En France, l’islam est devenu l’obsession nationale. Chaque jour, la machine médiatique ressort les mêmes thèmes : islamisme, voile, halal,
, et dernièrement ce
dont personne ne parlait avant que les plateaux ne s’en emparent.
Cette focalisation permanente n’a rien d’innocent. Elle s’inscrit dans un récit construit par une poignée de propriétaires de médias, férus de théories identitaires —
,
— qui ont besoin d’un adversaire intérieur pour maintenir le climat de peur. Le musulman remplit ce rôle à la perfection : trop visible, trop croyant, trop différent, donc trop suspect.
Dans ce contexte, discuter sereinement de religion ou de pratique devient presque impossible. Le soupçon a remplacé la réflexion ; la suspicion, l’échange.
Un climat de suspicion entretenu
La dernière illustration en date est l’étude de
l’Ifop commandée par la revue Écran de Veille.
Réalisée en août et septembre 2025 auprès de 1 005 personnes musulmanes, elle a été accueillie comme une révélation explosive par une partie du paysage audiovisuel, désormais dominée par les discours d’extrême droite.
À peine publiée, elle a été présentée comme la preuve attendue d’un "danger"
— une confirmation précipitée que l’islam serait, une fois encore, le problème majeur du pays.
La séquence
où
n’a même pas pu exposer un point de vue contradictoire, résume parfaitement l’atmosphère.
Le dispositif médiatique n’est plus là pour comprendre : il est là pour confirmer une peur déjà installée.
Écran de Veille : un commanditaire loin d’être neutre
Avant d’analyser les chiffres, il faut regarder l’origine du sondage. Écran de Veille se présente comme un média consacré à la sécurité et à la géostratégie. Selon l’Observatoire du journalisme
, il est lié à Global Watch Analysis, plateforme connue pour ses obsessions anti-musulmanes et ses récits conspirationnistes.
Dans leur ligne éditoriale, les musulmans apparaissent presque comme un réseau d’influence parallèle,
une sorte d’AIPAC islamisé à la française
. On est loin de l’analyse sereine donc.
La réalité, pourtant, raconte tout autre chose. Depuis deux ans, un génocide est commis à Gaza, documenté par les organismes internationaux. En France, une majorité politique et médiatique a soutenu sans réserve l’État israélien.
Un simple message WhatsApp d’un ancien député très proche des positions israéliennes a suffi à faire reculer l’Élysée sur le boycott des entreprises impliquées dans les colonies.
S’il existait un
, il n’a visiblement convaincu personne.
Le silence forcé des mosquées
On parle souvent des
"communautés musulmanes",
mais rarement de ce qu’elles peuvent réellement faire. Depuis deux ans, aucune manifestation nationale n’a été organisée à l’appel des mosquées.
Par peur, souvent. Par pression administrative, surtout.
Les préfets n’hésitent plus à menacer les lieux de culte pour un prêche, une phrase, une publication. Les mosquées, réduites au silence, ne jouent plus leur rôle social, alors qu’elles pourraient contribuer à la cohésion et à la prévention de la radicalisation. Pendant ce temps, des organisations juives ou des synagogues appellent publiquement à soutenir Israël sans jamais être inquiétées.
Les rassemblements pro-palestiniens — largement composés de non-musulmans — sont décrits comme des démonstrations
Deux poids, deux mesures. Et surtout un récit qui se construit indépendamment des faits. Il n'est plus possible de critiquer Israël et même Netanyahu, criminel recherché pour génocide à Gaza par la CPI ans être taxé d'antisémitismes. Un nouvel outil pour faire cesser toutes critiques à l'égard des sionistes qui appellent pourtant, publiquement, à commetre un génocide à Gaza et coloniser une grande partie Moyen-Orient selon les promesses faites y'a plus de 3000 ans.
Le sondage : un échantillon restreint, des conclusions larges
Par ailleurs, le sondage repose sur un échantillon de 1 005 personnes.
Peut-on en tirer une vérité générale sur plusieurs millions de musulmans ?
Rien ne permet de l’affirmer. On ignore le milieu social, le niveau d’études, la provenance géographique des répondants.
Pourtant, les conclusions sont utilisées comme base politique : les jeunes
"se sentiraient plus religieux"
, prieraient davantage, fréquenteraient plus la mosquée.
En quoi cela constituerait-il un problème ?
La République garantit la liberté de conscience, sauf lorsqu’il s’agit de musulmans, semble-t-il.
L’étude ose une comparaison avec les catholiques, présentés comme de plus en plus
Mais aucune analyse n’est faite sur la pratique juive ou orthodoxe, pourtant bien plus structurée. La critique vise une religion en particulier, et ne s’en cache même plus.
Les Frères musulmans : l’étiquette qui permet tout
Depuis quelques années, un mot sert d’arme politique :
. Il suffit de l’invoquer pour justifier une fermeture, une dissolution, une perquisition, une sanction bancaire. Pourtant, personne ne s’accorde sur une définition précise. Le sondage affirme que 24 % des musulmans (35 % chez les moins de 25 ans) s’en sentiraient
Mais proches de quoi ? D’un mouvement qu’ils ne sauraient même pas définir ? Cette ambiguïté arrange les pouvoirs publics : elle offre une base théorique à toutes les mesures d’exception.
Le voile, une obsession française
Une autre illustration de cette obsession française concerne le voile.Depuis vingt ans, la loi de 2004 sur son interdiction à l’école puis les multiples textes sur la "laïcité" ont été présentés comme des réponses capables d’endiguer un phénomène jugé incompatible avec la République. O
r, les conclusions mêmes du sondage Ifop montrent exactement l’inverse : loin d’avoir disparu, le voile se banalise chez les jeunes générations.
Selon l’enquête, 31 % des musulmanes portent le voile — mais seules 19 % le portent systématiquement. Le phénomène reste donc globalement minoritaire et irrégulier.
Mais la tendance la plus marquante est ailleurs : chez les 18-24 ans, une musulmane sur deux est voilée (45 %), soit trois fois plus qu’en 2003 (16 %), année du grand débat national qui avait conduit à la loi de 2004.
Autrement dit : plus la République tente de bannir ce vêtement, plus celui-ci se normalise chez les jeunes femmes musulmanes.
D'ailleurs, 80% d'entre elles le portent pour des convictions donc loin d'une idée de provocation.
À l’inverse, chez les femmes de plus de 50 ans, le port du voile chute fortement : –19 points entre 2003 et 2025. Cela montre que les jeunes s'attachent de plus en plus à leur identité malgré les répressions.
Une répression qui produit l’effet inverse
Les résultats du sondage seront commentés pendant des semaines. Ils serviront à écrire de nouvelles lois, à renforcer des dispositifs déjà très lourds, à cibler encore davantage une partie des citoyens. Mais un élément échappe toujours aux décideurs :
la répression crée le repli identitaire qu’elle prétend combattre.
Une nouvelle génération, plus instruite, plus connectée, plus consciente de ses droits, observe ce qui se dit d’elle. Elle voit les normes changeantes, les discours hostiles, les interprétations orientées. Et elle en tire une conclusion simple : plus on lui demande de s’effacer, plus elle affirme ce qu’elle est.
Le paradoxe français est là : au nom de la lutte contre
, on fabrique un malaise social qui n’existait pas à ce degré il y a vingt ans.
À force de parler des musulmans sans jamais leur parler, on finit par nourrir exactement ce que l’on prétend prévenir.