Algérie: Discriminations au lycée français d'Alger, les parents inquiets

David Bizet
15:0415/04/2025, mardi
MAJ: 15/04/2025, mardi
Yeni Şafak
Le lycée international Alexandre Dumas d'Alger.
Crédit Photo : RMA Yapi / RMA Yapi
Le lycée international Alexandre Dumas d'Alger.

Les parents d’élèves du lycée Alexandre Dumas en Algérie dénoncent des atteintes à la liberté de culte, notamment l’interdiction du voile et des pratiques religieuses musulmanes. Ils pointent aussi une gestion opaque, des discriminations dans l’attribution des bourses et une ingérence juridique illégale. Des situations similaires ont été rapportées au Maroc, où des élèves voilées ont été exclues, et en Türkiye, où les lycées français sont accusés de ne pas respecter la législation locale. Ces affaires soulèvent des accusations de néocolonialisme et de mépris des lois des pays hôtes. Elles apparaissent comme un paradoxe à l’heure où la France exige des étrangers qu’ils respectent ses propres lois.

Lycée Alexandre Dumas d'Alger: les parents d’élèves tirent la sonnette d’alarme


Les associations de parents d’élèves des trois antennes du lycée international Alexandre Dumas en Algérie – Alger, Oran et Annaba – interpellent les autorités algériennes et françaises.


Ils dénoncent des pratiques qu’ils jugent contraires aux lois nationales et aux engagements bilatéraux. Une plainte officielle a été déposée à Alger pour exiger l’ouverture d’une enquête sur la gestion de l’établissement.


Lors d’un entretien accordé au journal local
El Khabar
, des représentants de parents d’élèves ont exposé des documents officiels et des témoignages mettant en lumière ce qu’ils qualifient de
"graves violations".

Les pratiques musulmanes interdites


Parmi les faits les plus préoccupants figure l’imposition d’une stricte laïcité à la française, interdisant tout signe religieux, dont le port du voile, et restreignant les discussions liées à l’islam, pourtant religion d’État en Algérie.

"Les élèves ne peuvent ni mentionner qu’ils jeûnent, ni qu’ils prient, ni aborder les rites religieux"
, déplore un parent. Une mesure perçue comme une atteinte directe à la liberté de culte garantie par la Constitution algérienne et à l’article 50 qui impose aux établissements de respecter les valeurs nationales et religieuses.

Affiche de propagande coloniale incitant les Algériennes à se dévoiler


Une ingérence juridique contestée


Les associations de parents dénoncent également l’activité d’organisations françaises – syndicats et associations – opérant dans les lycées sans l’autorisation des autorités algériennes. Cela va à l’encontre de la loi algérienne sur les associations (n°12-06) et du code du travail (n°90-14).
"Il s’agit d’une violation flagrante du cadre juridique local"
, affirme M. K. N., représentant des parents.

Cette situation contrevient également à la convention n°87 de l’Organisation internationale du travail, ratifiée par l’Algérie, qui stipule que toute entité étrangère opérant dans un pays doit en respecter la législation.

Discrimination dans l’attribution des bourses


Les parents pointent aussi des discriminations dans l’attribution des bourses. Seuls les élèves français en bénéficient, bien que des élèves algériens répondent aux critères académiques.
"Un traitement inégal inacceptable"
, selon les représentants.

La flambée des frais scolaires et d’examen alimente aussi la colère. Selon les médias ayant dévoilé cette affaire, le coût du baccalauréat atteint désormais 2 110 euros, contre 293 euros en Tunisie et 356 euros au Maroc.


Les frais de scolarité ont, eux, bondi de 52 % en neuf ans. Même les candidats libres doivent payer 2 100 euros, une somme jugée exorbitante au regard des standards régionaux.


Gestion opaque et mépris des lois


Les parents affirment avoir alerté à plusieurs reprises l’administration du lycée ainsi que la conseillère culturelle de l’ambassade de France. En réponse, cette dernière a rappelé que les questions relatives aux programmes, bourses et frais relèvent de la diplomatie et non des parents. Une réponse perçue comme une volonté d’exclure la partie algérienne du dialogue.


"Une institution étrangère opérant en Algérie ne peut ignorer les lois et les citoyens de ce pays",
a déclaré un parent, ajoutant qu’une plainte complète a été remise aux autorités judiciaires, documents à l’appui, pour demander un retour à un cadre éducatif respectueux des lois et des valeurs algériennes.

L’affaire du lycée Alexandre Dumas révèle les tensions persistantes entre la gestion française de certains établissements et les attentes des familles algériennes. Alors que les témoignages s’accumulent, la pression monte pour une réaction officielle. Pour les parents, il en va non seulement du respect des lois, mais aussi de la souveraineté éducative et de l’identité nationale.


Des situations similaires observées au Maroc


Le cas du lycée international Alexandre Dumas en Algérie, où des parents d'élèves dénoncent des pratiques discriminatoires liées à l'interdiction du port du voile, ne semble pas isolé. Des situations similaires ont été rapportées dans d'autres établissements français à l'étranger, notamment au Maroc et en Türkiye.​


Au Maroc, plusieurs affaires ont mis en lumière des tensions entre les règlements intérieurs des lycées français et les lois marocaines. En juin 2024, le lycée français Victor Hugo de Marrakech a refusé l'entrée à une élève de 14 ans portant le voile.


La justice marocaine a condamné l'établissement, ordonnant la réintégration de l'élève et soulignant que l'interdiction du voile violait les conventions internationales ratifiées par le Maroc, notamment la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention des droits de l'enfant .​


À Rabat, une autre élève s'était vue refuser l'inscription au lycée Léon l'Africain en raison de son hijab. La famille a porté plainte, dénonçant une discrimination fondée sur la religion et rappelant que la Constitution marocaine interdit toute forme de discrimination .​


Absence de statut légal en Türkiye


Les établissements français en Türkiye, notamment les lycées Charles-de-Gaulle à Ankara et Pierre-Loti à Istanbul, ont également été confrontés à des accusations de non-respect des lois turques.


Après un long bras de fer entre Paris et Ankara, les autorités turques ont interdit l'inscription de nouveaux élèves turcs dans ces établissements à partir de l'année scolaire 2024-2025, invoquant l'absence de statut légal de ces écoles en Türkiye .​


Aussi, afin de normaliser la situation de ces établissements, le ministère turc de l'Éducation avait exigé que les cours de langue, de culture, de littérature, d'histoire et de géographie turques soient dispensés uniquement par des enseignants turcs nommés par le ministère .


Selon des observateurs, cette décision faisait suite à des négociations infructueuses entre les deux pays concernant la reconnaissance mutuelle des établissements éducatifs, Paris refusant qu'Ankara ouvre des écoles sur le territoire français.


Le ministre turc de l'Éducation, Yusuf Tekin, avait alors dénoncé
"l'arrogance"
de la France et son attitude néocoloniale en déclarant:
"Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un État souverain"
.

Cette situation soulève des questions sur la manière dont la France perçoit ses établissements à l'étranger. De Rabat à Ankara en passant par Alger, ce sont toujours les mêmes témoignages qui ressortent où se mêlent mépris des lois, attitude néocoloniale, imposition de lois françaises sur un sol étranger, gestion opaque et discriminations.


A l'heure où les tensions entre Alger et Paris sont vivaces, la polémique déclenchée par l'attitude du lycée Alexandre Dumas ne va pas dans le sens de l'accalmie.


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