Gaza: Interview exclusive d'une survivante

David Bizet
22:3920/10/2025, الإثنين
MAJ: 21/10/2025, الثلاثاء
Yeni Şafak

Dans cette interview exclusive et inédite, nous recueillons pour la première fois le témoignage en français d'une humanitaire palestinienne originaire de Gaza. Nabila partage son expérience unique sur le terrain, détaille ses actions de secours auprès des familles gazaouies, raconte la destruction de sa maison bombardée deux fois, et livre son analyse sur la situation politique internationale. Un document historique sans précédent qui donne la parole à celles et ceux qui vivent au cœur du conflit et résistent par leur engagement humanitaire quotidien.

Dans un contexte où les témoignages directs des Palestiniens de Gaza restent rares, Nabila, humanitaire engagée sur le terrain depuis des années, livre un récit poignant et sans filtre de la réalité quotidienne dans la
bande de Gaza
. Son témoignage apporte un éclairage essentiel sur une situation souvent racontée de l'extérieur, jamais par celles et ceux qui la vivent de l'intérieur.

Nabila Kilani, portrait d'une survivante de Gaza


Evacuée de Gaza après avoir été blessée,
Nabila Kilani
est une
survivante de Gaza
.
"J'ai survécu à six agressions israéliennes"
dit-elle. Originaire de Beit Lahya, dans le nord de la bande de Gaza,
Nabila Kilani
est humanitaire depuis 2004.

C'est dans l'enclave palestinienne que l'humanitaire a appris l'anglais, puis le français. Dans l'enclave palestinienne, Nabila a fondé un centre éducatif et un centre pour le suivi psychologique des enfants victime de stress post-traumatique.


Cette mère de famille de 42 ans a commencé le travail humanitaires
"avec les femmes du centre".
Avec le temps, son équipe s'est agrandi et compte aujourd'hui plusieurs dizaines de personnes.

Durant les bombardements israéliens, Nabila a perdu trois membres de son équipe, dont un jeune de 19 ans.


"On ne pensait pas que ça allait durer aussi longtemps"


Avec les différentes agressions israéliennes,
Nabila Kilani
a fait évoluer son engagement.
"Au début, c'était l'eau"
, dit elle.
"Et puis ça a été les aides de secours",
poursuit elle,
"surtout pour les personnes qui venaient de subir un bombardement et qui se retrouvaient sans rien".
Les bombardements, Nabila en a vécu plusieurs.
"Ma maison a été bombardée deux fois"
, explique l'humanitaire gazaouie.
"Ma voiture a été effacée. Pourquoi ? Parce que je vivais"
.

Concernant l'agression israélienne débutée le 8 octobre 2023, Nabila confie:
"On ne savait pas que ça allait durer aussi longtemps"
.
Blessée aux yeux
suite à des bombardements au phosphore blanc, Nabila a pu bénéficier d'une coordination pour être évacuée.

"Je pleurais du sang à cause du phosphore"

Malgré sa blessure, Nabila ne voulait pas quitter Gaza. Son réseau humanitaire l'a convaincu,
"pour deux raisons"
.
"La première, ma santé mais surtout pour pouvoir récolter des dons depuis l'étranger"
, dit elle.

Un engagement humanitaire fondé sur la transparence totale


Lorsqu'on lui demande comment elle a gagné la confiance de tant de donateurs, Nabila explique sa méthodologie rigoureuse:
"Les gens me font confiance, c'est vrai, mais ça, c'est mon système de travail."
Son approche repose sur une transparence absolue.

Elle documente systématiquement chaque action
: la somme récoltée, la provenance des dons, les modalités et lieux de distribution, ainsi que l'identité des responsables de distribution sur le terrain.

Pour chaque dépense, nous avons une facture. Nous savons qui a distribué l'aide et qui en a bénéficié.

Cette rigueur va encore plus loin. Nabila insiste sur le fait qu'elle peut identifier chaque bénéficiaire de ses actions humanitaires
. "Gaza, elle est trop petite. On se connaît"
, explique-t-elle. Cette proximité géographique et sociale lui permet d'assurer une traçabilité complète, élément essentiel dans un contexte où l'aide humanitaire fait souvent l'objet de suspicions.

"Je fais une confiance totale à moi-même, à mon âme et aux membres de mon équipe
", confie-t-elle, ajoutant que cette rigueur lui apporte avant tout
"beaucoup plus de tranquillité pour ma tête".

Le système des cagnottes pour Gaza


Nabila détaille comment fonctionne le système des cagnottes, et comment elle parvient à distribuer les dons.


Dans ce contexte qu'elle qualifie d'
"ambiguïté"
et de
"massacre"
, l'humanitaire tient à exprimer sa profonde reconnaissance envers tous ceux qui ont pris leurs responsabilités.

Elle remercie chaleureusement
"toutes les associations et les individus qui ont pris la responsabilité de faire leur participation pour renforcer la résilience palestinienne et la capacité des familles palestiniennes".

Il n'y a plus de banques et de distributeurs à Gaza

Nabila Kilani
détaille comment fonctionne les transferts d'argent, et comment elle a mis en œuvre un système permettant de minimiser les frais.
"Il y a deux systèmes"
, dit elle, le
"main à main"
et
"les transferts via des comptes étrangers"
. Nabila exclue toute pratique du
"main à main"
, en raison des coûts que cette méthode nécessite.
"Au début, on était à 1, 2 voir 5% quand il y avait des distributeurs et des banques"
; explique-t-elle.

"Mais avec les bombardements de banques et de distributeurs, l'argent est plus rare"
et les intermédiaires atteignent "
45% du montant"
selon elle. Une information confirmée par la plupart des observateurs.

C'est pourquoi Nabila effectue des virements depuis la Türkiye où elle a été évacuée auprès de ses fournisseurs, qu'elle connait depuis 2004. Avec cette méthode
, "les frais sont minimes, à hauteur de 1 ou 2%"
selon elle.

"La Türkiye, seul pays à m'avoir aidé"


Nabila Kilani explique également que la Türkiye est le
"seul pays à l'avoir aidé"
pour ses actions humanitaires. Elle explique que les banques turques, à la vue de ses documents et de ses actions humanitaires, lui ont donné le feu vert pour toutes les transactions à portée humanitaire.
"Chapeau"
, dit elle à propos du directeur d'une banque qui s'est impliqué personnellement.

L'humanitaire ne tarit pas d'éloges sur la Türkiye, pays qui l'a accueilli.
"Quand je dis que je viens de Gaza, les portes s'ouvrent". "Je peux aller dans toutes les succursales et faire autant de virement que nécessaire".

Gaza, la véritable nature du conflit


Concernant le
conflit à Gaza
, l'analyse de Nabila sur les objectifs réels du conflit est sans ambiguïté:
"L'objectif c'est pas du tout le Hamas, c'est l'existence, l'identité palestinienne."

Elle poursuit avec cette observation percutante:
"Ça dérange d'avoir une Palestine pour eux, c'est un mot qu'ils n'acceptent pas. Alors ils essayent d'exterminer tout ce qui est palestinien."
Nabila note que les Israéliens ciblaient tout ce qu'il y a de vivants
"même les arbres".

Le fait que les Israéliens détruisent la terre palestinienne montre que ce n'est pas leur terre. Car personne ne prend plaisir à détruire sa terre.

Ce témoignage apporte un éclairage crucial sur la perception palestinienne du conflit, souvent absente des débats occidentaux focalisés sur des questions de sécurité ou de terrorisme.


Une vie sous blocus


Le témoignage personnel de Nabila illustre la réalité quotidienne des Gazaouis
. "Ma maison a été bombardée deux fois déjà"
, révèle-t-elle. Mais au-delà de ces destructions spectaculaires, c'est la vie sous blocus qu'elle décrit avec le plus d'émotion.

"Avant l'agression, c'était pas la vie en rose, il y avait le siège"
, rappelle-t-elle. Elle évoque sa fille de 19 ans qui
"n'a jamais vécu une seule journée de 24h d'électricité d'affilée"
.

Avant le 7 octobre, il y avait le siège.

Plus poignant encore
: "Elle n'a jamais pu sortir de la bande de Gaza, si elle veut. Si elle voulait voir ma grand-mère égyptienne, elle ne pouvait pas."

L'humanitaire partage une expérience personnelle illustrant la discrimination systématique. Ancienne vacataire à l'Institut français, elle fut invitée à célébrer le 14 juillet à Jérusalem avec ses collègues.


Malgré l'intervention personnelle du consul français qui lui assura:
"Tu viens Nabila, je suis le consul"
, elle se vit refuser l'entrée en Palestine occupée (Cisjordanie) par les autorités israéliennes.

"Même le consul, il a pu rien faire pour me faire rentrer"
, raconte-t-elle.

Loin de la décourager, cette expérience renforce sa détermination:
"Au contraire, tout ce qu'ils me font comme dérangement, c'est à dire que j'aime la Palestine et ça c'est mon honneur."

Ces détails du quotidien, rarement évoqués dans les médias internationaux, illustrent la dimension d'emprisonnement collectif que représente le
blocus de Gaza
pour ses habitants.

Résistance versus guerre


Sur la question sensible de la résistance, Nabila apporte une clarification sémantique importante:
"Je vous dis des agressions, ce ne sont pas des guerres. On est en vie. Soit on est attaqué, on répond, ça c'est pas une guerre, c'est une résistance."

Elle revendique avoir toujours été
"pour la paix avec l'autre côté"
, mais pose des conditions claires:
"La terre elle est pour tout le monde, mais après pour voler la terre palestinienne, ça je ne veux pas."

Le simple fait de vivre est une résistance.

L'humanitaire élargit la notion de résistance bien au-delà des actions armées:
"Ce n'est pas juste le Hamas qui fait la résistance. Toute la population palestinienne en vivant, fait la résistance."

Selon elle, le simple fait de continuer à vivre constitue un acte de résistance face à un
"dérangement dans tous les coins de vie de la vie palestinienne depuis 1948 et même avant".

Génocide en direct


L'un des points les plus saillants de ce témoignage concerne la réaction internationale. Nabila compare le traitement d'Israël à celui réservé à d'autres pays:
"Quand l’Ukraine a été attaquée par la Russie, il y a eu pas mal de sanctions. Israël fait tout cela devant les yeux de tout le monde."

Elle souligne l'aspect inédit de cette situation:
"C'est la première fois où un crime est documenté en direct dans l'histoire et les gouvernements ne bougent pas."

Cette observation met en lumière le paradoxe d'une époque où l'information circule instantanément, mais où l'action politique tarde.


Les palestiniens ne sont pas des chiffres.

Lorsque nous l'interrogeons sur les victimes palestiniennes, Nabila regrette que les victimes soient lues comme de simples statistiques:


"Au début, il y avait 1 000, 2 000 par jour. J'entends des personnes dire que le nombre de victimes quotidiennes baisse, qu'il est tombé à une centaines de personnes. Ce sont 100 vies palestiniennes, des familles parfois entièrement décimées. Les Palestiniens ne sont pas des chiffres".

Les chiffres officiels ne sont pas correct. Il y a beaucoup, beaucoup plus de morts qui ne sont pas encore comptabilisés.

"Si c'est votre famille qui est bombardée, ce ne sont plus des chiffres"
. En parlant de chiffres, Nabila est catégorique:
"Les chiffres officiels que vous avez ne sont pas les bons. Il s'agit des victimes déclarées par les membres des familles. Il y a beaucoup, beaucoup plus de morts qui sont encore sous les décombres de leur maison et qui n'ont pas encore été comptabilisés. On s'attend à un bilan beaucoup plus lourd".

Reconnaissance palestinienne: Trop peu, trop tard


Concernant la reconnaissance de l'État palestinien par certains pays le mois dernier, Nabila exprime des sentiments mitigés.
"Je suis heureuse qu'il y ait une reconnaissance palestinienne. Je salue ça. Mais après, c'était quoi après ?"

Son questionnement porte sur le timing:


Pourquoi on a attendu d'effacer plus de 95% de la bande de Gaza pour avoir cette reconnaissance ?

Le regard de Nabila se porte sur le soutien occidental à Israël.
"Au début c'était une déception"
, confie-t-elle, évoquant la position des gouvernements français, américain et autres prétendus
"protecteurs de paix"
.
"Pourquoi on a attendu d'effacer plus de 95% de la bande de Gaza pour avoir cette reconnaissance ?"
, demande-t-elle.

Mais cette déception s'est transformée en compréhension politique.

"Cette longueur de période (de guerre, ndlr) nous a fait penser beaucoup plus qu'avant"
, explique-t-elle.

Observant les
manifestations pro-palestiniennes
massives en France, Belgique et États-Unis, elle en tire une conclusion sur la nature de ces régimes:
"Ça nous a montré quelque chose qui est très important: à quel point ces pays ne sont pas démocratiques du tout."

Son raisonnement est limpide:
"si une part importante de la population de ces pays soutient la Palestine, pourquoi leurs gouvernements, élus par ces mêmes populations, soutiennent-ils Israël ?"

Un engagement sans faille


Nabila conclut son témoignage en réaffirmant son identité et son engagement: "
Je suis palestinienne, j'en suis fière et je ferais tout ce que je peux, et même au-delà si c'est possible, pour aider la population palestinienne, surtout les Gazaouis. Parce que je suis de Gaza."

Le souhait de Nabila ?
"J'attends que Rafah (poste frontière entre l'Egypte et la bande de Gaza, ndlr) rouvre pour repartir aider"
.

Au-delà des chiffres et des reportages, ce sont les mots d'une femme qui a tout perdu sauf sa dignité et sa détermination. Une voix qui rappelle que derrière chaque statistique se cachent des histoires humaines, des familles détruites mais résilientes, et un peuple qui refuse de disparaître.


Note importante :
Ce témoignage a été recueilli dans le cadre d'une interview exclusive. Il représente le point de vue et l'expérience personnelle de l'interviewée et constitue un document pour comprendre la situation à Gaza du point de vue de celles et ceux qui la vivent.

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