Capturer et stocker le CO2 en France: une promesse trompeuse?

13:0426/04/2024, Cuma
AFP
Chantier de construction métallique d'une usine d'ArcelorMittal, alors que le site met en œuvre un plan visant à réduire son empreinte carbone (CO2) jusqu'à 35 % d'ici 2030.
Crédit Photo : Christophe SIMON / AFP
Chantier de construction métallique d'une usine d'ArcelorMittal, alors que le site met en œuvre un plan visant à réduire son empreinte carbone (CO2) jusqu'à 35 % d'ici 2030.

Les partisans des technologies de capture de carbone soutiennent que la France peut absorber plus de CO2 qu'elle n'en émet d'ici 2050 si elle opte pour le captage direct du carbone dans l'air. Cependant, ces technologies sont vivement critiquées pour leur coût élevé, leur efficacité incertaine, et le risque qu'elles détournent l'attention du pays de sa priorité: la réduction des émissions.

Alors que la planète est déjà réchauffée de 1,2°C par rapport à la fin du 19e siècle, le retard pris par la France et le reste du monde pour limiter les émissions de gaz à effet de serre a ravivé l'intérêt pour le captage direct du CO2 dans l'air (DAC en anglais), principale technique industrielle d'élimination du dioxyde de carbone (EDC).


Cette technique consiste à aspirer le CO2 à l'aide de ventilateurs équipés de filtres, puis à le fixer chimiquement. Le CO2 ainsi capté doit ensuite être stocké de manière permanente, que ce soit dans des réservoirs d'hydrocarbures épuisés ou dans des aquifères salins.


Bien que de tels sites existent en France et soient étudiés depuis longtemps, aucun n'a encore été exploité. Cependant, le gouvernement a récemment annoncé son intention de tester
"quatre ou cinq projets de stockage de CO2"
dès le début de l'année 2025, en priorité dans d'anciens gisements pétroliers nationaux.

Ces premiers tests visent principalement à capturer le CO2 directement à sa source, avant qu'il ne soit rejeté dans l'atmosphère, notamment par des industries difficiles à décarboner comme les cimenteries ou les aciéries. Cependant, cette démarche rend plus plausible l'idée de voir émerger en France des installations de capture de CO2 à plus grande échelle.

Selon le Carbon Gap, un groupe d'influence favorable à ces solutions, l'élimination du carbone grâce à des puits naturels comme les arbres ou des puits technologiques pourrait permettre à la France d'atteindre ses objectifs de neutralité carbone, voire de devenir
"nette négative"
, c'est-à-dire d'absorber plus de carbone qu'elle n'en émet.

Cependant, cela nécessiterait des investissements massifs et une décision politique forte, notamment parce que les forêts et les sols français absorbent naturellement moins de CO2 que prévu depuis plusieurs années.


En effet, en 2022, la séquestration naturelle n'a été que de 16,9 millions de tonnes de CO2 équivalent (MtCO2e), loin des 41 millions prévus par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Afin de combler cet écart, l'ajout de technologies de capture de CO2 semble inévitable. C'est pourquoi le Carbon Gap a commandé une étude auprès du centre de réflexion américain Rocky Mountain Institute et du cabinet E-Cube pour évaluer le potentiel de la France dans ce domaine.


Selon cette étude, dans un scénario "status quo", avec une meilleure gestion des écosystèmes et le stockage du CO2 issu de la biomasse, les puits de carbone naturels et technologiques pourraient éliminer près de 24 MtCO2e par an, insuffisant pour atteindre la neutralité carbone.


Dans un autre scénario, la France développerait des pratiques agricoles plus favorables au stockage de carbone et investirait massivement dans le captage direct dans l'air, atteignant environ 76 MtCO2e/an d'émissions négatives.


Enfin, dans un scénario ambitieux avec un investissement massif dans toutes les technologies de capture de CO2, le potentiel pourrait atteindre 146 MtCO2e par an d'ici 2050, soit plus d'un tiers des émissions territoriales en 2023.

Une telle quantité permettrait à la France de compenser une partie de son passif en absorbant une partie du carbone accumulé au fil des décennies. Cependant, certains craignent que cela ne serve d'excuse pour réduire les efforts de réduction des émissions.


"L'EDC ne doit pas servir à compenser les efforts non réalisés en matière de décarbonation"
, avertit Sylvain Delerce, directeur de recherche associé chez Carbon Gap. Malgré le potentiel des puits de carbone, réduire les émissions reste une priorité, souligne Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat.

"De nombreuses solutions éprouvées et moins coûteuses existent déjà: isolation des logements, développement des véhicules électriques, réduction de la consommation de viande, etc."
, conclut-elle.

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