Les Turcs iraniens entre sectarisme et identité nationale - 2 : les Qashqai et les Turkmènes Sahra

10:389/10/2025, jeudi
Cemil Doğaç İpek

Après les Azerbaïdjanais, les peuples turcs les plus importants d’Iran sont les Qashqai et les Turkmènes Sahra. Les Turcs qashqais, qui résident dans les provinces méridionales de Fars et d'Ispahan, et les Turcs turkmènes sahra, dans les régions du nord-est de Gilan et du Khorasan septentrional, font face à des défis similaires en matière de droits politiques et culturels. Ces anciennes communautés turques luttent pour préserver leurs langues maternelles et leurs identités culturelles après des

Après les Azerbaïdjanais, les peuples turcs les plus importants d’Iran sont les Qashqai et les Turkmènes Sahra. Les Turcs qashqais, qui résident dans les provinces méridionales de Fars et d'Ispahan, et les Turcs turkmènes sahra, dans les régions du nord-est de Gilan et du Khorasan septentrional, font face à des défis similaires en matière de droits politiques et culturels.


Ces anciennes communautés turques luttent pour préserver leurs langues maternelles et leurs identités culturelles après des décennies de politiques d’assimilation.


L’ère Pahlavi et la politique d’assimilation


Après le renversement de la dynastie turque des Qajar en 1925 et l’arrivée au pouvoir du régime Pahlavi, l’Iran a mis en œuvre des politiques visant à réduire la présence turque dans le pays. Adoptant une idéologie paniraniste et nationaliste perse, les Pahlavi considéraient les Turcs comme une menace et ont lancé des campagnes d’assimilation globales visant l’ensemble des peuples turcs. Ces politiques se sont poursuivies, sous différentes formes, après la Révolution islamique.

Bien que l’article 15 de la Constitution iranienne autorise en théorie l’utilisation des langues locales dans l’éducation et les médias, le turc n’a jamais été enseigné dans les écoles. L’imposition du persan comme langue unique d’enseignement a conduit à l’exclusion progressive du turc de la vie publique, affaiblissant ainsi l’un des piliers essentiels de l’identité turque.


Les Qashqai : une identité menacée


Les Qashqai, communauté turque d’environ trois millions de personnes vivant dans le sud de l’Iran, sont connus pour leurs traditions nomades. Jusqu’au milieu du XXe siècle, ils menaient une vie itinérante avant d’être contraints à la sédentarisation sous la pression du régime Pahlavi. L’État chercha à effacer leurs traces en traduisant les noms turcs des villages en persan et en interdisant le port de leurs habits traditionnels en public. Aujourd’hui, ces vêtements ne peuvent être portés qu’à domicile, lors de mariages ou de célébrations. Privés de leur mode de vie ancestral, les Qashqai ont également rencontré des difficultés économiques en milieu urbain. Le persan étant la seule langue d’enseignement, leurs enfants rencontrent des obstacles scolaires, et le turc qashqai n’est plus parlé que dans la sphère domestique.


Bien qu’environ 70 % des jeunes Qashqai soient diplômés de l’université, ils peinent à trouver un emploi stable dans la fonction publique et restent confinés au secteur privé. Leur principale revendication est le droit à l’éducation dans leur langue maternelle, ainsi que la liberté de publier et d’éditer des ouvrages en turc.


Résistance culturelle et réaffirmation identitaire


Contrairement à d’autres minorités, les Qashqai ne disposent d’aucune province portant leur nom. Une pétition lancée en 2020 pour y remédier est restée sans réponse. En décembre 2024, les Qashqai ont manifesté contre la confiscation symbolique de leur culture, après que le gouvernement iranien eut enregistré leurs habits traditionnels comme faisant partie de la culture lur. Lors de ces protestations, les Qashqai ont défilé en portant leurs vêtements nationaux, symbole d’une résistance pacifique. Leurs intellectuels appellent aujourd’hui à un renforcement des liens culturels et éducatifs avec le monde turc.

Selon eux, "s’ils restent éloignés du monde turc, les Qashqai finiront par se persaniser".


Les Turkmènes Sahra : l’autre peuple turc d’Iran


La région turkmène de Sahra, s’étendant entre la mer Caspienne et la frontière du Turkménistan, abrite environ deux millions de Turkmènes Sahra, majoritairement sunnites hanafites. Ces populations font historiquement partie de la culture turque Oğuz. À la suite du traité d’Ahal signé en 1881 entre la Russie tsariste et l’Iran, la partie nord de la patrie turkmène passa sous contrôle russe, tandis que la partie sud resta iranienne. Ce territoire, appelé Turkmen Sahra, a longtemps été négligé et marginalisé par Téhéran.


Une brève tentative d’autonomie réprimée


En 1924-1925, une brève
"République turkmène de Sahra"
vit le jour, dirigée par Osman Ahund et son conseil des anciens (Aksakal). Mais cette tentative d’autonomie fut violemment écrasée par l’armée de Reza Pahlavi. Le régime imposa ensuite des écoles persanes, força la sédentarisation des nomades et installa d’autres groupes ethniques dans la région pour en modifier la composition démographique — une véritable campagne d’assimilation planifiée.

Une langue menacée et une représentation absente


Les Turkmènes continuent à parler leur langue au quotidien, mais la plupart ne savent ni la lire ni l’écrire, ayant été éduqués exclusivement en persan.

Si l’usage familial du turc a permis de préserver certains aspects culturels, la transmission linguistique s’affaiblit chez les jeunes générations. Sur le plan politique, la communauté reste sous-représentée : les Turkmènes ne disposent d’aucune circonscription administrative propre et leur présence dans les institutions décisionnelles est quasi nulle. Privés d’éducation dans leur langue maternelle et limités dans leurs activités culturelles, ils se sentent aujourd’hui marginalisés et
"oubliés".

Une lutte pour la survie identitaire


Les Qashqai et les Turkmènes Sahra représentent deux anciennes composantes du monde turc en Iran. Privés de leurs droits linguistiques et culturels, ils font face à une lente érosion identitaire. Le refus persistant des autorités iraniennes de garantir leurs droits fondamentaux s’inscrit en contradiction avec les normes internationales relatives aux droits humains. Toutefois, les mobilisations récentes de la société civile ont commencé à attirer l’attention de la communauté internationale sur leur sort.


La défense des droits linguistiques et culturels des Turcs d’Iran doit figurer parmi les priorités du monde turc. Une solidarité plus forte, notamment sur les plans éducatif et culturel, permettrait à ces peuples d’échapper à l’assimilation et de préserver, dans la dignité, leur identité et leur héritage.

#Qashqai
#Turkmènes Sahra
#Iran
#peuples turcs
#assimilation
#langue maternelle
#Pahlavi
#minorités
#identité culturelle
#droits humains
#monde turc