Israël sera-t-il jugé à Istanbul ?

09:5427/10/2025, lundi
MAJ: 27/10/2025, lundi
Yasin Aktay

Le forum de Gaziantep intitulé "Où va le monde islamique ? " a ouvert ses travaux par un panel cherchant à répondre à la question suivante : "Le système mondial a-t-il perdu sa légitimité ?" Après Gaza, la légitimité de ce système global est devenue plus contestée que jamais. Pourtant, réduire la crise mondiale à une simple question de légitimité n’est peut-être pas si pertinent. Car la légitimité ne découle pas de la force, mais de l’acceptation. Quand la force remplace la légitimité Alors que

Le forum de Gaziantep intitulé
"Où va le monde islamique ?
" a ouvert ses travaux par un panel cherchant à répondre à la question suivante :
"Le système mondial a-t-il perdu sa légitimité ?"

Après Gaza, la légitimité de ce système global est devenue plus contestée que jamais. Pourtant, réduire la crise mondiale à une simple question de légitimité n’est peut-être pas si pertinent. Car la légitimité ne découle pas de la force, mais de l’acceptation.


Quand la force remplace la légitimité


Alors que nous débattons de la fin de la légitimité du système mondial, les faits montrent que les puissances que l’on disait
"à bout de souffle"
continuent d’imposer respect et influence. Avons-nous manqué quelque chose ? Cherchons-nous la légitimité au mauvais endroit ?

Pour y voir plus clair, prenons quelques scènes concrètes. La première se déroule en Syrie, théâtre des crimes du régime des Assad père et fils. Après soixante ans de répression sanglante, d’un million de morts, de quinze millions de déplacés, et d’un appareil d’État transformé en empire mafieux exportant sa propre drogue, le régime syrien a pourtant continué de parler au nom du pays à l’ONU.


Et lorsque sa survie fut confirmée après quatorze années d’isolement, le monde arabe et même plusieurs pays européens se sont empressés de renouer des relations.


Ainsi, Bachar al-Assad a retrouvé sa légitimité non pas en changeant de politique, mais simplement en démontrant qu’il n’avait pas été renversé. Pourtant, lors de sa chute le 8 décembre, la face la plus illégitime du régime est apparue au grand jour. En quelques jours, celui qu’on disait
"terroriste"
, le chef de la résistance Ahmad al-Sharaa, a été retiré des listes noires américaines pour devenir le nouveau dirigeant reconnu de facto. Qu’est-ce donc qui fait ou défait la légitimité ?

De Kaboul à Bakou : la légitimité redéfinie


Deuxième scène : l’Afghanistan. Le mouvement taliban, considéré pendant vingt ans comme illégitime et terroriste, a vaincu les États-Unis et leurs alliés, les contraignant à quitter le pays. Aujourd’hui, même s’ils ne sont pas officiellement reconnus, personne ne doute que le pouvoir réel et légitime à Kaboul est entre leurs mains.


Autre exemple : l’intervention décisive de la Türkiye au Karabakh. Alors que les institutions internationales — l’ONU ou le groupe de Minsk — ont laissé ce conflit pourrir pendant trente ans, Ankara a permis à l’Azerbaïdjan de mettre fin à l’occupation. De même en Libye, où son action a empêché l’effondrement total du pays.


Enfin, la dernière scène : celle de Charm el-Cheikh, où les dirigeants européens et arabes entouraient Donald Trump. Peut-on, en voyant ces images, affirmer que l’hégémonie américaine, aujourd’hui symbolisée par le trumpisme, a perdu toute légitimité ? Rien n’est moins sûr. La question est bien plus complexe.


Gaza Tribunal : juger Israël à Istanbul


L’État d’Israël, reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, continue pourtant d’être traité par les États-Unis comme un acteur légitime.
Si le système mondial était cohérent avec ses propres principes, Israël n’existerait plus sous sa forme actuelle, et subirait les mêmes sanctions que l’Allemagne après la Shoah.

Le système global, privé de toute cohérence rationnelle, juridique ou morale, continue d’imposer sa
"légitimité"
par la seule force. Mais cela ne doit pas l’exempter d’un jugement symbolique. Et quel lieu serait plus approprié qu’Istanbul pour accueillir un tel procès — ville chargée d’histoire, de conscience et d’esprit universel ?

C’est dans cet esprit qu’a été organisé à Istanbul le "Gaza Tribunal", une initiative indépendante réunissant juristes internationaux, ONG et médias pour enquêter sur les crimes commis par Israël à Gaza. Durant quatre jours, plus de 250 crimes documentés de génocide ont été examinés à l’Université d’Istanbul. Témoignages, rapports et preuves ont été enregistrés et présentés. Le tout a révélé, dans le détail, l’étendue des crimes israéliens contre l’humanité.

Témoignages, preuves et révélations


Des journalistes du collectif
"Witness Eye"
ont insisté sur l’importance de préserver les témoignages visuels des survivants.
Les représentants de MAZLUMDER et des associations de défense des droits humains ont rappelé :
"Nous ne faisons pas que documenter l’histoire à la télévision. Nous en sommes les témoins directs."

L’Union internationale des juristes a remis au Tribunal treize rapports détaillés, compilés sur plus de 700 jours, concernant les attaques contre civils, journalistes et institutions à Gaza.


L’une des révélations les plus choquantes fut celle du prélèvement systématique d’organes sur les corps des Palestiniens faits prisonniers puis rendus sans organes internes. Israël, déjà reconnu comme un État criminel, se révèle ici dans sa forme la plus abjecte : celle d’une véritable mafia d’organes.

Autre crime : la destruction volontaire des terres agricoles et le comblement des puits afin de condamner les habitants à une famine et à une soif prolongées. Deux exemples parmi les 250 crimes documentés.


Une justice symbolique, un message universel


Créé comme une initiative indépendante, le
"Gaza Tribunal"
se définit comme un tribunal de la conscience. Son premier sommet international s’est tenu à Londres, sous la présidence de l’ancien rapporteur spécial de l’ONU Richard Falk, entouré de personnalités telles que Michael Lynk, Hilal Elver, Raji Sourani, Susan Akram, Ahmet Köroğlu, Diana Buttu, Cemil Aydın et Penny Green.

Parmi les membres du tribunal figurent de nombreuses figures intellectuelles et militantes du monde entier :
Ilan Pappé, Jeff Halper, Ussama Makdisi, Ayhan Çitil, Cornel West, Avi Shlaim, Naomi Klein, Aslı Bali, Mahmood Mamdani, Craig Mokhiber, Hatem Bazian, Mehmet Karlı, Sami Al-Arian, Frank Barat, Hassan Jabareen, Willy Mutunga, Victor Kattan, Victoria Brittain, et bien d’autres.

Les audiences du Gaza Tribunal ont aussi donné lieu à des conférences, concerts et expositions, renforçant la dimension culturelle et humaine de cette initiative. Un événement remarquable, intelligent et porteur de sens — un hommage à tous ceux qui, à Istanbul et ailleurs, continuent de croire en la justice des peuples.

#Israël
#Gaza Tribunal
#crimes de guerre
#La Türkiye
#légitimité
#ONU
#justice internationale
#Richard Falk
#Ilan Pappé
#organes
#MAZLUMDER
#Witness Eye
#humanité
#résistance
#Istanbul