Balfour, l’abolition du Califat, la création d’Israël et l’éveil de l’idée d’Union islamique

11:0917/11/2025, Pazartesi
MAJ: 17/11/2025, Pazartesi
Yasin Aktay

La création de l’État d’Israël et la disparition du califat musulman présentent une corrélation historique frappante. La Déclaration Balfour, qui prévoyait l’établissement d’un État juif en Palestine, implicite déjà l’idée qu’un tel projet serait impossible tant que le calife existerait. C’est pourquoi l’abolition du Califat constituait une étape nécessaire dans le processus qui allait mener à la fondation d’Israël. Le fait que les acteurs principaux ayant contribué aux défaillances sur le front

La création de l’État d’Israël et la disparition du califat musulman présentent une corrélation historique frappante. La Déclaration Balfour, qui prévoyait l’établissement d’un État juif en Palestine, implicite déjà l’idée qu’un tel projet serait impossible tant que le calife existerait.


C’est pourquoi l’abolition du Califat constituait une étape nécessaire dans le processus qui allait mener à la fondation d’Israël.

Le fait que les acteurs principaux ayant contribué aux défaillances sur le front palestinien aient ensuite joué un rôle de premier plan dans le nouvel ordre politique dépourvu de Califat illustre la continuité de cette histoire. Si les faiblesses — difficilement explicables autrement que par l’intention — des officiers ottomans lors de la chute de Gaza puis de Jérusalem n’ont pas été interrogées, c’est sans doute que la scène, observée sous cet angle, ne laisse guère de mystère.


Comme souvent, ceux qui ont fait perdre la guerre ont aussi détruit les autorités devant lesquelles ils auraient dû répondre de leurs actes, se construisant ainsi le rôle de vainqueurs honorables. Gaza, qui avait résisté bravement aux deux premières attaques britanniques, fut vaincue lors de la troisième non pas par faiblesse des soldats, mais par celle de leurs commandants.


Quant à la retraite vers Jérusalem, où les troupes quittèrent la ville sans combattre afin de ne pas porter atteinte à son patrimoine spirituel, historique et architectural, elle ne pouvait être considérée comme un acte de noblesse. Pourtant, c’est ainsi qu’on l’a présentée. En réalité, tout se déroulait conformément au scénario écrit par ceux qui avaient proclamé la Déclaration Balfour — et certains membres de l’armée ottomane jouaient simplement le rôle qui leur avait été attribué.


La Türkiye a, jusqu’en 1948, mené une politique totalement détachée de ces terres. Aucun droit n’y a été revendiqué, aucune inquiétude portée. On inventa des récits d’une prétendue trahison arabe afin de dissimuler les véritables trahisons et d’imposer à la société une forme de ressentiment pour justifier cette indifférence. Sous le régime du parti unique, où le peuple n’avait aucune voix, La Türkiye fut l’un des premiers pays à reconnaître Israël, en mars 1949, quelques mois après sa création.
Comme toutes les politiques du CHP de l’époque : "malgré le peuple".

Dans ces conditions, le peuple pouvait-il seulement protester contre une décision politique ?

Israël, l’éveil du monde islamique et la renaissance d’une idée


Si l’abolition du Califat et la création d’Israël sont liées, un autre phénomène, presque ironique, leur correspond également : l’éveil de l’idée d’un monde islamique uni. Le vide laissé par la disparition du Califat avait déjà donné naissance à des mouvements transnationaux comme les Frères musulmans et le Jamaat-e-Islami, dont le premier s’est particulièrement illustré en envoyant des volontaires lors des guerres arabes contre Israël.


Au niveau étatique aussi, Israël — malgré sa nature perçue comme néfaste — a indirectement conduit à certains développements positifs. La réaction du roi Fayçal d’Arabie saoudite après l’incendie de la mosquée Al-Aqsa, lorsqu’il entreprit de mobiliser l’ensemble du monde musulman et convoqua la Conférence islamique (OCI), a permis de rappeler l’existence d’un axe politique islamique dans l’ordre international d’après le Califat.
Devenue par la suite l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), cette structure — malgré ses limites actuelles — a rappelé à de nombreux pays musulmans, souvent colonisés après la chute du Califat, leur responsabilité de représenter leurs peuples et leurs aspirations.

Cette responsabilité, bien que souvent mal assumée, constitue un sujet d’épreuve et d’interrogation pour ces États. C’est un minimum indispensable. Car un principe sociologique demeure : les agressions renforcent l’identité collective, alimentent la solidarité et ravivent l’esprit de cohésion. L’agression sioniste et la résistance palestinienne, jamais interrompue, ont constamment nourri ce ressort. Grâce à cela, même des pays africains musulmans dont les liens étaient peu développés à l’époque du Califat se sont engagés dans l’idée d’Union islamique.


Comment l’OCI a fait basculer 30 pays africains


Depuis sa création, Israël a joué un rôle actif en Afrique, en particulier dans les années 1950 et 1960, profitant de ses liens avec l’Occident et de son discours sur
"la coopération agricole et le développement"
. Tel-Aviv a établi des relations diplomatiques avec plus de trente pays africains, apporté un soutien technique et éducatif, et soutenu certains régimes nouvellement indépendants. En parallèle, les relations arabo-africaines sont restées limitées.

Le tournant fut la guerre d’octobre 1973. Cette guerre permit aux pays africains de comprendre la nature réelle du conflit arabo-israélien. Sur ordre du roi Fayçal, les pays arabes utilisèrent le pétrole comme un moyen de pression contre les nations occidentales soutenant Israël, démontrant ainsi leur poids économique et politique.


Les pays africains en conclurent que leurs intérêts ne se situaient pas aux côtés d’Israël — perçu comme ennemi des peuples du Sud global, y compris d’Afrique — mais aux côtés du bloc arabo-islamique.


Ainsi, plus de vingt-cinq pays africains rompirent leurs relations diplomatiques avec Israël entre 1973 et 1974. Parmi eux :
le Tchad, l’Ouganda, le Niger, le Mali ou encore le Congo
. Après 1973, les adhésions africaines à l’OCI fondée en 1969 se multiplièrent :
Sénégal, Guinée, Mali, Nigeria, Niger, Tchad, Soudan, Somalie, Gambie, Sierra Leone, entre autres.

Des motivations religieuses, mais aussi politiques et stratégiques


Les motivations n’étaient pas uniquement religieuses :


  • renforcer la coopération avec le monde arabo-islamique,
  • accéder aux fonds arabes et islamiques (Banque islamique de développement, Fonds du Koweït, etc.),
  • obtenir une protection diplomatique face aux pressions occidentales ou israéliennes.

En conséquence, les ambassades israéliennes fermèrent progressivement et furent remplacées par des mécanismes d’aide et de développement portés par les pays arabes et musulmans. Israël tenta de revenir en Afrique dans les années 1980 et 1990, notamment après les accords de paix avec l’Égypte puis Oslo.


Aujourd’hui, après les événements du 7 octobre, Israël a de nouveau démontré, par son agressivité génocidaire, qu’il représente une menace pour l’ensemble du monde islamique
— renforçant ainsi l’idée d’Union islamique qu’il souhaitait précisément empêcher. En voulant enterrer définitivement cette idée, il n’a fait qu’éveiller un géant endormi. Qu’il en assume les conséquences.
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