Présidentielle au Cameroun: Paul Biya, l’éternel président face au miroir du temps

Moussa Hissein Moussa
18:1815/10/2025, mercredi
Yeni Şafak

Le 12 octobre 2025, plus de 8,2 millions de Camerounais ont participé à une élection présidentielle qui ressemble à un éternel recommencement. À 92 ans, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, prolongeant un règne ininterrompu de 43 années sur une nation de plus de vingt-huit millions d’habitants qui n’a connu que deux présidents depuis son indépendance. Symbole d’endurance pour certains, d’immobilisme pour d’autres, Biya gouverne dans un pays où les mêmes visages et les mêmes fractures politiques continuent de hanter chaque scrutin.

Biya âgé de 92 ans, candidat à un huitième mandat, est devenu un symbole à la fois d’endurance et d’immobilisme cumulant un double record : celui du dirigeant le plus âgé du monde et du chef d’État non monarchique le plus longtemps resté au pouvoir. depuis 1982 soit quarante-trois années de règne ininterrompu.


sur une nation de plus de vingt-huit millions d’habitants qui n’a connu que deux présidents depuis son indépendance
Ahmadou Ahidjo
et
Paul Biya
lui-même passé du rôle de dauphin politique à celui de monument politique

8 200 000 électeurs étaient inscrits pour cette présidentielle
à un seul tour un modèle voulu comme rapide et décisif mais souvent critiqué pour son incapacité à favoriser une véritable alternance.

12 candidats figuraient officiellement en lice bien que deux aient renoncé avant le vote pour soutenir d’autres prétendants tandis que la figure la plus populaire de l’opposition Maurice Kamto chef du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun a été exclue du scrutin par décision de la commission électorale puis du Conseil constitutionnel. Une exclusion vécue comme un symbole du verrouillage du système politique et du contrôle exercé par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais sur les institutions publiques et les médias nationaux


Un pouvoir sans fin et une nation fatiguée


Depuis qu’il a succédé à Ahmadou Ahidjo en 1982 Paul Biya a traversé les décennies en consolidant un pouvoir hypercentralisé appuyé sur un réseau dense de fidélités administratives militaires et régionales qui maintient le régime en place malgré les soubresauts politiques et les appels à la réforme.


Sa longévité politique repose sur une stratégie d’équilibre maîtrisée entre répression sélective et stabilité institutionnelle présentée comme gage de paix nationale mais perçue par une large partie de la population comme une forme d’immobilisme d’État.


Son âge avancé et sa santé fragile sont devenus des sujets récurrents dans le débat public le président voyage régulièrement à l’étranger notamment en Suisse pour des soins médicaux et l’année dernière des rumeurs sur sa mort ont forcé le gouvernement à publier un démenti officiel.


Ces épisodes traduisent l’opacité qui entoure le sommet de l’État et nourrissent la crainte d’un vide de pouvoir en cas de succession brutale d’autant qu’aucun dauphin politique n’a été clairement désigné au sein du RDPC


Les Camerounais sont ainsi pris dans une contradiction historique entre la peur du chaos et le désir de changement tandis qu’une partie de la jeunesse exprime un profond désenchantement.


À
Yaoundé
à
Douala
et à
Garoua
les jeunes électeurs interrogés disent leur frustration face à la corruption et au chômage qui gangrènent le pays. Certains espèrent un président capable de créer des emplois et de restaurer la justice sociale. D’autres dénoncent une gouvernance sans justice où personne ne défend les droits de l’homme et où les jeunes se sentent abandonnés dans une société bloquée

Les fractures profondes d’un pays entre instabilité et résilience


Le
Cameroun
n’est pas seulement confronté à une crise politique mais à une série de défis structurels qui fragilisent la cohésion nationale la croissance reste faible l’endettement s’aggrave les services publics se dégradent et la pauvreté progresse tandis que la corruption continue de siphonner les ressources publiques.

Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest le conflit séparatiste entamé en 2016 a fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes, le tout dans un silence quasi général. La fermeture d’écoles, la destruction d’infrastructures et les affrontements réguliers entre forces de sécurité et groupes armés ont instauré un climat de peur et d’abandon.


Dans l’extrême nord le groupe terroriste Boko Haram poursuit ses incursions depuis le Nigeria voisin, alimentant une insécurité chronique qui pèse sur les populations rurales et paralyse l’activité économique.


Ces crises simultanées dessinent le portrait d’un pays affaibli où la stabilité vantée par le pouvoir repose davantage sur la force de l’appareil sécuritaire que sur une légitimité renouvelée


L’économie elle-même reste dépendante des matières premières et du financement extérieur et le climat des affaires demeure incertain. Les investisseurs étrangers scrutent le scrutin avec prudence, inquiets du risque politique et de l’absence de visibilité sur les orientations futures du pays. Le Cameroun apparaît ainsi comme une puissance potentielle paralysée par la continuité.


L’opposant Issa Tchiroma crie victoire


L’opposant
Isa Tchiroma Bakary
, ancien ministre et candidat à la présidentielle, a créé la surprise en revendiquant sa victoire à l’issue du scrutin du 12 octobre 2025.

Figure politique connue pour son franc-parler et sa longévité sur la scène nationale, Tchiroma affirme disposer de preuves attestant d’un large soutien populaire, notamment dans les régions du Nord et du Centre, où il bénéficie d’un fort ancrage.


Selon lui, les résultats officiels annoncés par la commission électorale ne reflètent pas la volonté réelle des électeurs. Son camp dénonce des irrégularités massives et appelle à la reconnaissance de ce qu’il qualifie de
“victoire du peuple”
, tout en exhortant le président sortant,
Paul Biya
, à respecter le choix des urnes.

Une stabilité illusoire et un avenir incertain


Alors que les résultats officiels doivent être proclamés d’ici le 26 octobre, seul le Conseil constitutionnel étant habilité à les annoncer l’incertitude politique se mêle à une fatigue nationale palpable.


Le gouvernement a mis en garde contre toute publication de résultats parallèles, tandis que certaines plateformes citoyennes et candidats de l’opposition affirment disposer de compilations indépendantes.


Dans ce contexte la crainte d’un scénario de contestation post-électorale n’est pas à écarter.

La question essentielle dépasse désormais le simple résultat du scrutin, elle touche à la nature même du pouvoir et à la possibilité d’une transition politique crédible.


Si Paul Biya venait à achever ce mandat il atteindrait l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans un record mondial pour un chef d’État en exercice.


Cette situation illustre la personnalisation extrême du pouvoir et l’absence d’un cadre institutionnel capable d’assurer une succession apaisée sans effondrement de l’ordre établi.


Plus qu’une élection, cette présidentielle agit comme un miroir dans lequel le Cameroun se regarde et se découvre vieilli, fatigué, mais encore debout.


Les jeunes espèrent un changement mais redoutent l’instabilité. Les anciens craignent le vide mais reconnaissent la lassitude collective. Le pays tout entier semble suspendu entre mémoire et espérance, entre continuité et besoin vital de renouveau.


Et tandis que le dépouillement se poursuit dans un calme mêlé de résignation les Camerounais savent que quelle que soit l’issue officielle, la véritable bataille ne sera pas celle des urnes mais celle du futur entre un pouvoir qui s’accroche et une société qui aspire à respirer enfin.


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