La sécheresse, la dégradation des sols et les changements climatiques ont entraîné une diminution de l'eau disponible, exacerbant les problèmes de sécurité dans la région. La disponibilité de l'eau est désormais une problématique majeure dans cette partie du monde, avec des impacts considérables sur la suffisance alimentaire, la santé, le développement économique et social et même la sécurité.
Selon les chiffres publiés par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), près de 40 % de la population africaine n'a pas accès à une source d'eau potable. De plus, l'Afrique subsaharienne est la région du monde la plus touchée par le manque d'eau, avec plus de 300 millions de personnes qui n'ont pas accès à une source d'eau améliorée. 70% de la population de la région ne dispose pas de systèmes d'assainissement adéquats.
Au Sahel, la situation est encore plus précaire, car les populations dépendent principalement de l'agriculture et de l'élevage pour leur subsistance, ce qui les rend vulnérables aux changements climatiques
Valère Nzeyimana, responsable principal de la mise en valeur et de la gestion de l'eau au bureau régional de la FAO pour l'Afrique, a, au cours d’une interview accordée à Anadolu, relevé que la difficulté réside dans le manque de "vision claire" des gouvernements en termes d’utilisation de l’eau.
"Il faut des politiques et des stratégies d’utilisation de l’eau avant même de penser au financement. Avec une vision claire, il est évident de formuler des projets cohérents et bancables. En outre, il y a le problème d’expertise qui se présente. Il existe un réel manque d’ingénieurs en mesure de mobiliser ou de formuler des projets. Il y a par exemple très peu d’universités qui forment dans l’utilisation de l’eau. Pire, les gouvernements n’utilisent pas les personnes formées"
, décrie-t-il.
La région du Sahel est une zone semi-aride qui connaît des périodes de sécheresse récurrentes. Cette situation est aggravée par le changement climatique, qui rend les périodes de sécheresse plus fréquentes et plus sévères. C’est donc une zone qui est vulnérable aux changements climatiques, avec des conséquences sur la disponibilité de l'eau, la production et la sécurité alimentaire.
Les communautés locales de cette région sont particulièrement touchées par le manque d'eau. Les femmes et les enfants sont souvent chargés de collecter de l'eau pour leur famille, ce qui limite leur accès à l'éducation et leur participation à la vie économique et sociale.
"Il pleut très peu, mais il pleut quand-même. Parler d’inondations dans un pays comme le Niger semble ridicule, mais c’est une réalité. Cette eau ne devrait pas être retenue au-dessus du sol, mais retenue et envoyée dans le sous-sol ; c’est qu’on appelle la recharge artificielle des nappes d’eau. L’avantage c’est que l’eau ne va pas loin. C’est un réservoir qui ne se remplit jamais et l’eau ne va pas loin. Si les pays pouvaient se doter des infrastructures qui envoient cette eau responsable des inondations dans le sol et des pompes pour la remobiliser, il n’y aurait pas vraiment de problème. Le manque d’infrastructures cause donc le manque d’eau dans le Sahel",
poursuit l’expert de la FAO.
Les inondations ne sont pas un phénomène nouveau. Il y a toujours eu des barrages d’inondation dans plusieurs pays. Cependant, les populations commencent à envahir les anciennes zones d’écoulement. À l’époque, les inondations ne faisaient pas beaucoup de dégâts parce que ces zones étaient plus ou moins vides.
"Il faut une bonne politique pour prendre en compte ces zones d’écoulement des eaux de pluie, les inondations pourraient faire davantage de dégâts"
, ajoute l'expert. Pour Valère Nzeyimana, les projets réalisés ne sont pas des "réalisations à long terme".
"Il y a eu à une certaine période des périmètres aménagés à grande échelle parce qu’il y avait des financements venant d’ailleurs. Les populations n’ont pas pu maintenir ces périmètres, notamment dans le Sahel. À l’époque des partis uniques, les gouvernements assuraient la maintenance des centaines de milliers d’hectares. Avec l’avènement du multipartisme, l’argent des pouvoirs publics ne s’est pas dirigé notablement vers ces périmètres et leur entretien a été lamentable. Ces périmètres ne fonctionnant pas et d’autres n’étant pas développés, le problème de la paupérisation de la population s’est aggravé"
, note-t-il.
L’eau, un facteur de sécurité
La pénurie d'eau affecte directement la sécurité alimentaire. Dans les zones rurales, les agriculteurs sont contraints de réduire leurs cultures, de changer de pratiques agricoles et même de quitter leurs terres pour trouver de l'eau ailleurs. Les éleveurs, quant à eux, sont obligés de déplacer leur bétail à la recherche de pâturages, ce qui peut causer des conflits avec les communautés locales.
La rareté de l'eau peut également exacerber les tensions entre les différents groupes ethniques, qui se disputent les ressources en eau limitées. Dans certaines régions, les conflits sont si intenses qu'ils dégénèrent en violence, avec des attaques de villages et des massacres.
Les groupes terroristes qui pullulent dans le Sahel, comme Boko Haram et Al-Qaïda, profitent également de la situation pour recruter des jeunes désespérés qui cherchent des moyens de subsistance.
En 2017, l'Union africaine a, avec le soutien de la Banque africaine de développement (BAD), lancé l'Initiative pour "l'Eau pour l’Afrique", qui vise à mobiliser les ressources nécessaires pour améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement.
"Les pays développés ne se sont pas limités au secteur militaire ou de l’armement, ils ont également accordé un grand intérêt à la question de l’eau. Les pays comme les Etats-Unis, la Chine et bien d’autres ont stocké une importante quantité d’eau pour leur utilisation et aussi pour leur sécurité. La sécurité de l’eau est tout aussi importante. Ce sans quoi, le développement n’est pas facilement envisageable"
, soutient l’expert de la FAO.
Et d'ajouter :
"Parlant de terrorisme, la plupart des personnes enrôlées manquent de travail, de quoi se nourrir, ce sont des personnes désespérées. Pourtant en développant l’eau pour l’agriculture, dans l’élevage, il existe beaucoup de débouchées et d’emplois à créer. Ainsi, le terrorisme aurait du mal à se répandre. Les personnes ayant un avenir ne sont pas enclin à se faire enrôler par les groupes terroristes. Pour appuyer les populations, il faut penser à développer l’agriculture, mais cela ne peut pas se faire sans l’eau".
La région du Sahel, indique Valère Nzeyimana, ne manque pas d’eau, contrairement à ce que la situation reflète.
"Le sous-sol du Sahel est gorgé d’eau. Le Niger, par exemple, a des milliers de mètres cube d’eau dans son sous-sol, mais qui ne sont pas mobilisés. Il faut de l’équipement, des forages, des pompes pour ce faire. L’énergie n’est également pas un problème parce que nous allons vers le solaire dans le Sahel, c’est tout ce qu’il y a comme énergie dans la zone. Cependant, les pays n’ont pas développé la fabrication des plaques solaires, qui est pourtant une technologie à la portée de tout le monde. C’est donc une question de choix. Avec l’énergie solaire, il est possible de mobiliser l’eau"
, explique-t-il. En plus des plans d’urbanisation que doivent concevoir et faire respecter les gouvernements, la pollution, principalement le plastique, constitue un sérieux problème.
"Même les cours d’eau aménagés sont obstrués. Parfois les inondations ne sont pas provoquées par les grandes pluies, mais le fait que les plastiques ont bloqué les issues censées faciliter le passage des eaux. L’eau est ainsi obligée de sortir de son lit. À cela s’ajoute un problème d’entretien des infrastructures. Même au niveau agricole, il y a des cours d’eau où on fait passer et où les berges se cassent. On fait toujours attention lorsque l’eau est déjà sortie. Pourtant, c’est observable avant que l’eau ne sorte de son lit",
note Valère Nzeyimana.
Selon lui, la coopération internationale est nécessaire pour relever ce défi d’accès à l’eau dans le Sahel. Les pays développés peuvent soutenir les pays en développement dans la mise en œuvre de solutions adaptées à leurs besoins, en apportant une aide financière et technique, en échangeant les bonnes pratiques et en renforçant les capacités locales.
Des solutions concrètes existent pour répondre à cette problématique, comme le souligne l’expert de la FAO. Au rang de celles-ci, le développement de technologies efficaces pour la collecte, le stockage et la distribution de l'eau, telles que les puits, les réservoirs, les systèmes d'irrigation et les stations de traitement de l'eau, peut aider à répondre aux besoins en eau des populations. La mise en place de politiques de gestion intégrée de l'eau, impliquant tous les acteurs concernés, y compris les communautés locales, les gouvernements, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, peut également contribuer à garantir une utilisation équitable et durable de cette ressource.
"La FAO travaille avec les gouvernements. Ce sont les États membres qui déterminent ce que fait exactement la FAO. Elle a développé un grand nombre d’outils qui aident les gouvernements à avoir un meilleur aperçu de leurs planifications, de leurs stratégies et de leurs schémas directeurs. La FAO collabore aussi avec d’autres institutions pour formuler les projets bancables, surtout avec le Centre d’investissements qui travaille avec les institutions financières dans cette lancée"
, précise-t-il.
"La collaboration entre la FAO et les gouvernements africains est fluide. Un atelier régional sur les feuilles de routes nationales sur l’eau s’est tenu récemment à Harare, au Zimbabwe, auquel ont pris part de nombreux pays. Actuellement, la FAO met un accent sur l’appui sur des petits producteurs ainsi que sur l’utilisation des énergies renouvelables comme le solaire pour le pompage. C’est très efficace et rentable pour la population. Un outil, le Solar power irrigation system (Spis), a été développé et disponible en ligne pour faire la conception des petits périmètres irrigués à ces pompages solaires"
, note-t-il encore. En marge de la célébration de Journée mondiale de l’eau, les Nations unies organisent la Conférence sur l'eau du 22 au 24 mars à New-York. Les parties prenantes à cette conférence discuteront des moyens pour accélérer le changement visant à résoudre la crise de l'eau et de l'assainissement dans le monde.
"Les pays africains pourront, en marge de la Conférence, présenter leur vision, interagir entre eux et aussi avec d’autres partenaires. Ce sera utile pour chaque pays de pouvoir bénéficier des différentes expériences. Ceci sera utile dans l’avenir parce que les feuilles de route de l’eau au niveau national n’ont pas encore été développées"
, a conclu Valère Nzeyimana.