Des partisans de l'opposition tunisienne participent à un rassemblement contre la prise de pouvoir du président Kais Saied et la crise économique dans le pays /Agence Anadolu
Inflation galopante, infrastructures fragiles, effondrement du pouvoir d’achat, les Tunisiens se retrouvent, à la veille d'un scrutin inédit, entre le marteau de gouvernements successifs qui ne répondent guère à leurs aspirations et l'enclume d'une crise économique aiguë et qui s'installe dans la durée.
Plus de 11 ans après un printemps dit "
arabe
", garni d’espoirs, les revendications des citoyens sont restées jusqu'à l'heure, lettre morte.
Des élections se tiennent, quasiment tous les ans, dans l'espoir de mettre en œuvre des réformes pour améliorer une situation asphyxiante pour une bonne partie de la population qui '
'voit presque tout en noir''.
Le pays de la
"révolution du Jasmin"
est en proie à une crise économique, sociale et politique sans précédent, où le chômage bat son plein, le déficit budgétaire se creuse et les investissements sont en berne.
Quelques jours séparent les Tunisiens des législatives, un quatrième scrutin législatif post-révolution.
Le premier rendez-vous électoral avait eu lieu en en 2011 s’est achevée par l'élection d'une Assemblée constituante. Une Constitution "
révolutionnaires
" fut alors promulguée en février 2014, suivie d'élections législatives en 2014 et en 2019.
Les élections de l'heure, qualifiées de ‘
’précoces’
’, surviennent dans un contexte de crise politique aiguë, notamment depuis le 25 juillet 2021, lorsque Saïd a imposé une série de
"mesures exceptionnelle",
avec notamment la dissolution du Parlement et du Conseil de la magistrature, la promulgation de lois par décret présidentiel, la destitution du chef du gouvernement et la nomination d’un autre à la place, l'adoption
d'une nouvelle Constitution par voie référendaire le 25 juillet et l'organisation d’élections législatives le 17 décembre 2022.
La Tunisie à l’épreuve d’une crise économique asphyxiante
La Tunisie à l’épreuve d’une crise économique asphyxiante
Depuis plusieurs mois, la frustration grandissante et le pessimisme dominent le pays. Les produits de base (lait, sucre blanc, pâtes) et de nombreuses denrées alimentaires manquent un peu partout.
Dans les rayons des grandes surfaces, les paquets de lait, les pâtes, le riz, sont fréquemment indisponibles et même lorsqu’ils le sont, se vendent à deux unités au maximum par client.
Des étals quasi-vides par moment, ces pénuries successives touchant divers produits sont devenues le pain quotidien des Tunisiens, qui vivent depuis des mois, à ce rythme et auquel ils essayent de s’adapter.
Le lait subventionné par l'Etat n’y est presque plus. En effet, ces perturbations d’approvisionnement ont touché plusieurs secteurs industriels, où plusieurs sociétés se sont retrouvées à l'arrêt, après des séries de ruptures.
Contraints de mettre la clé sous le paillasson, des commerçants, voire des familles entières, ont perdu leur gagne-pain.
D'ailleurs, cette situation a dégénéré, il y a un mois, avec des protestations dans certains quartiers populaires tels que Ettadhamen et Intilaka (périphérie ouest de la capitale) à l'initiative du mouvement Ennahdha et d'autres partis de l'opposition, ainsi qu'à travers le pays pour dénoncer la politique suivie par le président Kais Saied et son gouvernement, accusés, par certaines parties d'être à l'origine de cette crise économique.
En colère, les protestataires ont revendiqué des réformes urgentes et appelé au départ du Président, sur fond de dégradation de leurs conditions de vie.
Croisée dans les rues de Tunis au centre-ville, Zina Azizi, une Tunisienne résidente en Allemagne, a confié à l'Agence Anadolu qu’elle avait participé aux élections législatives de 2019 et qu’elle avait exercé son droit de vote, mais aujourd'hui,
elle n’a pas caché son hésitation à participer aux élections en raison de la situation qui ne cesse de se détériorer dans le pays à différents niveaux.
De son côté, Wissam Hamdi, journaliste interrogé par AA à l'Avenue Habib Bourguiba, a signalé que ''les élections législatives pourraient enregistrer des abstentions, contrairement aux élections précédentes qui se sont déroulées dans un contexte électoral marqué par des moments révolutionnaires''.
''Les élections sont organisées au mauvais moment, compte tenu de la situation économique et sociale particulière que traverse la Tunisie. Ce n'est pas le meilleur moyen pour améliorer la conjoncture actuelle''
, a avancé le journaliste.
Par ailleurs, Mohamed Boughanmi, un autre citoyen interrogé par AA, affirme ne pas être prêt à voter le 17 décembre. Il regrette d'avoir perdu confiance en toute la classe politique.
‘’
Les politiciens n’ont entraîné que des problèmes et des crises aux Tunisiens'', a-t-il martelé. Et d'ajouter, "nous avons appris par le passé que ces personnes veulent uniquement prendre le pouvoir et gagner des sièges au Parlement contre des salaires fixes’’.
Voter est un devoir
Voter est un devoir
En revanche, Mohamed, un septuagénaire, rappelle que
"participer aux élections est un devoir, et que chacun doit impérativement se rendre dans les bureaux de vote, le jour du scrutin''.
''Nous devons y répondre présent. Même par un vote blanc'', précise-t-il, notant que
"la situation difficile à laquelle nous sommes parvenus aujourd'hui est due à d'autres Tunisiens qui nous ont conduit à cette crise quand ils ont mal choisi leurs députés''.
Pour lui, l'échec de plusieurs gouvernements a créé chez la jeunesse tunisienne une réticence palpable à participer à la vie politique.
En octobre 2022, "
le taux d’inflation a enregistré une légère hausse pour s'établir à 9,2 % après avoir franchi les 9,1 % au mois précédent"
, et ce, dans un contexte de fluctuation continue en matière de disponibilité des produits de base locaux et de l'augmentation de leurs prix à l'échelle mondiale, selon l'Institut national de la statistique de Tunisie (INS, gouvernemental).
L’encours de la dette publique a atteint 107,8 milliards de dinars en Tunisie (34 milliards de dollars américains), ce qui représente 85,5% du PIB, à fin 2021 (Loi de Finances Rectificative 2021), selon le ministère des Finances.
La crise économique et sociale que traverse le pays a laissé des séquelles au niveau de la scène politique. La campagne électorale lancée le 25 novembre, indiffère et hilare la plupart des Tunisiens sur les réseaux sociaux, voire même nombre de politiciens qui ont choisi de boycotter ces élections.
Législatives : la classe politique boycotte
Législatives : la classe politique boycotte
Des forces tunisiennes ont dénoncé le décret-loi n°2022-55 du 15 septembre 2022 portant modification de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums émis par le chef d’Etat, qui, selon elles, n’a pas dialogué avec les partis et la société civile.
Selon le premier article du décret présidentiel, les électeurs sont appelés le samedi 17 décembre aux urnes pour élire les membres de la Chambre des représentants du peuple.
Les électeurs résidant à l'étranger choisiront leurs élus les jeudi, vendredi et samedi 15, 16 et 17, 2022.
En effet, cinq partis tunisiens ont annoncé leur boycott des élections législatives. Il s’agit du Parti républicain, le Parti travailliste, le Pôle démocratique moderniste, le Courant démocrate et le Forum démocratique pour le travail et les libertés, dans la capitale, Tunis.
Dans une ancienne déclaration accordée aux médias, le secrétaire général du Parti républicain, Issam Chebbi, a souligné que "
ces élections sont la dernière étape de l'agenda politique que Saied a tenté d'imposer après son coup d'État contre la Constitution et la légitimité".
Selon lui,
"la Tunisie n'est pas sur la voie électorale, exprimant en ce sens son rejet de cette voie qu’il a qualifiée de putschiste’’.
Le SG du Parti républicain a également rappelé que
"75 % des Tunisiens n'ont pas participé au référendum, la Constitution que Saied a imposée par la force du fait accompli est tombée donc politiquement, moralement et électoralement".
Interrogé par l’Agence Anadolu sur la situation en Tunisie, l’activiste et analyste politique Sleheddine Jourchi a expliqué que l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) a choisi l’escalade, en raison de l’instabilité sociale et politique qui règne dans le pays, mettant en garde contre un gouvernement
‘’sans vision’’
.
‘’La centrale syndicale a annoncé un bras de fer avec le gouvernement et la présidence. D’ailleurs, ce qui se passe dans différentes régions à travers le pays est témoin de cette crise économique aggravée par l’instabilité politique. Nous risquerons de vivre le pire, les jours à venir. Des manifestations massives seront organisées à travers le pays’’
, a-t-il indiqué.
A propos les éventuels changements au niveau de la scène résultant des élections, Jourchi a affirmé que ‘
’90% des parties de l’opposition cherchent à isoler politiquement le chef de l’Etat. Alors que les Tunisiens ne cessent d'appeler au départ de Kais Saied’’.
‘’Je ne pense pas que ces élections réussiront à faire sortir le pays du gouffre. Il ne s’agit plus d’événement national. C'est devenu ''une affaire présidentielle''. Il est évident que cette période enregistrera une escalade politique et populaire’’,
a-t-il martelé.
Et notre interlocuteur de poursuivre,
‘’à mon avis, ces élections sont un véritable fiasco. Outre, l’absence de plusieurs partis politiques et la société civile, une bonne partie des Tunisiens se sent lassée par la crise économique et des conflits politiques’’.
Notons également, que depuis le coup d’envoi de la campagne électorale, dit-t-il, un contingent de candidats méconnus ont pris place. Ils manquent de maturité politique, n’ont aucun poids sur la scène politique et leurs promesses ne seront jamais tenues.
‘’C’est un Parlement de pacotille, car aucune partie ne pourrait demander des comptes ou juger le président de la République et le gouvernement. C'est un Parlement unilatéral’
’, a conclu Sleheddine Jourchi.
1058 dossiers de candidature pour les législatives dont 122 femmes et 936 hommes ont été acceptés, selon l'ISIE. En effet, 161 députés seront élus à l’Assemblée des représentants du peuple. Deux semaines après, les Tunisiens connaîtront la deuxième figure du pouvoir après une séance plénière sous la Coupole du Bardo.
Ce scrutin uninominal qui réduit, entre autres, la présence de partis politiques sera organisé dans des 151 circonscriptions en Tunisie et dans 10 autres à l’étranger.
Les candidats au scrutin doivent suivre des critères d'éligibilité pour pouvoir être élu.
Les candidats au scrutin doivent suivre des critères d'éligibilité pour pouvoir être élu.
Pour y participer, il faut être Tunisien, âgé de 23 ans au moins, avoir un casier judiciaire vierge et résidant dans la même circonscription du vote. Le candidat est appelé à présenter un programme électoral et 400 parrainages, impérativement légalisés, selon l'ISIE.
En revanche, les membres du gouvernement, les magistrats, les gouverneurs, les chefs de missions diplomatiques et consulaires, les premiers délégués, les secrétaires généraux des gouvernorats, les imams, les délégués, les présidents des structures et associations sportives sont interdits d'y postuler.
#afrique
#tunisie
#législatives
#démocratie
#manifestation