Dans la capitale de l'hindouisme, une mosquée au cœur des disputes religieuses

12:194/02/2024, dimanche
MAJ: 4/02/2024, dimanche
AFP
Des fidèles hindous font la queue pour entrer dans le temple Kashi Vishwanath à côté de la mosquée Gyanvapi à Varanasi, le 3 février 2024.
Crédit Photo : Jalees ANDRABI / AFP
Des fidèles hindous font la queue pour entrer dans le temple Kashi Vishwanath à côté de la mosquée Gyanvapi à Varanasi, le 3 février 2024.

A Bénarès, capitale de l'hindouisme en Inde, des fidèles hindous ont commencé à investir une mosquée, et son gardien, Syed Mohammad Yaseen, s'inquiète de savoir combien de temps les musulmans seront encore autorisés à venir y prier.

C'est à Bénarès, appelée aussi Varanasi, que de nombreux hindous viennent incinérer leurs morts au bord du Gange, mais cette ville du nord de l'Inde est aussi le nouveau front d'une bataille menée par les hindous majoritaires pour revendiquer des monuments islamiques vieux de plusieurs siècles en Inde.


Le Premier ministre Narendra Modi, champion de cette cause, a inauguré le mois dernier dans une ville voisine un nouveau temple grandiose sur le site d'une ancienne mosquée démolie par des fanatiques hindous il y a plusieurs décennies.


"Nous sommes témoins de la répression et de cruauté"
, affirme le vieux gardien de 78 ans.

Il ne s'agit pas seulement d'une seule mosquée. Leur slogan dit qu'aucune tombe ou mosquée ne sera épargnée.

Les hindous affirment que la mosquée Gyanvapi, qui accueille l'une des plus grandes congrégations musulmanes de Bénarès, a été construite sur un sanctuaire dédié au dieu hindou Shiva, pendant l'empire moghol qui a régné sur une grande partie de l'Inde pendant plus de trois siècles.


Présence policière renforcée


Depuis des années, les musulmans fréquentent la mosquée sous surveillance policière afin d'empêcher que le conflit ne dégénère.


Mais cette semaine, un tribunal local a ordonné que le sous-sol de la mosquée soit ouvert aux fidèles hindous.


Une cérémonie hindoue y a eu lieu dès le lendemain et la plus haute cour du pays a refusé de réexaminer la décision en appel.

Yaseen s'alarme de ce qui est pour lui un clair soutien des autorités aux revendications des hindous.


"Ils passent par les tribunaux, par le système"
, dit-il.
"J'ai ressenti toute la douleur possible, en tant que musulman. Ca m'a pesé toute la nuit".

Vendredi, la tension autour de la mosquée était palpable, avec une présence policière renforcée. Quelque 2.500 musulmans, près du double de l'affluence normale, sont venus pour les prières de l'après-midi.

Au même moment, des dizaines de fidèles hindous se pressaient devant les barricades de la police et criaient des slogans en dévotion à Shiva, le dieu hindou de la création et de la destruction.


"Chaînes de l'esclavage"


Narendra Modi et le parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), ont cherché à promouvoir la religion majoritaire et à la mettre au premier plan depuis leur arrivée au pouvoir il y a dix ans.


L'inauguration d'un nouveau temple hindou à Ayodhya, non loin de Bénarès, fin janvier, a été un événement majeur qui a donné lieu à de grandes célébrations. Le Premier ministre a salué un moment décisif dans la libération de l'Inde des
"chaînes de l'esclavage".

Mais les plus de 210 millions de musulmans du pays voient ce temple comme un signe de leur marginalisation croissante. Il a été bâti sur le site de la mosquée Babri, vieille de 500 ans, démolie en 1992 par des fanatiques hindous. Cette destruction, encouragée par le parti au pouvoir, avait alors déclenché les pires émeutes religieuses dans le pays depuis l'indépendance, faisant environ 2.000 morts, pour la plupart musulmans.


"Un pas en avant"


Comme à Bénarès, des militants hindous affirmaient que la mosquée Babri avait été construite sur un ancien sanctuaire dédié à une divinité hindoue sous la période de l'empire moghol, qu'ils considèrent comme une période d'oppression musulmane sur l'hindouisme.


Pour Sohanlal Arya, défenseur de longue date de l'hindouisme, la décision du tribunal d'ouvrir le lieu de culte de Bénarès aux hindous est
"un pas en avant"
pour réparer des torts historiques.

"C'est une question de fierté pour nous"
, indique l'homme de 72 ans.
"Ils ont détruit notre lieu saint, ils ont construit une mosquée. Nos preuves sont formelles. C'est pourquoi nous avons pleinement confiance dans les tribunaux".

Il souligne que les hindous patientent depuis trois siècles pour
"récupérer"
le site de la mosquée Gyanvapi.
"Nous sommes des adeptes de Shiva, le plus puissant de tous les dieux". "Combien de temps cela prendra-t-il encore ? Une génération, deux générations, trois générations ?". "Nous attendons"
, assure-t-il.

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