
Près de deux ans après le début de sa guerre contre la bande de Gaza, Israël poursuit des actions qui, d’après plusieurs analystes, modifient en profondeur la géographie, la démographie et le paysage politique du territoire palestinien.
Ces experts estiment qu’Israël met en œuvre une stratégie visant à imposer un nouvel ordre à Gaza, marqué par des déplacements forcés, la désertification du nord, une crise humanitaire aiguë et un contrôle militaire durable sur des zones clés.
Rob Geist Pinfold, enseignant en sécurité internationale au King’s College de Londres, évoque deux scénarios inquiétants.
Dans les deux cas, Israël parierait sur une sortie volontaire des Palestiniens, poussés par la détresse.
Depuis octobre 2023, plus de 59 000 Palestiniens, majoritairement des femmes et des enfants, ont été tués. Les infrastructures sont en ruine, le système de santé a été anéanti et la population est désormais confrontée à la famine.
Une "réoccupation de facto"
Les dernières directives israéliennes d’évacuation concernent désormais des zones de Deir al-Balah, où vivent de nombreux déplacés. L’ONU (OCHA) a exprimé son inquiétude, soulignant que ces mesures contraignent encore davantage les civils à se déplacer vers des zones déjà sinistrées.
Pour Ihab Maharmeh, analyste au réseau Al-Shabaka, la finalité est claire: réoccuper Gaza et expulser massivement les Palestiniens. Selon lui, Israël cherche à imposer une nouvelle réalité territoriale, marquée par un contrôle militaire direct et des “zones tampons” confinant les Palestiniens dans des ghettos.
Il estime que cette stratégie vise à pousser la population encore plus au sud, jusqu’au-delà du corridor de Morag, voire au-delà des frontières de Gaza.
Une “ville humanitaire”, façade du transfert forcé
Le projet israélien de relocaliser les Gazaouis dans une zone construite sur les ruines de Rafah est perçu comme une tentative de dissimuler un transfert forcé de population.
Rob Geist Pinfold note que certains commentateurs israéliens, dont l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, comparent ces zones à des camps de concentration. Pour lui, la mise en œuvre chaotique du projet, comme celui porté par la “Gaza Humanitarian Foundation” (GHF), est plus préoccupante encore que l’intention initiale.
Famine et chaos, instruments de guerre
La crise alimentaire s’aggrave sous le blocus imposé par Israël. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a alerté sur une “faim stupéfiante”. Un quart de la population vit dans des conditions proches de la famine, et près de 100 000 femmes et enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère.
Selon le ministère de la Santé de Gaza, au moins 86 personnes, dont 76 enfants, sont mortes de faim ou de déshydratation depuis octobre 2023. Avec le blocage total de l’aide humanitaire imposé depuis mars, le ministère avertit que Gaza se trouve “au seuil d’un désastre humanitaire absolu”.
L’UNRWA affirme qu’environ 1 000 civils affamés ont été tués par l’armée israélienne depuis fin mai alors qu’ils tentaient d’accéder à de la nourriture.
Certains experts vont plus loin et estiment que le chaos est désormais l’un des piliers de la stratégie israélienne à Gaza.