieurs caméras pour médiatiser notre arrivée."
Un car les emmène au Lounge VIP.
"Il y avait deux lounges. Un petit qui était quand même assez grand, mais plus petit que l’autre, et un immense. On a occupé les deux. Les deux étaient blindés pour nous. Il y avait tous les représentants consulaires qui nous attendaient."
De la nourriture partout.
"Les personnes qui travaillaient dans le lounge passaient avec des chariots avec des boîtes de menus complets. Ils nous en posaient à côté de nous sur les tables. Il y avait les machines à café, machines à thé, à volonté. Vraiment, on a été accueillis comme des rois."
Le contraste avec les représentants consulaires français est saisissant.
"La première chose qu’ils ont faite en venant nous voir, c’est ‘Vous voulez passer un coup de fil à votre famille ?’ J’ai dit oui. Ça a été via WhatsApp, donc ils n’ont même pas payé une communication. Et la deuxième chose qu’ils m’ont dite, c’est ‘Appelez vos proches, demandez-leur de vous payer votre billet retour.’"
La France nous a dit de payer nos billets de retour
Mustapha trouve cela honteux.
"Ce n’est même pas ‘Comment vous allez ?’, ‘Est-ce que ça a été dur ?’. Non : ‘Demandez à vos proches de vous payer votre billet retour’. Normalement, c’est à l’état français de nous prendre en charge. Quand on voit ce qu’ils ont fait rien que pour Boualem Sansal, ils ont remué ciel et terre. Quand on voit comment ils ont rapatrié les otages français libérés du 7 octobre : ils ont été pris en charge, accueillis à l’Élysée, mis comme des rois. Et là, c’est la première chose qu’on nous dit."
Il répond pour les embêter:
"Ma mère ne travaille pas, elle est retraitée, elle est malade, elle n’a pas d’argent. C’est moi qui l’aide dans la vie."
On lui dit de demander à sa sœur.
"Ma sœur a une enfant handicapée. Ce n’est pas à elle de me payer mon billet retour."
La Türkiye nous a rapatrié
Cela dure plus de trois heures. Certains n’ont vraiment pas les moyens.
"C’est la Türkiye, Turkish Airlines, qui a pris en charge des personnes qui n’avaient pas de quoi se prendre leur billet retour d’Istanbul à leurs pays respectifs. C’est la Türkiye, Turkish Airlines, qui a payé les hôtels quatre étoiles et cinq étoiles à tous les ressortissants du monde qui n’ont pas pu prendre un vol ce jour-là. C’est la Türkiye, Turkish Airlines, qui a tout fait."
Mustapha dresse un bilan amer de l’aide française.
"Comme je vous dis, on a eu vraiment aucune aide de la part de l’état français. J’ai eu un stylo ‘France consulaire’. J’ai eu le fameux paquet de gâteaux que je n’ai pas mangé comme j’étais en grève de la faim en prison. On a eu de l’eau fraîche d’un tonneau. À Istanbul aussi, la France a donné des boxers et des tee-shirts pour ceux qui le désiraient. On m’a donné un grand tee-shirt taille L que je n’ai jamais porté et un boxer taille M que je n’ai toujours jamais porté. C’est tout ce que la France a fait pour nous."
Il conserve précieusement les cadeaux turcs : la paire de chaussures Adidas toute neuve dans sa boîte avec inscription en turc, des chaussettes Adidas et Tommy Hilfiger de marque, la chemise, la trousse Lanvin en cuir pour hommes, et celle pour femmes qu’il garde pour sa maman hospitalisée.
"Je ne remercierai jamais assez la Türkiye et son président. C’est eux qui ont tout fait, ceux qui nous ont sortis d’Israël, ceux qui nous ont sortis de cet enfer. Ils nous ont nourris comme jamais avec des plats de première classe, ils nous ont habillés, ils nous ont apportés les lounges VIP. Ils ont vraiment tout fait, ce que nos gouvernements n’ont pas fait. L’Espagne a rapatrié ses ressortissants, elle leur a payé leur billet d’avion. D’autres pays l’ont fait, mais la France n’a rien fait du tout."
À Istanbul, Mustapha récupère ses affaires dans son sac poubelle noir avec son pantalon. Ses chaussures, il ne les retrouve pas.
"Heureusement que la Türkiye m’a offert une paire de chaussures. C’était comme ça : certaines personnes retrouvaient tout, d’autres ne retrouvaient rien de ce qu’ils avaient."
Le retour en France: accueil policier et intimidations
Mustapha réussit à avoir un vol pour 19h40 d’Istanbul vers Paris. Du lounge VIP, ils sont acheminés directement à la porte d’embarquement.
"Les hôtesses du deuxième vol nous expliquent la même chose : ‘Vous êtes les bienvenus à bord, si vous avez besoin de quoi que ce soit…’ Ils nous ont vus en tenue de détenus. Ils nous ont aussi bien traités sur ce vol."
Arrivée à Paris vers 23h. Contraste brutal.
"Le premier pas posé en dehors de l’appareil : trois policiers français qui nous attendent. Ils nous disent ‘Donnez-nous vos passeports’, ‘Veuillez nous suivre’. On se regarde avec les trois autres camarades. On était quatre sur ce vol. On se dit : ‘Attendez, on vient d’être accueillis comme des héros en Türkiye et là, on se fait pêcher à la sortie de l’avion par la police française.’"
Mustapha s’attendait à un comité d’accueil, quelqu’un de la représentation française, une cellule de crise à l’aéroport.
" Ils sont emmenés au commissariat de l’aéroport, on leur demande de s’asseoir et de patienter.
Au bout de 15-20 minutes, un officier vient leur remettre leurs passeports individuellement.
"On nous dit qu’un officier va descendre vous voir. On attend, on attend. Il y a 15-20 minutes qui passent. On est épuisés, fatigués, on n’a qu’une envie: rentrer chez nous, voir nos familles et prendre une bonne douche."
Une militante prend la parole:
"Excusez-moi, on a nos passeports, est-ce qu’on est libres ?"
Les officiers répondent à l'affirmative. Ils se lèvent et sortent.
"En sortant, on s’est dit que c’est sûrement pour faire perdre du temps aux gens qui nous attendent dehors, qui se disent qu’on va peut-être pas sortir par là. Les gens s’en aillent."
Dehors, beaucoup de monde attend: famille de Mustapha, camarades de l’hôpital, association Euro-Palestine, médias indépendants.
"Mais on n’a vu aucune grosse caméra. On me dit que la police a interdit aux journalistes d’entrer avec leur caméra dans l’aéroport. Ils étaient autorisés à filmer qu’avec leur téléphone. C’est là où je me suis dit : en fait, la France ne fait rien pour nous, mais en plus, elle essaye de nous mettre des bâtons dans les roues, à nous faire perdre du temps en allant dans leur commissariat de police à l’aéroport, puis à interdire les journalistes de faire leur travail pour pouvoir médiatiser notre venue."
Le lendemain, Mustapha retourne à Charles de Gaulle pour accueillir d’autres camarades. Il sait qu’ils vont subir le même traitement. Effectivement, Isaline, 83 ans, et d’autres mettent du temps à sortir.
"On a été tous ensemble. On l’a attendue jusqu’à lundi parce que ce jour-là, c’était samedi. On a dû attendre lundi pour récupérer nos derniers camarades qui atterrissaient à Charles de Gaulle, où il y a 21 ressortissants français qui sont atterris. On est allés les attendre."
C’est ce lundi-là que Mustapha se sent vraiment libéré.
"On nous avait mis des bracelets en papier blanc et bleu avec des numéros dessus. Ces fameux bracelets, je les ai déchirés que ce lundi-là, une fois que j’ai vu les 21 derniers Français atterrir à Paris. C’est là où je me suis dit : ‘C’est bon, je suis libre.’ Pour moi, j’étais encore en prison tant que tout le monde n’était pas rentré. C’est là où je les ai arrachés, je les ai jetés à la poubelle."
Mustapha ne manque pas d'éloges sur le traitement turc.
"Je ne remercierai jamais assez la Türkiye, comme je vous ai dit, parce que sans la Türkiye, ça a été le seul avion au monde qui est venu récupérer tous les citoyens du monde. Elle aurait pu très bien récupérer que les ressortissants turcs et abandonner tout le monde. Elle a abandonné personne, mais vraiment personne. Je les remercierai jamais assez."
Le contraste avec la France reste douloureux.
Mustapha compare le traitement réservé aux militants humanitaires à celui d’autres personnalités.
"Quand on voit ce qu’ils ont fait rien que pour Boualem Sansal, quand on voit comment ils ont rapatrié les otages français libérés du 7 octobre, accueillis à l’Élysée, mis comme des rois… Et nous, la première chose qu’on nous dit : ‘Payez votre billet retour’."
La France n’a pas seulement été absente, elle a été hostile
:
"Elle essaye de nous mettre des bâtons dans les roues, à nous faire perdre du temps, à interdire les journalistes de faire leur travail."
Aujourd’hui, Mustapha conserve précieusement tous les cadeaux offerts par la Türkiye : les chaussures, les chaussettes de marque, la chemise, les trousses Lanvin. Ces objets témoignent de la solidarité d’un pays envers des militants désarmés qui tentaient simplement de briser un blocus illégal et d’apporter de l’aide humanitaire à une population affamée.
Des témoignages qui concordent
Son témoignage s’inscrit dans une longue liste de violations des droits humains par l’armée israélienne contre les flottilles humanitaires, depuis l’attaque meurtrière de la Mavi Marmara en 2010 qui avait fait 10 morts. Mais il révèle aussi une vérité dérangeante: la complicité silencieuse des gouvernements occidentaux, dont la France, qui abandonnent leurs citoyens lorsqu’ils défendent les Palestiniens.
Ce témoignage intégral a été recueilli plusieurs jours après le retour de Mustapha Karmim en France. Tous les faits relatés correspondent à son récit direct et corroborent les témoignages d’autres membres de la flottille Thousand Madeens. L’association Euro-Palestine et plusieurs organisations de défense des droits humains ont documenté ces violations et appellent à une enquête internationale sur le traitement des militants humanitaires interceptés en eaux internationales.