Crédit photo: BEN STANSALL / AFP
Après les passeurs, les secours: cinq militaires travaillant dans un centre de sauvetage en mer ont été inculpés jeudi à Paris pour non-assistance à personne en danger dans l'enquête sur la mort de 27 migrants dans le naufrage de leur bateau dans la Manche fin 2021.
Neuf personnes, dont au moins cinq militaires du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris Nez (Cross), chargé des secours dans la Manche, avaient été placées en garde à vue ces derniers jours, selon une source judiciaire et une source proche du dossier.
Selon la source proche du dossier, cinq militaires, trois femmes et deux hommes, ont été présentés jeudi après-midi aux magistrats instructeurs de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, à Paris.
D'après une source judiciaire, ils ont été inculpés pour non-assistance à personne en danger et laissés libres. Le code de justice militaire restreint fortement les possibilités de placement sous contrôle judiciaire des militaires.
Les autorités françaises sont soupçonnées d'avoir été appelées à l'aide à une quinzaine de reprises et de ne pas être venues en aide aux migrants la nuit du naufrage.
Le canot avait coulé au petit matin du 24 novembre 2021, emportant 27 passagers, majoritairement des Kurdes irakiens, âgés de 7 à 46 ans.
Personne ne leur était venu en aide. Ni côté français, ni côté britannique, chacun passant la nuit à se renvoyer la balle, selon des documents de l'enquête consultés par l'AFP et révélés par le quotidien Le Monde en novembre.
Dans une conversation téléphonique avec le Cross, dont l'AFP a eu connaissance, un migrant déclare:
"Au secours s'il vous plaît (...) je suis dans l'eau". "Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises Monsieur"
, lui répond son interlocutrice.
"Non, non pas les eaux anglaises, les eaux françaises, s'il vous plaît pouvez-vous venir vite"
, supplie-t-il encore, avant que la conversation ne soit coupée.
"Ah bah, t'entends pas, tu seras pas sauvé. +J'ai les pieds dans l'eau+, bah je t'ai pas demandé de partir"
, dit alors l'opératrice.
Ces éléments, qui concordent avec les déclarations des deux survivants, avaient secoué le Cross et suscité la "consternation" des associations d'aide aux migrants.
Les retranscriptions de conversations laissent toutefois apparaître que le Cross a contacté à plusieurs reprises les garde-côtes britanniques.
Lors de précédentes auditions comme témoins dans cette enquête fin 2021, des agents du Cross avaient invoqué le manque de moyens qui contraint
. Ce soir-là, le Cross a traité
"des centaines voire des milliers d'appels"
, avait rapporté l'un d'eux.
Sollicité jeudi par l'AFP, le directeur du Cross Gris-Nez, n'a pas souhaité réagir.
"Tous les opérateurs actuellement au Cross Gris-Nez ou embarqués ont toute la confiance du préfet pour conduire les opérations de sauvetage en mer"
, a indiqué de son côté à l'AFP la Préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord. Et d'ajouter:
L'affaire suit son cours et l'instruction n'est pas de notre ressort.
"On ne peut que se réjouir que les choses avancent d'un point de vue pénal, qu'on fasse enfin la lumière sur cette affaire, que la parole des victimes ou des proches des victimes puisse enfin être entendue à un niveau judiciaire"
, a réagi Flore Judet, porte-parole d'Utopia 56, une association d'aide aux migrants.
Claire Millot, de l'association Salam, a expliqué pour sa part que ses membres étaient
"très partagés: à la fois nous avons été très choqués d'apprendre ce qui a pu être dit au moment où des gens étaient en train de mourir, et en même temps
(...)
ces gens du Cross sont tellement sollicités et font tellement un boulot formidable, que nous, on n'aurait pas porté plainte"
.
Dix passeurs présumés, majoritairement afghans, ont déjà été inculpés en France dans le cadre de ce naufrage.
Une enquête est également en cours outre-Manche concernant ce drame, qui avait fait monter la tension entre Paris et Londres. Les autorités britanniques ont annoncé fin novembre avoir arrêté un homme,
"suspecté d'être un membre du groupe criminel organisé qui a conspiré pour transporter les migrants au Royaume-Uni à bord d'un petit bateau"
.
Quelque 46.000 migrants ont traversé la Manche en 2022, en majorité des Afghans, des Iraniens et des Albanais. Quelque 8.000 ont été secourus dans les eaux françaises.
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