Algorithme du génocide : pourquoi YouTube supprime ces vidéos ?

12:457/11/2025, vendredi
MAJ: 7/11/2025, vendredi
Ersin Çelik

À Gaza, ce ne sont pas seulement des vies qui sont détruites : les vidéos qui transmettent le cri d’une mère ensevelissant son enfant ne restent plus en ligne que quelques heures. Pourquoi ? Parce que les images de la destruction, des morts civils et des enfants extraits des décombres se heurtent aux algorithmes de YouTube. Ces vidéos montrant Gaza sont, ces derniers jours, soit supprimées au prétexte d'une "violation des règles de la communauté" , soit retirées pour des raisons liées aux "sanctions"

À Gaza, ce ne sont pas seulement des vies qui sont détruites : les vidéos qui transmettent le cri d’une mère ensevelissant son enfant ne restent plus en ligne que quelques heures.

Pourquoi ? Parce que les images de la destruction, des morts civils et des enfants extraits des décombres se heurtent aux algorithmes de YouTube.


Ces vidéos montrant Gaza sont, ces derniers jours, soit supprimées au prétexte d'une
"violation des règles de la communauté"
, soit retirées pour des raisons liées aux
"sanctions"
. Autrement dit : les preuves visuelles de la réalité — et donc du génocide — sont effacées par YouTube, une plateforme qui compte des milliards d’utilisateurs.

Il ne s’agit pas d’un simple problème de censure. C’est une nouvelle forme de guerre visant la mémoire de l’humanité. Incapable de contrôler les perceptions par la force sur le terrain et sur de multiples fronts, l’État israélien transpose sa guerre vers des positions invisibles pour reprendre l’avantage. La stratégie de propagande internationale des sionistes, longtemps conduite via les médias classiques, la diplomatie et les lobbies — la
"Hasbara
" — s’est adaptée : depuis le 7 octobre, les contenus pro-Palestine sur Google, YouTube et Instagram ont été censurés, rendu moins visibles ou manipulés. La construction médiatique qui visait autrefois les écrans télé est désormais poursuivie dans la barre de recherche de Google : chaque mot sur la Palestine est broyé par des algorithmes.

YouTube, acteur majeur de l’écosystème Google, supprime donc, en même temps que des vidéos, les preuves du génocide. Tel était le but. Les plateformes numériques, nées il y a vingt ans sous la promesse de
"relier le monde"
, décident aujourd’hui qui peut parler et qui doit se taire.

La foi laissée aux algorithmes


Concrètement, que s’est-il passé ? Le compte YouTube d’Al-Haq, l’une des plus anciennes ONG palestiniennes de défense des droits humains, a été fermé le matin du 3 octobre après un simple e-mail. Aucune explication autre que :
"Vous avez enfreint nos règles de la communauté".
Dans la même période, des dizaines d'autres vidéos documentant les attaques contre des civils à Gaza ont été retirées. Les chaînes du Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et d’Al Mezan ont subi le même sort. Point commun : ces contenus documentaient des crimes de guerre attribués à Israël.

Des images montraient des équipes de défense civile fouillant entre les maisons détruites ou des enfants en pleurs dans les couloirs d’hôpitaux. Elles ont été qualifiées de "contenu violent" ou d’"infraction aux sanctions" et rendues invisibles.

Or ces images figuraient parmi les éléments les plus importants compilés par des instances citoyennes, comme le Gaza Tribunal, et devaient alimenter des dossiers qui pourraient un jour être examinés par des juridictions internationales. Ces preuves, dignes de rapports de
"redevabilité"
des Nations unies, ont été effacées en quelques secondes. La porte-parole de YouTube s’est contentée d’affirmer, avec l’impudence des officiers d’un Etat accusé de crime de guerre :
"Google s’engage à respecter les sanctions en vigueur"
, légitimant ainsi la suppression.

La question fondamentale demeure : une entreprise technologique peut-elle, au nom des intérêts politiques des États qu’elle sert, confisquer les droits de milliards d’utilisateurs ? Techniquement non — mais, comme on le voit, rien ne l’empêche de le faire. Résultat : l’existence ou non d’une preuve audiovisuelle de crimes de guerre dépend aujourd’hui non pas des juristes, mais de la clémence des algorithmes.


Ce n’est pas seulement de la censure : c’est l’extermination de l’extermination


Il convient de répéter : les guerres d’aujourd’hui se gagnent aussi ou surtout dans les moteurs de recherche. Les plateformes numériques ne sont pas de simples entreprises technologiques ; elles opèrent comme des ingénieries de la mémoire. Elles décident qui sera rappelé et qui sera effacé. La censure digitale devient plus efficace que la propagande classique : elle rend invisible, elle supprime sans trace, elle fait oublier.


Sous le prétexte de
"neutralité"
, cette opération de nettoyage numérique protège en réalité les auteurs du crime. La suppression des vidéos tournées par le journaliste Salih el-Caferani, égorgé pour avoir documenté la résistance de Gaza, sert la même logique perverse :
Israël tue les corps, YouTube efface les témoignages.
La vérité elle-même devient vulnérable ; les images qui la portent doivent désormais être défendues.

Le constat est glaçant : un jeune qui filme la réalité avec son téléphone portable peut voir son témoignage disparaître en quelques secondes, supprimé par un algorithme sans compassion. L’algorithme n’a ni humanité ni indulgence. Alors que ce jeune tente, dans un dernier sursaut d’humanité, d’enregistrer la vérité, la
"machine sioniste"
numérique détruit ce qui reste de cette humanité en le jugeant
"inapproprié".

Il faut retrousser nos manches


Que faire ? Nous ne pouvons pas nous résigner au silence. YouTube peut effacer les archives ; mais la suppression numérique ne doit pas signifier l’oubli. La préservation des preuves n’est pas uniquement une tâche technique réservée aux journalistes : avocats et observateurs doivent se mobiliser pour défendre la mémoire.


Anadolu Agency
a pris une initiative notable en documentant les crimes de guerre à Gaza sous le titre
"Preuve"
et en publiant un ouvrage. Ce corpus pourrait, face aux politiques de suppression des plateformes complices, constituer une alternative internationale d’archivage. À l’image du Gaza Tribunal, il est plus que nécessaire de créer une structure civile qui collecte, protège et analyse les images — qu’elles aient déjà été publiées ou restent à exfiltrer — et qui produise des rapports utilisables juridiquement. Il est temps de retrousser nos manches.

Des choix qui s’annoncent


Je veux ouvrir ici un débat crucial : bientôt, ce seront aussi des utilisateurs ordinaires, qui s’indignent pour Gaza, qui risqueront d’être sanctionnés par les plateformes. Les algorithmes, conçus et calibrés par des forces pro-israéliennes depuis longtemps, nous fichent désormais non comme
"utilisateurs"
mais comme des
"restes de Gaza"
. Les suppressions, restrictions et la baisse d’engagement ne sont que des étapes dans la mise au point d’un
"algorithme du génocide"
. Ces mesures testent aussi la loyauté des utilisateurs envers les plateformes.

Bientôt, la stratégie israélienne visant à étendre la guerre à l’ensemble de l’humanité via les réseaux sociaux pourrait se déployer pleinement. Le temps des choix approche : se tairons-nous devant les
"règles de la communauté"
ou résisterons-nous, non pas pour des likes, mais pour la sauvegarde de la mémoire — en likant, partageant, mais surtout en stockant et en protégeant ces preuves ?
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