Sondage Ifop sur les musulmans: une enquête islamophobe
David Bizet
18:0319/11/2025, Çarşamba
Yeni Şafak
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Crédit Photo : AA / AA
Manifestation contre l'islamophobie à Paris, le 11 mai 2025. L'Ifop a fait paraitre un rapport sur les musulmans en France en 2025.
Le sondage Ifop 2025 sur les musulmans de France illustre les dérives d’une méthodologie qui fabrique le problème qu’elle prétend mesurer. Depuis quarante ans, les instituts posent exclusivement aux musulmans des questions floues sur "charia", "islamisme" ou "intégrisme", sans jamais les définir. Cette asymétrie nourrit une suspicion spécifique envers cette population, alors même que des données positives, comme la progression massive de la liberté de conscience, restent ignorées. En ciblant uniquement les musulmans, ces enquêtes construisent un faux problème et alimentent un récit islamophobe sous couvert de neutralité scientifique.
L
'enquête Ifop 2025 sur les musulmans de France
, abondamment relayée dans les médias mainstream, s'inscrit dans une longue tradition de sondages qui fabriquent de toutes pièces le "problème" qu'ils prétendent objectivement observer.
Derrière l'imposant appareil méthodologique, les échantillons représentatifs et les pourcentages brandis comme des vérités absolues, se cache en réalité une démarche profondément biaisée qui participe à la construction d'un discours islamophobe structurel en France.
Cette enquête, menée sur un échantillon d'environ 1000 musulmans, se présente comme un "état des lieux" neutre et scientifique. Pourtant, dès les premières lignes du rapport, le vocabulaire employé révèle son orientation idéologique:
"réislamisation", "tentation islamiste", "progression préoccupante", "adhésion aux thèses islamistes"
.
Ces termes, loin d'être neutres, inscrivent d'emblée l'analyse dans un cadre interprétatif alarmiste où la pratique religieuse musulmane est systématiquement perçue comme une menace.
Sondage Ifop: 40 ans de questions floues et stigmatisantes posées uniquement aux musulmans
Depuis maintenant quatre décennies, les instituts de sondage français interrogent de manière obsessionnelle et répétitive les musulmans sur leur rapport à des notions aux contours délibérément flous:
Ces termes, dont les définitions varient considérablement selon les locuteurs, les contextes politiques et les époques, sont systématiquement employés dans ces questionnaires sans jamais être précisément définis pour les personnes interrogées.
Une obsession révélatrice
Cette absence de définition n'est pas anodine. Elle permet aux sondés de projeter leurs propres représentations sur ces termes, tandis que les médias et les commentateurs peuvent ensuite interpréter les résultats selon leurs propres grilles de lecture, généralement les plus alarmistes. Qu'est-ce que
"l'islamisme"
pour un musulman interrogé par téléphone ? Est-ce le fait de manger halal ? Considérer comme légitime d'avoir des revendications au nom du principe républicain d'égalité ? La simple volonté de vivre selon ses principes religieux ? Le port du voile ? Le terrorisme ? Le rapport ne le précise jamais.
Intégrisme, charia, islamisme... des termes jamais définis
Prenons l'exemple de la
"charia"
, terme brandit régulièrement dans ces sondages comme un épouvantail. Le
rapport Ifop 2025
affirme que 46% des musulmans estiment que
"la loi islamique doit être appliquée dans les pays où ils vivent"
. Ce chiffre, sorti de son contexte méthodologique, a été immédiatement repris par les médias comme preuve d'une volonté de renverser la République et ses lois.
Pourtant, qu'est-ce que
"la charia"
pour les personnes interrogées ? Le terme recouvre une réalité extrêmement diverse selon les individus et les courants de l'islam. Pour certains, il s'agit simplement du droit de respecter les prescriptions alimentaires (manger halal), de jeûner pendant le Ramadan, de se marier religieusement ou d'hériter selon les règles islamiques dans le cadre familial privé.
Pour d'autres, il peut effectivement renvoyer à un système juridique complet. Mais le sondage ne fait aucune distinction.
De plus, la formulation même de la question est problématique:
"en partie, en l'adaptant aux règles du pays où l'on vit"
(31% des réponses) suggère précisément une volonté d'accommodement et de compatibilité avec le droit français, et non une opposition frontale. Mais cette nuance disparaît totalement dans le traitement médiatique.
Les "musulmans intégristes"
Autre terme pointé dans l'analyse de ce sondage,
"l'intégrisme"
. Un terme qui pose problème puisqu'il renvoie à un courant particulier de l'Eglise catholique. Paradoxalement, lorsque l’on évoque aujourd’hui le mot
"intégrisme"
, il est presque systématiquement associé aux musulmans, comme si le phénomène n’existait que dans les communautés musulmanes.
Cette réduction pose un problème d’analyse. Parler de
"
musulmans intégristes" comme d’une catégorie homogène a autant de logique que d’évoquer des "catholiques sunnites". Un mélange des concepts sans rapport qui produit une lecture biaisée des réalités religieuses.
Et cela montre la volonté de calquer l'histoire douloureuse de la séparation de l'Eglise catholique et de l'Etat avec l'Islam. Aligner sémantiquement l'Eglise régnante pendant plusieurs siècles avec la religion d'une partie de l'immigration issue de l'empire colonial montre un totale décalage et une obsession.
Le débat public gagnerait à travailler sur une sémantique rigoureuse.
Une asymétrie méthodologique qui en dit long
Autre problème, ces mêmes questions ne sont
jamais posées aux chrétiens ou aux juifs
dans les enquêtes les concernant. Cette asymétrie est fondamentale et révélatrice de la nature même de ces sondages.
Imagine-t-on un institut de sondage demander aux catholiques français:
"
Considérez-vous que les dix commandements doivent primer sur les lois de la République ?" ou "Estimez-vous que les encycliques papales sur le mariage, la contraception ou l'avortement doivent être appliquées en France, même si elles contredisent la loi française ?"
Pourtant, ces questions seraient parfaitement comparables à celles posées aux musulmans.
Interroge-t-on régulièrement les juifs pratiquants sur leur rapport à la Halakha et si elle doit primer sur le droit français ? Leur demande-t-on s'ils souhaitent appliquer les prescriptions du Lévitique en matière d'alimentation, de relations sexuelles ou de droit familial ? Bien sûr que non. Et personne ne songerait à qualifier d'"intégristes" les juifs qui respectent strictement les règles du casher ou observent rigoureusement le shabbat et règlent leurs problèmes dans les tribunaux rabbiniques.
Cette double asymétrie – dans les questions posées et dans l'interprétation des réponses – révèle que ces sondages ne mesurent pas objectivement des pratiques religieuses, mais participent à la construction d'une altérité menaçante. Seuls les musulmans sont présumés poser un problème de loyauté républicaine. Seule leur pratique religieuse est systématiquement interprétée comme un signe de "communautarisme" ou de "séparatisme".
L'explosion de l'athéisme: la grande absente du débat médiatique
Le
rapport Ifop 2025
présente fièrement son premier graphique montrant l'évolution du paysage religieux français sur quarante ans. Les musulmans seraient passés de 0,5% de la population en 1985 à 7% en 2025.
Ce chiffre est immédiatement instrumentalisé dans les médias comme preuve d'une
"islamisation"
de la France.
Pourtant, ce même graphique révèle une donnée bien plus spectaculaire que les médias se gardent bien de commenter:
les personnes sans religion sont passées de 13% à 37,5%
de la population française, soit une multiplication par près de trois en quarante ans. Autrement dit, l'évolution la plus massive du paysage religieux français n'est pas la progression de l'islam, mais
l'explosion de l'athéisme et de l'agnosticisme
.
Parallèlement,
le catholicisme s'est effondré
, passant de 83% à 43% de la population. C'est cette double dynamique, sécularisation massive et déchristianisation accélérée, qui caractérise réellement la transformation religieuse de la France contemporaine.
L'opinion des athées jamais sondée
Nous constatons également que les questions sur le rapport à la religion sont presque toujours adressées aux croyants, rarement aux athées. On interroge les musulmans sur les pratiques, les chrétiens sur les rites, les juifs sur les traditions. Mais les athées, eux, échappent largement à cette curiosité médiatique et institutionnelle.
On ne leur demande jamais ce qu’ils pensent des religions, des revendications cultuelles ou de la place du spirituel dans la société. Pourtant, si l’on posait véritablement ces questions, on découvrirait sans doute que
certaines positions athées figurent parmi les plus intolérantes à l’égard du fait religieux
.
En ne questionnant jamais les athées, on entretient une vision partielle et profondément biaisée du rapport collectif au religieux.
Un raisonnement simpliste appliqué uniquement aux musulmans
Les médias et les politiques qui récupèrent ce sondage développent un raisonnement d'une simplicité confondante
: "Il y a plus de musulmans en France, donc il y a plus de problèmes liés à l'islam, donc l'islam est un problème."
Cette corrélation présentée comme une causalité évidente ne repose sur aucune démonstration rigoureuse.
Si l'on suivait cette même logique simpliste et fallacieuse, on devrait conclure que l'explosion du nombre d'athées en France, qui sont désormais
près de quatre fois plus nombreux
que les musulmans, devrait elle aussi avoir un lien de causalité.
Pourtant, aucun média ne titre: "Athéisme: une progression préoccupante qui menace la cohésion sociale." Aucun politique ne s'alarme de cette "athéisation" de la société française. Aucun institut de sondage ne produit d'enquête pour mesurer le degré d'"extrémisme athée" ou la "radicalisation laïciste" des Français sans religion.
Pourquoi ? Parce que tout le monde comprend que ce type de raisonnement est absurde. L'augmentation du nombre de personnes partageant une caractéristique donnée (religieuse, philosophique, politique) ne dit rien en soi sur les "problèmes" que cette population poserait.
Mais dès qu'il s'agit des musulmans, ce type de corrélation fallacieuse devient soudainement légitime et acceptable dans le débat public. Cette différence de traitement est précisément ce qui définit l
'islamophobie structurelle
: un double standard systématique appliqué aux musulmans et à eux seuls.
Des questions vagues qui ne prouvent rien
L'enquête Ifop affirme que
"38% des musulmans approuvent tout ou partie des positions islamistes"
. Ce chiffre, massivement repris dans les médias, est censé démontrer une
"adhésion croissante à l'islamisme"
. Mais on ne sait pas ce qu'il mesure ou ce qu'il prouve.
La question posée aux sondés évoque
"les islamistes"
sans jamais définir ce terme. Or, dans le débat public français contemporain,
"islamiste"
est devenu un terme fourre-tout dont l'usage est extrêmement variable et politisé. Pour certains, il désigne exclusivement les organisations terroristes. Pour d'autres, il englobe tout musulman pratiquant qui refuse de cantonner sa foi à la sphère strictement privée. Pour d'autres encore, il suffit qu'un individu ou une organisation soit qualifié d'
"islamiste"
par un média ou un député pour qu'il le devienne aux yeux de l'opinion.
Les "courants islamistes" selon l'Ifop
L'enquête, sans donner de définition de l'islamisme, a défini des
"courants islamistes".
Il faut le noter, c'est la première fois qu'il y a une tentative dans ce sens. Cependant elle est ratée. Premièrement, il est question de la mouvance des Frères musulmans sans savoir de quoi il s'agit: FM égyptiens, UOIF, courant qutbiste, CCIF... ou tout simplement ceux désignés comme tel ? Libre à chacun d'interpréter.
Deuxièmement, l'Ifop distingue le wahabisme du salafisme. On apprend donc en 2025 qu'il existerait des courants salafistes qui ne découlent pas des doctrines de Mohammed ibn Abdelwahhab et des adeptes de ce dernier qui ne se revendiquent pas de la salafiya. Pour les novices, c'est un peu comme dissocier le communisme du marxisme, le capitalisme d'Adam Smith ou le sionisme de Theodor Hertzl.
Salafisme, wahabisme, takfirisme, etc.
Dans le même ordre d'idée, lorsque le salafisme est évoqué, on ne sait pas duquel salafisme il est question. S'agit-il du salafisme madkhaliste, du salafisme sururiste, du salafisme sahwiste ? On ne sait pas. On constate juste que le djihadisme et le takfirisme, des courants d'ordinaire issus du salafisme, en ont été dissociés. Pourquoi l'Ifop a mis à part ces branches du salafisme ? Aucune idée. Peut-être n'y connaissent-ils simplement rien.
De même, l'
Ifop
opère une distinction entre le
takfir
et le
djihadisme
. Outre le fait que le takfir en soit est un mot et pas un mouvement (les étudiants en L1 qui ont bossé sur le sujet au minimum deux heures parleraient de
takfirisme
), il convient de s'interroger sur cette distinction. Est-ce que, dans l'univers mental de l'Ifop, il existerait des djihadistes non takfiris, et des takfiris opposés au djihadisme ?
Le prosélytisme ciblé ?
On voit aussi que le
mouvement tabligh
, courant apolitique originaire du sous-continent indien, figure dans la liste des
"courants islamistes".
Serait-ce pour leur tenue, leur prosélytisme, leur discours ? On ne sait pas non plus.
Le tabligh est le premier courant prosélyte de France, et même d'Europe voir du monde. Si l'Ifop amalgame l'
"islamisme"
et le prosélytisme, alors ce serait remettre en question la liberté du culte.
Le cercle des islamistes disparus
On constate également que plusieurs mouvements religieux musulmans sont absents des critères de l'islamisme retenus par l'Ifop. On voit qu'il n'y a aucune mouvance d'origine turque recensée, alors que d'ordinaire les médias français ne cessent de rappeler
"l'islamisme politique"
de plusieurs groupes liées à la communauté turque. Les Turcs ne seraient donc plus des
"islamistes"
ou les a-t-on simplement oublié ? On ne saura pas.
Tous les courants qui appellent à une revification sociale de l'islam mais liés au soufisme n'apparaissent pas non plus. Est-ce que l'Ifop les considère comme des "Fréristes" bien qu'ils combattent historiquement les Frères musulmans, ou bien est-ce que cela ne compte pas ? On ne saura pas.
Vous l'aurez compris, "islamisme" est le nouveau mot à la mode qui fait peur et les "grands experts" sont toujours incapables de nous dire de quoi il s'agit.
L'islamisme politique, qu'est-ce que c'est ?
Dans son rapport, l'Ifop gnose que
"l'islamisme politique s'impose en effet aujourd'hui comme un courant de pensée largement diffusé au sein de la population musulmane française."
Il est vrai le rapport susmentionné fait mention à plusieurs reprises au concept d'
"islamisme politique"
, mais sans toutefois nous dire, là encore, de quoi il s'agit. Aucun parti politique explicitement pour l'islam n'est mentionné. Aucune mention du
hizb Tahrir,
qui prône pourtant le retour du Califat par les urnes. Aucune mention des partis d'orientation islamiques présent en Europe ou dans les pays d'origine musulmans comptant une diaspora en France.
Crédit Photo : Ifop / Ifop
Extrait du rapport du sondage de l'Ifop sur l'islam et "l'islamisme" de 2025
Entrisme et séparatisme
Mais également aucune mention des initiatives politiques locales de la communauté musulmane, hormis le fait que le fait d'essayer de vouloir se rassembler pour exister politiquement serait de l'entrisme ou du séparatisme, en fonction de la forme que cela prendrait.
L'Ifop avalise donc le fait que les musulmans ne seraient pas en droit d'avoir des revendications et de représenter un corps constitué.
Les musulmans de France seraient donc des citoyens de Schrödinger dans l'impossibilité d'exister dans l'arène politique: quand ils s'organisent entre eux, ce sont des séparatistes, et quand rejoignent des formations politiques, ils font de l'entrisme.
Le programme de l'islam politique
Toujours concernant la prétendue tentation d'un
"islamisme politique"
, l'Ifop conclue que
"38% des musulmans français déclarent approuver tout ou partie de leurs positions en 2025"
. Là encore, de quel programme s'agit-il ? Nous avons vu plus haut l'incapacité à mentionner une formation politique, qu'en est il du programme ? Qu'est-ce qu'un programme identifiable à
"l'islamisme politique"
? Parle-t-on de manger halal à la cantine, de couper les mains aux voleurs, de la création d'un espace économique islamique transnational ? Aucune idée, aucune indication. Le grand méchant loup va venir vous manger présenté comme un fait et une vérité absolue.
Crédit Photo : Ifop / Ifop
Infographie extraite du rapport de l'Ifop sur l'islam et l'islamisme en France
Cette imprécision délibérée permet ensuite tous les amalgames dans le traitement médiatique, où ces 38% sont immédiatement assimilés à des "sympathisants du terrorisme" ou des "ennemis de la République", terminologie régulièrement associée à l'islamisme.
Pour résumer
"l'islamisme"
et
"l'islamisme politique"
selon l'Ifop,
on ne sait pas de qui on parle, ni de quoi on parle. Il n'y aucun parti, aucun programme, mais la France est potentiellement en danger et le directeur du pôle politique de l'Ifop, François Krauss, conclue que
"cette enquête dessine très nettement le portrait d'une population musulmane traversée par un processus de réislamisation, structurée autour de normes religieuses rigoristes et tentée de plus en plus par un projet politique islamiste."
Une méthodologie douteuse
Outre l'absence de la définition des sujets abordés, les questions vagues et les conclusions rapides que l'on peut en tirer, d'autres aspects de cette étude montrent de sérieuses lacunes. Ces lacunes reflètent elles la volonté de nuire à l'image des musulmans en France ? Voyons cela.
Les évolutions occultées
L'
étude Ifop
contient plusieurs données qui contredisent frontalement le récit d'une
"radicalisation"
généralisée des musulmans français. Mais ces chiffres sont soit relégués en notes de bas de page, soit rapidement évacués, soit totalement ignorés par les médias qui reprennent l'enquête.
Exemple le plus frappant:
73% des musulmans estiment que leurs coreligionnaires ont le droit de quitter l'islam
, contre seulement 44% en 1989. C'est une progression absolument massive de 29 points en trente-six ans, qui témoigne d'une évolution libérale majeure sur une question fondamentale.
Le fait que près des trois quarts des musulmans de France considèrent que chacun est libre de quitter la religion est un indicateur d'intégration des valeurs de liberté de conscience. Cela est peut être aussi un marqueur d'une sécularisation des mentalités.
Pourtant, cette donnée est à peine mentionnée dans le rapport, et totalement absente du traitement médiatique. Pourquoi ? Parce qu'elle ne correspond pas au récit dominant que ces sondages cherchent à alimenter.
De même, l'enquête révèle que la consommation d'alcool s'est stabilisée à environ 20% depuis une dizaine d'années, après avoir baissé. Cette stabilisation pourrait être interprétée comme un signe que les pratiques trouvent un équilibre. Mais le rapport préfère insister sur le fait que
"les jeunes boivent moins"
, présenté comme un signe inquiétant de
"rigidification".
Une population hétérogène artificiellement homogénéisée
Les millions de musulmans en France ont des origines extrêmement diverses: Maghreb, Afrique subsaharienne, Türkiye, Moyen-Orient, Pakistan, Asie du Sud-Est, sans compter les convertis français de souche. Ils appartiennent à des courants théologiques différents, ont des niveaux d'éducation variés, exercent tous les métiers, vivent dans tous les types de territoires (grandes villes, banlieues, zones rurales).
Réduire cette immense diversité à une catégorie unique, "les musulmans", et leur prêter des opinions et des comportements homogènes relève déjà d'une essentialisation profondément problématique. C'est traiter des millions d'individus non comme des citoyens singuliers, mais comme les membres indifférenciés d'une communauté supposée monolithique.
Cibler uniquement les musulmans fabrique le problème
Mais au-delà de tous ces biais méthodologiques, le vice le plus profond de cette démarche réside dans son principe même:
le simple fait d'interroger exclusivement une population religieuse sur sa loyauté républicaine, son degré d'intégration et sa dangerosité potentielle fabrique le "problème musulman"
qu'elle prétend objectivement observer.
En produisant régulièrement, depuis quarante ans, des sondages qui ciblent spécifiquement les musulmans pour les soumettre à un interrogatoire sur leurs croyances, leurs pratiques et leur rapport aux lois de la République, on instaure une présomption de culpabilité collective. On construit dans l'imaginaire collectif l'idée qu'il existerait une incompatibilité intrinsèque entre islam et République, entre identité musulmane et identité française.
Cette présomption ne repose sur aucune base objective. Elle est le produit d'une construction médiatique et politique. Mais les sondages comme celui de l'Ifop viennent lui donner une caution scientifique, une apparence de légitimité quantitative.
Le message implicite de ces enquêtes est clair les musulmans sont un groupe à part, qu'il faut surveiller, mesurer, évaluer en permanence.
Ils ne sont pas des citoyens comme les autres, mais une population à risque, potentiellement déloyale, dont il faut régulièrement vérifier qu'elle ne représente pas une menace.
Les sondages, un dispositif de contrôle social
Ces sondages baisés aux méthodologies douteuses ne sont pas des outils neutres de mesure sociologique. Ils font partie d'un dispositif plus large de surveillance et de contrôle social d'une population stigmatisée. Ils s'inscrivent dans une longue tradition coloniale et post-coloniale de production d'un savoir sur l'Autre pour mieux le gouverner.
Avec ces sondages contemporains sur "les musulmans de France", il ne s'agit plus de justifier une domination coloniale, mais de légitimer des politiques de contrôle, de restriction des libertés et d'exclusion au nom de la défense de la laïcité et des valeurs républicaines.
Il est temps de refuser collectivement cette pseudo-science qui, sous couvert d'objectivité méthodologique et de rigueur quantitative, ne fait que légitimer et reproduire les préjugés anti-musulmans les plus grossiers.
Ces sondages ne nous apprennent rien sur "les musulmans". En revanche, ils nous en disent beaucoup sur l'islamophobie structurelle de la société française et sur les mécanismes de production d'une altérité menaçante.