Qui peut percevoir une menace dans la réalité de la Ummah ?

19:1326/07/2025, Cumartesi
MAJ: 26/07/2025, Cumartesi
Yasin Aktay

Il existe une réalité selon laquelle les discours et politiques islamophobes en vigueur en Türkiye sont bien plus grossiers, agressifs et remplis de haine que ceux du monde occidental. Cette réalité peut paraître surprenante, mais le fait que des personnes portant des noms musulmans, vivant dans un pays qui a été pendant des siècles le centre du monde islamique, puissent surpasser le monde occidental judéo-croisé en matière de discours islamophobes, est une réalité à laquelle nous devons faire face.

Il existe une réalité selon laquelle les discours et politiques islamophobes en vigueur en Türkiye sont bien plus grossiers, agressifs et remplis de haine que ceux du monde occidental. Cette réalité peut paraître surprenante, mais le fait que des personnes portant des noms musulmans, vivant dans un pays qui a été pendant des siècles le centre du monde islamique, puissent surpasser le monde occidental judéo-croisé en matière de discours islamophobes, est une réalité à laquelle nous devons faire face.


Bien sûr, cette confrontation doit inévitablement se transformer en questionnement, voire en jugement. Pendant des années, l'interdiction du voile en Türkiye a été acceptée comme une pratique normale. On l’a qualifiée de symbole politique, de symbole religieux, on a invoqué la laïcité, on a donné toutes sortes de justifications, mais cette pratique a été appliquée en regardant les musulmans droit dans les yeux.


Alors que dans le monde entier, le simple fait de jeter un regard de travers au voile est considéré comme un acte d’hostilité envers l’Islam, chez nous, au nom d'une obsession étrange pour la laïcité, d’éminents politiciens, scientifiques, journalistes, intellectuels, ont défendu et appliqué cette interdiction comme si elle était une chose normale. Les musulmans, à l’époque, ne l’ont jamais désignée clairement : était-ce par politesse ? Pour éviter d’approfondir davantage le débat ? Par crainte de se retrouver face aux cultes despotiques qu’on leur opposait comme référence idéologique de cette interdiction ? Quoi qu’il en soit, ils n’ont jamais dit que l’interdiction du voile était une hostilité directe envers l’Islam, qu’une personne pouvant envisager une telle interdiction ne pouvait pas être musulmane, et qu’elle avait donc un problème sérieux avec cette terre, cette patrie. Ils n’ont pas dit non plus que seuls ceux qui occupaient ce pays en tant qu’envahisseurs pouvaient imaginer et appliquer une telle interdiction.


Et bien sûr, bien avant le voile, d'autres valeurs, symboles, signes distinctifs et concepts de l'Islam ont été méprisés. Le changement d’alphabet n’était, soi-disant, pas lié à l’Islam. On disait qu’il s’agissait d’augmenter le taux d’alphabétisation, que l’alphabet arabe était difficile, qu’il ne reflétait pas aussi bien la structure de la langue turque que l’alphabet latin. Ces justifications auraient pu s’arrêter là, mais immédiatement après, des propos méprisants à l’égard de l’arabe ont été insidieusement inculqués à l’esprit de nos enfants. L’écriture arabe n’était plus seulement difficile, mais primitive, vestige d’une société rétrograde, sombre et dépassée. Quand ces enfants allaient-ils apprendre que l’arabe est l’une des langues les plus puissantes du monde, et qu’avec cette langue, pendant 1400 ans, on a produit une civilisation incomparable dans les domaines de la science, de la littérature et de la philosophie ?


L’un des concepts également méprisés est bien sûr celui de Ummah. Une fois devenus nation, la Ummah est devenue quelque chose de néfaste. Une valeur, une identité qui avait permis aux Turcs seldjoukides et ottomans de se maintenir comme puissance mondiale sur trois continents pendant des siècles est devenue une perception nuisible au moment où nous sommes devenus une nation. Pourquoi ? La Ummah serait-elle la raison pour laquelle nous avons été réduits de trois continents à 781 000 km² ? En quoi la Ummah, en tant qu’expression suprême de la fraternité entre Turcs, Kurdes et Arabes, aurait-elle pu nuire à quiconque ?


Laissons de côté la question des bénéfices ou des torts. Car du point de vue de cette logique, plus nous nous sommes éloignés de la Ummah, plus nous avons rétréci, plus nous nous sommes affaiblis, plus nous sommes devenus insignifiants. C’est très clair.


Mais il y a aussi une dimension islamique à la question. Nous avons oublié que notre repli de la Ummah vers la nation est le fruit d’une défaite, et nous avons bâti toute notre conscience nationale sur l’injure faite à la Ummah. Personne ne leur a jamais dit en face que mépriser la Ummah, rabaisser ce concept, c’est en réalité insulter l’Islam lui-même, faire preuve d’hostilité envers l’Islam.


Les musulmans forment une Ummah. Ils sont comme les membres d’un même corps : lorsqu’un membre est blessé, c’est tout le corps qui ressent la douleur. Un Turc qui est membre de la Ummah ressentira profondément la douleur d’un malheur frappant un Kurde. Un Kurde membre de la Ummah ne se distinguera pas des Arabes, et un Arabe ne se distinguera pas des Turcs et des Kurdes. Ceux qui ne font pas partie de la Ummah ne peuvent évidemment pas comprendre cela.


À ceux qui pensent que faire partie de la Ummah est un simple choix idéologique, rappelons ceci : chaque jour, dans la sourate al-Fatiha, que tout musulman récite plusieurs fois, les croyants s’adressent à Dieu en disant : « C’est Toi que nous adorons et c’est Toi dont nous implorons l’aide. Guide-nous sur le droit chemin ». Même lorsqu’un musulman prie seul, il récite cette invocation à la première personne du pluriel, « nous ». Pour un musulman qui utilise le nous dans cette invocation fondamentale, en incluant tous les autres musulmans, la Ummah n’est ni une illusion, ni une simple option idéologique, ni une identité dont on pourrait se passer. C’est une condition essentielle de sa relation avec Dieu. Tout musulman fait partie de la Ummah islamique. Et quiconque n’a pas conscience de cela ne peut pas être qualifié de musulman.


Il y a quelques jours, à propos du discours de Kızılcahamam dans lequel Erdoğan évoquait la fraternité turco-arabo-kurde, Özgür Özel a fait une étrange déclaration : « Nous ne te laisserons pas faire de la politique de la Ummah ». C’est une déclaration extrêmement malheureuse. Une malheureuse tentative, comme au bon vieux temps, de proférer des insultes à la valeur la plus fondamentale des musulmans dans un quartier musulman. Peut-être une habitude héritée du despotisme nationaliste étroitement idéologique de l’époque du parti unique. Mais ce langage n’est plus acceptable. La Türkiye n’est plus un pays où l’on peut insulter à ce point les valeurs, les croyances, les concepts des musulmans. Le concept de Ummah des musulmans, dans un pays islamique, ne peut être prononcé de cette manière que par quelqu’un en position d’occupant.


Ce qui est encore plus intéressant, c’est que dans le discours de Kızılcahamam du Président de la République, le mot Ummah n’a même pas été mentionné. Au-delà de cette hostilité envers un concept fondamental de l’Islam, le simple fait qu’un propos sur la fraternité des peuples ait été immédiatement associé à ce concept pour en faire un sujet d’accusation, montre à quel point les radars islamophobes fonctionnent avec précision.


Alors qui a peur de la Ummah ? Qui peut avoir peur que les musulmans soient unis, qu’ils rassemblent leurs forces, qu’ils s’aiment comme des frères ? En quoi une telle unité, une telle étreinte, pourrait-elle nuire à quiconque ?


Évidemment, certains ressentent un tort dans cette unité, et en perçoivent une menace. Mais quel lien peuvent avoir ces gens-là avec la Türkiye ?

#Ummah
#Islam
#Türkiye