Quand un fervent soutien d'Israël instrumentalise Auschwitz : comment Michael Rapaport falsifie l'histoire de la Shoah

La rédaction
09:4111/07/2025, vendredi
MAJ: 11/07/2025, vendredi
Yeni Şafak
L'influenceur américain pro-sionisme, Michael Rapaport
Crédit Photo : X /
L'influenceur américain pro-sionisme, Michael Rapaport

"Publier de fausses images d'Auschwitz générées par intelligence artificielle n'est pas seulement une dangereuse déformation. Une telle fabrication déshonore les victimes et malmène leur mémoire." — Mémorial d'Auschwitz-Birkenau. Cette déclaration solennelle du Mémorial d’Auschwitz-Birkenau ne s’adresse pas à un vulgaire négationniste ou à un néo-nazi marginal des réseaux sociaux, mais à Michael Rapaport, influenceur sioniste américain dévoué corps et âme à la défense d’Israël depuis le début du génocide à Gaza.

Qu’a-t-il fait cet influenceur pour déclencher une réaction aussi vive d'une institution de mémoire ? Début juillet, il a partagé une image et une vidéo devenues virales : une photographie présentée comme une archive montrant un jeune violoniste juif, jouant une mélopée funèbre alors que lui et les siens, le crâne rasé, en uniforme de déportés, sont emmenés vers les chambres à gaz du centre d’extermination de Birkenau. Une image atroce et déchirante, mais selon Rapaport, inspirante, car elle illustrerait la résistance spirituelle face à la mise à mort par les bourreaux nazis.



Sauf qu’Henek n’a jamais existé. Aucun violoniste, ni aucun orchestre, n’a jamais accompagné la dernière heure des personnes déportées à Birkenau, 1,1 millions de Juifs dont environ 930 000 immédiatement mises à mort à leur arrivée. Si Auschwitz était un des rares centres d'extermination à disposer d'un camp de travail attenant, la grande majorité des Juifs y étaient assassinés dès leur arrivée.


Quant aux orchestres de déporté·e·s, ils ont existé, mais il s'agissait d'une mise en scène macabre des nazis lors des marches forcées. Une horreur perverse documentée historiquement notamment par les chercheurs du mémorial d'Auschwitz. Dont des contenus rigoureux, essentiels et trop peu consultés.

Henek est une invention de l’intelligence artificielle – une fiction créée pour les réseaux sociaux, destinée à émouvoir, à créer du clic. Comme si l’extermination des Juifs d’Europe n’était pas, en elle-même, assez bouleversante. Cette horreur a d’abord été propagée par une page de contenus commerciaux, mais c’est Michael Rapaport qui lui a donné une portée virale et une apparente crédibilité historique.


Pourquoi ? Parce que Rapaport est un soutien inconditionnel d’Israël, censé incarner de manière hégémonique la légitimité juive. Depuis le début du génocide à Gaza, il fait partie de ces figures, autrefois critiques de Trump, qui ont fini par appeler à voter pour lui uniquement en raison de sa politique anti-palestinienne et de sa vindicte contre les soutiens au peuple palestinien aux États-Unis.


Rapaport s’est notamment illustré par ses attaques contre les étudiants mobilisés sur les campus américains, par une vidéo devenue virale visant Greta Thunberg, et par son soutien actif à la reprise en main de Gaza par les États-Unis.

"Instrumentaliser" la Shoah


Ce cas illustre une vérité plus large : pour nombre de défenseurs d’Israël aujourd’hui, à commencer par ses dirigeants, la Shoah n’est plus qu’un outil de propagande nationaliste génocidaire. Il ne s’agit plus seulement d’instrumentaliser, mais de travestir, d’embellir, de transformer l’extermination en "storytelling" TikTok. Des morts pas assez "photogéniques" deviennent des personnages inspirants. La vérité historique se dissout dans le récit où la Shoah n'est plus que l'introduction pour affirmer la légitimité absolue d'Israël à exister et à commettre un autre génocide.


La mémoire de l'extermination des Juifs d'Europe fait l’objet d’une offensive sans précédent. Déjà en 2016, Benjamin Netanyahu avait affirmé qu’Hitler n’avait pas prévu d’exterminer les Juifs mais seulement de les expulser, et que c’est le grand mufti de Jérusalem qui lui aurait soufflé l’idée de les brûler. Quand ce genre de propos provient du Premier ministre israélien, ils paraissent plus crédibles que s’ils étaient tenus par des nostalgiques du IIIe Reich.

D'autant qu'ils sont directement appuyés par la théorie du "nouvel antisémitisme" propagée aussi par des historiens, par exemple Georges Bensoussan en France, qui a utilisé sa position au Mémorial de la Shoah pour tenir des propos islamophobes avec une audience immense pendant des années.


Depuis octobre 2023, les voix d’historiens appelant à reconnaître la dimension génocidaire des actes commis à Gaza se heurtent au mur de l’État israélien et à sa tentative de mainmise sur les institutions de mémoire. Récemment, l’un des responsables de Yad Vashem a envoyé à tous ses abonnés une lettre défendant l’offensive israélienne contre l’Iran. Parallèlement, Omer Bartov, historien prestigieux et ancien membre de Yad Vashem Studies, a démissionné en 2024 après que l’institution a ignoré une tribune exigeant qu’elle dénonce les crimes de guerre commis à Gaza.


Pendant ce temps, les militants contre le génocide en Palestine sont accusés d’antisémitisme, poursuivis, condamnés, réprimés dans l’ensemble du monde occidental, avec le soutien actif d’associations censées œuvrer à la mémoire de la Shoah. Aucune plainte n’a toutefois été déposée contre Michael Rapaport, qui s’est pourtant rendu coupable d’une manipulation de l’histoire obscène et destructrice.


En diffusant des images créées par IA, Rapaport contribue à la confusion sur l’histoire du génocide commis par les nazis avec la complicité de la France, notamment, et porte une atteinte insupportable à la mémoire de ses victimes. Ce type de manipulation alimente le complotisme, l’antisémitisme et le négationnisme : si l’image du violoniste est fausse, pourquoi pas le reste ? Les négationnistes auront ainsi un nouvel argument sordide .


Mais Rapaport et ses soutiens s’en moquent : cette image mensongère était un bon moyen de faire des vues, de renforcer la propagande pro-israélienne, de promouvoir la destruction des Palestiniens, le soutien à Donald Trump et la croisade islamophobe contre Zohran Mamdani, le candidat musulman à la mairie de New York, contre lequel Rapaport s'acharne ces derniers temps.

Dans ce contexte, les propos d’Yvan Attal sur les Palestiniens et les musulmans qui voudraient "voler la Shoah" prennent une tonalité particulière. Ce n’est pas la Palestine qui vole la Shoah. C’est l'État d'Israël et ses soutiens qui, désormais détruisent la mémoire d'un génocide l’instrumentalisent et dégradent pour alimenter la haine meurtrière et exterminatrice des Palestiniens.


Dans quelques jours, aura lieu en France la commémoration officielle de la rafle du Vel d’Hiv par la police française. Il est à craindre que ce ne seront pas de véritables combattants de la mémoire mais des Michael Rapapaort à la française qui y prendront la parole.


La mémoire de l’extermination des Juifs d’Europe n’appartient à personne. Mais sa sauvegarde est la responsabilité de tous. Et aujourd’hui, il est urgent de la protéger contre les génocidaires islamophobes alliés aux antisémites historiques de l’extrême droite européenne.


Car les faussaires de l’histoire ne portent pas tous la croix gammée : certains brandissent le drapeau d’Israël. C’est donc à l’abri du drapeau de la Palestine en lutte contre un nouveau génocide que vivra la mémoire de tous les autres.


Sources:


TMZ – Michael Rapaport Ripped for Sharing A.I. Auschwitz Photo→ Le média people relaie la condamnation publique de Rapaport pour avoir partagé une image IA mensongère.

https://www.tmz.com/2025/07/09/michael-rapaport-slammed-posting-ai-image-concentration-camp/


Mediaite – Auschwitz Memorial Condemns Rapaport→ Média américain politique et culturel qui relaye le communiqué officiel du mémorial d’Auschwitz.

https://www.mediaite.com/media/entertainment/auschwitz-memorial-condemns-michael-rapaport-for-posting-fake-ai-generated-image-of-concentration-camp-disrespects-victims/


Documentaire officiel – "Orchestras at Auschwitz" (par le Mémorial d’Auschwitz)→ Vidéo éducative du mémorial expliquant la réalité historique des orchestres dans les camps.

🔗 https://www.youtube.com/watch?v=eHZmtXTPFps


Par
Nadia Meziane

Militante contre l'antisémitisme et fondatrice du mouvement Lignes de Crètes


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