Fatma Bouvet: “Le racisme en France tue psychologiquement”

David Bizet
16:046/08/2025, mercredi
Yeni Şafak

Dans une interview exclusive, la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve alerte sur les dégâts psychiques du racisme et de l’islamophobie en France. Elle raconte les souffrances de ses patients stigmatisés pour leur faciès, leur origine ou leur culture musulmane, qu’ils soient croyants, athées ou simplement "Arabes". Face à des médias déconnectés et des discours politiques dangereux, elle met en lumière une France solidaire, fraternelle et engagée, qui lutte contre les discriminations. Pour elle, psychiatres et citoyens doivent agir ensemble pour briser ce climat mortifère et redonner espoir à celles et ceux que la République marginalise.

Un Tour de France contre la haine ordinaire


Depuis plusieurs mois, Fatma Bouvet de la Maisonneuve sillonne la France. Psychiatre reconnue, auteure d’ouvrages sur les discriminations et les souffrances psychiques qu’elles engendrent, elle alerte sur une réalité trop souvent occultée : les dégâts psychologiques du racisme ordinaire.


"Ce qu'on voit dans nos cabinets devient une réalité sociologique"
, prévient-elle. À travers ce Tour de France, elle entend porter une parole de terrain, loin des représentations médiatiques anxiogènes.

Racisme anti-Arabe et islamophobie


"J’ai beaucoup de patients qui me disent : 'C’est ma gueule qui leur revient pas'."
Cette phrase, lâchée avec gravité par Fatma Bouvet de la Maisonneuve, résume l’ampleur du racisme de faciès en France.

Derrière elle, se cache un mal plus profond:
une stigmatisation systémique des personnes perçues comme Arabes ou musulmanes, qu’elles soient croyantes ou non.

Pour la psychiatre,
l’islamophobie est la continuité de l’arabophobie
, le racisme spécifique anti-arabe.

La psychiatre souligne une réalité que peu osent dire à voix haute : en France, l’islamophobie est non seulement présente, mais elle produit des troubles psychiques profonds, allant de l’anxiété chronique à des états dépressifs sévères.


Une réalité corroborée par le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) avant sa dissolution, qui expliquait que plus de 65 % des actes islamophobes visaient des femmes, et 92
% des victimes étaient d’origine arabe ou maghrébine.

Des chiffres aujourd’hui confirmés par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui note une hausse continue des actes racistes anti-arabes et une banalisation des discours islamophobes dans l’espace public, notamment à travers les médias et les réseaux sociaux.


Une pression psychique invisible


"Le mot 'diversité' m’irrite",
affirme-t-elle, dénonçant son usage biaisé et à sens unique.
"On parle de diversité uniquement pour les Noirs et les Arabes. Jamais un Français d’origine suédoise ou américaine ne sera qualifié ainsi."

Cette rhétorique, ajoute-t-elle, nourrit une hiérarchisation des citoyens, qui abîme le lien social et pousse les personnes issues de l’immigration post-coloniale à se vivre comme des citoyens conditionnels.


Dans ses consultations, elle observe des symptômes récurrents:
sentiment d’infériorité, perte de confiance, sentiment d’illégitimité dans les études ou au travail, douleurs somatiques inexpliquées
.

Le racisme ne tue pas seulement socialement. Il tue psychologiquement. Il épuise. Il ronge.

Plusieurs études récentes confirment ses observations cliniques. L’INSERM, en collaboration avec l’Observatoire des inégalités, a montré que les personnes victimes de discriminations raciales ont 2,5 fois plus de risques de développer des troubles anxieux sévères, et près de 3 fois plus de risques de souffrir de dépression.


Bouvet de la Maisonneuve insiste aussi sur les enjeux générationnels : des enfants grandissent dans une société où ils comprennent très tôt que leur prénom, leur religion ou la couleur de leur peau peuvent faire d’eux des suspects.
"Ils intériorisent le rejet. Et cela se paie très cher, en silence."

La psychiatre fait part de tout ce qu'elle a pu constater sur la question dans son ouvrag
e "Debout tête haute".


96% des victimes de racisme ne portent pas plainte


Bouvet de la Maisonneuve cite également un chiffre qui fait froid dans le dos: seuls 4% des victimes de racisme portent plainte.
"Que font les autres 96% ?
', interroge la psychiatre.

'"Jai ma petite idée, car j'en vois un certain nombre dans mon cabinet",
se répond-elle.

Fatma Bouvet en appelle aussi à la solidarité républicaine, en rappelant le rôle précieux de
"républicains franco-français"
engagés contre les dérives xénophobes.

"Certains me disent : 'Mes parents se sont sacrifiés pour ça, mes ancêtres sont morts pour ça'. Et aujourd’hui, ils ont peur pour nous. Ils sont à nos côtés."

Ces soutiens, souvent invisibilisés par le discours médiatique dominant, constituent pourtant une force vive dans la lutte contre le racisme.


Une mobilisation citoyenne ignorée


La psychiatre observe sur le terrain une
"mobilisation incroyable"
de citoyens de toutes origines, parfois sans lien avec l’immigration, qui défient les autorités locales pour imposer un dialogue et une solidarité concrète.
"Ce sont eux qui me portent"
, dit-elle avec émotion.

Ce soutien transpartisan, intergénérationnel, interculturel prouve que la France du vivre-ensemble est bien réelle, même si elle reste sous-représentée dans les médias.

"Le discours politique et celui de certains médias sont totalement déconnectés de cette réalité."
Elle déplore le fossé grandissant entre la parole citoyenne et les récits anxiogènes martelés sur les plateaux télévisés.

Pourtant, dans ses consultations, elle constate un quotidien fait de mélanges, de mariages mixtes, d'amitiés sincères entre Français de toutes origines.
"Ce mélange marche bien",
affirme-t-elle.

Le rôle des psychiatres comme lanceurs d’alerte


Face à ces constats, Bouvet de la Maisonneuve assume un rôle politique, au sens noble du terme : celui de lanceuse d’alerte.
"Nous, psychiatres, sommes des sentinelles. Ce que nous voyons en amont se transforme en problèmes sociétaux majeurs si rien n’est fait."

À ses yeux, les cabinets médicaux sont des observatoires privilégiés des fractures sociales.

Elle cite des sociologues qui confirment ses observations: un
"cosmopolitisme à la française"
existe bel et bien. Les couples mixtes, les enfants binationaux, les solidarités de voisinage sont des réalités quotidiennes.

"Mais ça ne fait pas de bruit. Parce que ça va bien. Et ce qui va bien n’intéresse pas les médias."

Son Tour de France est justement conçu comme une immersion dans cette France invisible. Loin des studios parisiens, elle écoute les récits de souffrance, mais aussi d’espoir, d’initiatives locales, de luttes concrètes contre la xénophobie.


"Tout n’est pas parfait. Mais on a tout pour vivre ensemble en France"
, martèle-t-elle. Le discours dominant, selon elle,
"n’est pas seulement irresponsable, il est dangereux collectivement et mortifère individuellement".

Il nourrit l’angoisse, l’hostilité, le sentiment d’insécurité, tout en invisibilisant la solidarité réelle sur le terrain.


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