Argentine: Milei face aux socios, bras-de-fer pour l'avenir des clubs

12:027/11/2024, Perşembe
AFP
Le président de l'Argentine Javier Milei au palais présidentiel de la Casa Rosada, à Buenos Aires, le 4 novembre 2024.
Crédit Photo : Argentinian Presidency / AFP
Le président de l'Argentine Javier Milei au palais présidentiel de la Casa Rosada, à Buenos Aires, le 4 novembre 2024.

Le président argentin Javier Milei souhaite transformer les clubs de football en sociétés anonymes ouvertes aux capitaux étrangers, suscitant l'inquiétude des "socios" et de la Fédération.

Bras-de-fer autour du statut des clubs de football dans l'Argentine de l'ultralibéral Javier Milei: les instances et les "socios" (membres) revendiquent fièrement leur ancrage social, tandis que l'exécutif souhaite transformer les clubs en sociétés anonymes ouvertes aux capitaux étrangers.


"Depuis toujours",
répond Gabriel Nicosia, comptable de 50 ans, en parlant de son amour pour le club de San Lorenzo, 116 ans d'existence, situé dans le quartier populaire de Boedo.

Comme des milliers d'autres fans des "Azulgranas" (Bleus et grenats), il vient plusieurs fois par semaine aux installations du club pour partager un café, nager à la piscine ou utiliser la salle de gym.


"Venir ici, c'est retrouver mes amis du quartier. Un pilier fondamental de la vie quotidienne"
, explique Gabriel, l'un des quelque 80 000 "socios" de San Lorenzo, pour un stade de 48 000 places !

Les "socios" défendent également un rôle social important, avec 300 bourses offertes aux jeunes de la "villa" (bidonville) voisine, leur permettant d'accéder aux installations du club, à quelques pas des terrains où s'entraînent les joueurs millionnaires.


En outre, être membre, moyennant une cotisation mensuelle de 22 000 pesos (21 dollars), donne le droit de vote aux élections de la direction, renforçant le sentiment de participation dans le club.

Ce lien fort de proximité, qui fait des Argentins des fans parmi les plus passionnés au monde, et ces
"valeurs sociales"
sont aujourd'hui menacés, selon Gabriel, par la perspective des Sociétés anonymes sportives professionnelles (SASP), jusqu'à présent interdites dans la ligue argentine, où les clubs sont des associations à but non lucratif.

Sociaux, mais en difficulté financière


Le président Javier Milei, fervent promoteur de la dérégulation dans toutes les sphères de la société, défend ce changement de statut au nom de la "liberté" des clubs à s'ouvrir aux capitaux étrangers pour croître, en prenant pour modèle les clubs européens.


Lors de la campagne présidentielle en 2023, Milei, évoquant le club de Boca Juniors dont il est fan, avait lancé:
"On s'en fout de savoir qui est le propriétaire si tu bats River Plate 5-0 et que tu gagnes la Coupe du monde des clubs ! Ou bien tu préfères continuer à vivre dans cette misère qu'est le football argentin, chaque jour moins bon ?"

Cette position a suscité l'indignation des clubs, y compris celui de Boca Juniors:
"Notre club appartient à son peuple, à ses membres et à ses partenaires qui le rendent plus grand chaque jour".

Malgré cela, le gouvernement persiste. En août, un décret a exigé de la Fédération (AFA) qu'elle adapte ses règles sous un an pour qu'un club transformé en société anonyme puisse participer
"à toutes les compétitions où il était engagé sous sa structure juridique précédente".

Claudio Tapia, président de l'AFA, auréolé des titres de champion du monde (2022) et de deux Copa America (2021, 2024), n'a jamais caché son opposition aux SASP:
"Pas notre modèle de football".
Sa réélection confortable en octobre, pour quatre ans, est perçue comme un défi lancé à l'exécutif.

La menace pesant sur le modèle des "socios" en Argentine n'est ni nouvelle, ni propre au pays: le Brésil a adopté en 2021 une loi permettant un tel changement de statut, et l'ex-président libéral Mauricio Macri (2015-2019) avait déjà tenté, sans succès, d'initier cette réforme.

D'un côté, certains y voient une opportunité pour renforcer les effectifs et les installations, et stabiliser financièrement les clubs, car les cotisations des membres
"ne suffisent pas
", admet Martin Cigna, directeur de San Lorenzo. Sans les droits TV et les transferts de joueurs, le club
"accuserait un déficit d'un million de dollars".

En touche


De l'autre, la crainte est que des investisseurs
"ferment ce qui n'est pas rentable, selon la logique commerciale (...) et emportent les bénéfices"
au lieu de réinvestir dans le club, analyse Veronica Moreira, sociologue du sport.

Pour l'instant, le dossier est… en touche.


La justice, saisie par l'AFA, a ordonné en septembre une
"suspension"
du décret d'août
"jusqu'à jugement définitif"
sur le fond. L'exécutif a fait appel et remis en question la compétence du juge.

Le ton monte. Milei a récemment menacé de
"mener une enquête"
sur de possibles
"irrégularités"
dans la gestion de l'AFA, comparant sa gouvernance à celle du
"Venezuela de Maduro"
.
"En quoi cela les dérange-t-il que les gens puissent choisir avec qui ils s'associent en affaires ?"

Selon un sondage du think tank sportif "Tactica", 60,2 % des Argentins ayant un intérêt pour le football s'opposent au passage en SASP.

L'unanimité n'est cependant pas totale. Juan Sebastian Veron, président du club historique Estudiantes (120 ans) et ancien international, a déclaré que son club se prépare déjà
"à une autre forme d'ouverture",
évoquant un modèle
"hybride",
mêlant
"social et privé".

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