
En Afrique de l’Est, le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) symbolise la quête d’indépendance énergétique du pays. Mais ce projet colossal sur le Nil Bleu ravive les rivalités régionales avec l’Égypte et le Soudan, révélant les fractures d’une Afrique en quête de souveraineté et de coopération.
Un géant de béton au cœur de la renaissance éthiopienne
Le Nil, fleuve vital et source de discorde
Le Nil traverse onze pays africains, notamment le Burundi, la République démocratique du Congo, l'Egypte, l'Erythrée, l'Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, le Soudan, l'Ouganda et la République-Unie de Tanzanie et constitue une artère vitale pour plus de 250 millions de personnes.
Deux affluents majeurs lui donnent naissance : le Nil Blanc, issu du lac Victoria et partagé entre le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda, et le Nil Bleu, qui prend sa source dans le lac Tana, en Éthiopie. Les deux se rejoignent à Khartoum, au Soudan, pour former le Nil proprement dit, qui traverse ensuite l’Égypte avant de se jeter dans la Méditerranée.
Le Nil Bleu, plus court mais plus puissant, représente à lui seul près de 80 % du débit total du fleuve. C’est ce pouvoir hydraulique immense que l’Éthiopie entend exploiter pour sortir de la pauvreté et affirmer son indépendance économique.
Mais en aval, l’Égypte voit les choses autrement. Dépendant du Nil à plus de 90 % pour son approvisionnement en eau, le Caire considère le GERD comme une menace directe à sa sécurité hydrique et alimentaire. Les autorités égyptiennes redoutent qu’un remplissage trop rapide du réservoir ne réduise le débit du fleuve, compromettant les cultures et l’approvisionnement des populations.
Entre fierté nationale et inquiétudes régionales
Depuis le lancement du projet en 2011, les tensions n’ont cessé de croître entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan. Des années de négociations n’ont pas permis de trouver un accord définitif sur le calendrier et les modalités de remplissage du barrage.
L’Éthiopie défend son droit légitime à exploiter ses ressources naturelles, conformément au principe de souveraineté nationale. Elle affirme que le GERD n’a pas vocation à nuire à ses voisins, mais à contribuer au développement partagé de la région.
L’Égypte, elle, se réfère aux traités coloniaux de 1929 et 1959, signés sous influence britannique, qui lui garantissaient une part prédominante des eaux du Nil. Pour le Caire, la remise en question de ces accords historiques équivaut à une menace existentielle.
Le Soudan, pris entre ses deux voisins, oscille entre prudence et coopération. D’un côté, il redoute les risques liés à une mauvaise coordination hydraulique ; de l’autre, il reconnaît les bénéfices potentiels du GERD, notamment en matière d’irrigation et de régulation des crues.
Le défi africain : transformer la discorde en coopération
Au-delà des rivalités nationales, le Grand Barrage de la Renaissance met en lumière un enjeu plus vaste : la gestion collective des ressources transfrontalières en Afrique.
Entre fierté et méfiance, entre développement et préservation, le fleuve millénaire devient le miroir d’un continent en mutation, tiraillé entre ses aspirations à l’autonomie et les défis de la cohabitation hydrique.
Un symbole et un avertissement
Pour Addis-Abeba, le pari est clair : faire du GERD un levier de progrès et de dignité. Pour le Caire, la bataille se joue sur la survie. Entre les deux, le Nil continue de couler — témoin silencieux d’un affrontement où chaque goutte d’eau compte.
L’avenir du Nil ne dépend pas seulement du débit de ses eaux, mais de la capacité des nations à bâtir un avenir partagé — où l’énergie, la paix et la coopération couleront dans le même sens.









